Face aux nouvelles mutations énergétiques mondiales

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Quels sont les enjeux économiques et géostratégiques du gazoduc Nigeria-Algérie ?

Comme par enchantement, face à la flambée du prix du gaz, qui connait avec le coût du transport, en Asie un cours dépassant les 30 $ le MBTU, l’équivalant de 150 $ le baril de pétrole, et entre 15 / 20 $ en Europe, beaucoup de déclarations et supputations, sans analyses sérieuses, circulent ces derniers temps en Algérie, promettant une pluie de dollars à court terme concernant le gazoduc Nigeria-Algérie qui doit avant tout approvisionner l’Europe, principal client.

Ce gazoduc avec un coût évalué en 2018, par les experts de Bruxelles entre 19/ 20 milliards de dollars, donc un important effort de financement, entre temps 2019/2021, le coût a certainement évolué, demandera pour sa réalisation, des accords de différents pays traversés par cette canalisation, et si les travaux commencent en 2022 pas moins de 5 à 7 années et dont  la rentabilité pas avant l’horizon 2027/2030.

1.-Le secteur de l’Energie au Nigeria, comme en Algérie, est marqué par le poids dominant de l’industrie pétrolière et gazière procurant 75% des recettes du budget national et 95% des revenus d’exportation et les réserves prouvées de gaz naturel sont estimées à 5.300 milliards de mètres cubes gazeux. Comme le démontre une importante étude  de l’IRIS IRIS 19 août 2021, le gazoduc reliant le Nigeria à l’Europe est l’objet d’enjeux géostratégiques importants pour la région, expliquant l’importance de la diplomatie économique, un tel projet placerait la région comme un nouveau pôle d’approvisionnement pour l’Europe face à la Russie, la Norvège et le pays qui fera obstacle à ce projet étant la Russie, à moins qu’il ne soit partie prenante d’où l’importance  d’avoir une vision économique froide sans sentiments pour sa rentabilité, surtout en ces moments de graves tensions financières. Concernant le gazoduc Nigeria – Algérie, la longueur du gazoduc trans-saharien sera de 4128 km et sa capacité annuelle de trente milliards de mètres cubes devant partir de Warri au Nigeria pour aboutir à Hassi R’mel en passant par le Niger. Rappelons qu’actuellement, les  exportations de l’Algérie se font grâce au GNL qui permet une souplesse dans les approvisionnements des marchés régionaux pour 30% et par canalisation pour 70%. L’Algérie possède trois canalisations. Le TRANSMED, la plus grande canalisation d’un looping GO3 qui permet d’augmenter la capacité  de 7 milliards de mètres cubes auxquels s’ajouteront aux 26,5 pour les GO1/GO2 permet une capacité de 33,5 milliards de mètres cubes gazeux. Il est d’une longueur  de 550 km sur le territoire algérien et 370 km sur le territoire tunisien, vers l’Italie. Nous avons le MEDGAZ  directement vers l’Espagne à partir de Beni Saf au départ d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux qui après extension prévu courant 2021 la capacité sera porté à 10 milliards de mètres cubes gazeux. Nous avons le GME via le Maroc dont l’Algérie a décidé d’abandonner, dont le contrat s’achève le 31 octobre prochain, d’une longueur de 1300 km, 520 km de tronçon marocain, la capacité initiale étant de 8,5 milliards de mètres cubes ayant été porté en 2005 à 13,5 de milliards de mètres cubes gazeux.

L’accord de l’Algérie fait suite aux différents rapports du ministère de l’Energie afin de pouvoir honorer ses engagements internationaux en matière d’exportation de gaz les réserves de gaz traditionnel pour l’Algérie Le  projet du  gazoduc Trans-Saharien de 4128 km est d’une  capacité annuelle de trente milliards de mètres cubes devant partir  de Warri au Nigeria pour aboutir à Hassi R’mel, en passant par le Niger dont l’idée a germé dans les années 1980, l’accord d’entente a été signé le 3 juillet 2009. Le 21 septembre 2021 le ministre nigérian de l’Énergie a déclaré dans une interview accordée à la chaîne de télévision CNBC Arabia en marge de la conférence Gastech que son pays a commencé à mettre en œuvre la construction d’un gazoduc pour transporter du gaz vers l’Algérie. L’accord de l’Algérie fait suite aux différents rapports du ministère de l’Energie afin de pouvoir honorer ses engagements internationaux en matière d’exportation de gaz les réserves de gaz traditionnel pour l’Algérie, pour une population dépassant 44 millions d’habitants (pour le gaz de schiste troisième réservoir mondial 19.800 milliards de mètres cubes gazeux, selon un rapport US), selon les données du ministre de l’Énergie en décembre 2020 reprises par l’APS, étant de 2.500 milliards de mètres cubes gazeux. Selon les données du ministre de l’Énergie en décembre 2020, nous assistons à une baisse des exportations étant passées de 62/65 milliards de mètres cubes gazeux à 51,5 en 2018, 43 en 2019, 41 en 2020, espérant un niveau de 43/44 pour 2021. Pour maintenir ses capacités d’exportation, l’Algérie doit s’orienter vers les énergies renouvelables, avoir une nouvelle politique d’efficacité énergétique, revoir sa politique de subventions et avoir des accords de partenariat d’exploitation à l’extérieur du pays expliquant l’intérêt porté à ce projet.

