Patrimoine : Axxam ou la maison qui a toujours su comment tenir debout

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Le visiteur qui s’aventurerait en Kabylie sera stupéfait par la frénésie des habitants de cette région à construire maison sur maison, étage sur étage, sans oublier les fameux garages.

Mais il suffit de remonter un peu dans le temps pour se rendre compte que le kabyle d’avant n’avait pas cette obsession de construction. Est-il en train de prendre sa revanche sur le temps ? Axxam, ou la maison kabyle, était composée d’une pièce principale nommée tazqa. Tazqa est la chambre commune où toute la famille se réunit, surtout durant les nuits d’hiver. Au pied du potager, ddukan, l’on trouve le kanoun, l’âtre qui sert pour préparer à manger, mais aussi pour chauffer toute la pièce. Au coin des murs, l’on trouve de petites fenêtres qui servent comme étagères pour préserver des objets de poterie de la maîtresse de la maison. Vers le bas de la pièce, l’on trouve adayenin, l’écurie où sont gardés les animaux, une vache qui donne le lait aux enfants, le mouton de l’Aïd, ainsi que la brebis qui permet d’avoir des petits chaque année. La cohabitation entre animaux et humains n’est pas fortuite. Cela permet de rentabiliser la chaleur en hiver mais aussi aux propriétaires de nourrir et s’occuper de leurpetit chaptel sans être obligés de sortir et d’affronter les vents et nuits neigeuses en montage. Juste au-dessus des animaux, se trouve takana. Une soupente qui sert de chambre à coucher pour le couple, généralement. C’est un lieu où sont gardées les denrées alimentaires, telles que les figues sèches, l’huile d’olive contenue dans l’achevayeli, une sorte de jarre. Quant à tout ce qui estlégumes secs et céréales, les Kabyles, d’autrefois, les conservaient dans des ikoufan, sorte de grandes jarres faites de terre non cuite. Pour chercher l’eau à la fontaine, la femme kabyle se servait d’achemukh, une cruche en terre cuite cette fois-ci, très lourde à porter, mais permet de garder l’eau fraîche durant tout l’été. À noter que pour toute cette pièce, il n’existe qu’une seule entrée, la porte en bois massif ramené directement de la forêt. Les fenêtres vers l’extérieur sont quasi inexistantes, à part une petite ouverture pour aérer la pièce et faire sortir la fumée du bois brûlé en hiver à l’intérieur de la maisonnette. En été, une pièce, a3ciw n tmes, le gourbi au feu, construit en bois et couvert avec une pâte préparée à base de terre, de foin et de bouse de vache qu’on mélange avec de l’eau. Cela donne une sorte de ciment avec lequel on ressert et ferme les ouvertures d’entre les morceaux de bois mélangés avec des roseaux. Cela sert de cuisine d’été. Revenons à axxam, de l’extérieur, l’on voit l’agencement des pierres extraites directement de la nature qui témoignent d’un savoir-faire​ des anciens. Le toit est fait de tuiles rouges qui s’enchevêtrent les unes aux autres pour empêcher la pluie de pénétrer à l’intérieur. Sous les tuiles sont entassés des roseaux qui permettent de garder la chaleur. À l’intérieur, les murs sont cimentés de la même matière que le gourbi. C’est juste que le toit est peint avec Toi, de la chaux qui permet à la fois d’embellir les murs mais aussi de les aseptiser, les femmes le font à chaque arrivée du printemps, azway n tafsut. Ce qui est fascinant est que ces vieilles maisons racontent la vie des gens d’autrefois. Ils ont tenu à laisser des traces de leur savoir-faire mais aussi de leur savoir-vivre. L’on remarque toujours leur souci du détail mais surtout leur fibre artistique. Les mains qui ont façonné et posé les pierres doivent être solides. Celles qui ont dessiné sur les murs doivent être inspirées. Le tout a donné naissance à des demeures​ harmonieuses qui témoignent encore de la convivialité́ qui y régnait à l’époque où elles étaient encore habitées. Ces bâtisses, aujourd’hui en ruine, ont été debout jadis. Elles ont abrité des vies. Elles ont connu des souffrances, des manques, des doutes et des peurs, mais elles ont assisté aussi à des rires, à des jeux d’enfants. Elles ont couvé des murmures d’amours, des attentes et des espoirs. Aujourd’hui, si elles s’obstinent à résister aux éléments de la nature et à l’abandon des personnes, c’est pour témoigner de tout ça. Elles nous racontent à travers ces pierres comment ceux qui les ont poseeś les ont choisies une à une, ajustées les unes aux autres pour former un tout solide et homogène. Elles relatent aussi leur chagrin de se retrouver désormais vides, inhabitées et abandonnées. Elles se laissent dénuder par le vent du Nord sifflant de toutes les parts. La neige les couvre complètement en hiver, la broussaille y pousse au printemps. Les lézards sont les seuls, nouveaux occupants des lieux, à se faufiler d’entre les fissures des murs. Ils sont là pour prendre soin de ces vestiges, fruits des humains, malgré́ bon gré́ pour une vie pas meilleure, mais plus facile.

S. C.