2.-La rentabilité du projet Nigeria Europe, suppose quatre  conditions. Premièrement, la mobilisation du financement, alors que les réserves de change sont à un niveau faible tant pour le Nigeria que pour l’Algérie. Selon une étude de l’Institut français des Relations Internationales IFRI en 2018, le coût initial est passé de 5 milliards de dollars en 2009, à 19/20 milliards de dollars. Il faudra donc impliquer des groupes financiers internationaux, l’Europe principal client et sans son accord et son apport financier il sera difficile voire impossible de lancer ce projet. Deuxièmement, l’évolution du prix de cession du gaz et se pose cette question, la flambée actuelle du prix du gaz est-elle  conjoncturelle ou structurelle car la faisabilité du projet implique la détermination du seuil de rentabilité fonction de la concurrence d’autres producteurs, du coût et de l’évolution du prix du gaz. Troisièmement, la sécurité et des accords avec certains pays, le projet traverse plusieurs zones alors instables et qui mettent en péril sa fiabilité avec les groupes de militants armés du Delta du Niger qui arrivent à déstabiliser la fourniture et l’approvisionnement en gaz, les conséquences d’une telle action, si elle se reproduit, pourraient remettre en cause la rentabilité de ce projet. Il faudra impliquer les États traversés et négocier le droit de passage (paiement de royalties) donc évaluer les risques   d’ordre économique, politique, juridique et sécuritaire. .Quatrièmement, tenir compte de la concurrence internationale qui influera sur la rentabilité de ce projet. Les réserves avec de bas coûts, sont  de 45.000 pour la Russie, 30.000 pour l’Iran et plus de 15.000 pour le Qatar sans compter l’entrée du Mozambique en Afrique (4500 de réserves). Ne pouvant contourner toute la corniche de l’Afrique, outre le coût élevé par rapport à ses concurrents, le fameux gazoduc Sibérie-Chine, le Qatar et l’Iran, proches de l’Asie, avec des contrats avantageux pour la Chine et l’Inde, le gazoduc Israël-Europe en activité vers 2025, les importants gisements de gaz en Méditerranée (20.000 milliards de mètres cubes gazeux) expliquant les tensions entre la Grèce et la Turquie. Et l’Algérie est concurrencée même en Afrique, avec l’entrée en Libye, réserves d’environ 2000 milliards de mètres cubes non exploitées, et les grands gisements au Mozambique (plus de 4.500 milliards de mètres cubes gazeux), sans compter le Nigeria avec ses GNL. Outre les USA, premier producteur mondial avec le pétrole/gaz de schiste, avec de grands terminaux, ayant déjà commencé à exporter vers l’Europe, nous avons la concurrence en provenance de la mer Caspienne dont gazoduc  Trans Adriatic Pipeline (818 km ) concurrent direct de Transmed, qui achemine le gaz à partir de l’Azerbaïdjan qui traverse le nord de la Grèce, l’Albanie et la mer Adriatique  avant de rallier, sur 8 km, la plage de Melendugno au sud-est de l’Italie, opérationnel pouvant  transférer l’équivalent de 10 milliards de mettre cube par an.  Mais le plus grand concurrent de l’Algérie sera la Russie, avec des coûts bas où la capacité du South Stream de 63 milliards de mètres cubes gazeux, du North Stream1 de 55 et du North Stream2 de  55 milliards de mètres cubes gazeux, ce dernier en voie de régularisation, assouplissement de la position des USA, soit au total 173 milliards de mètres cubes gazeux en direction de l’Europe (Conférence/débats du Pr Abderrahmane Mebtoul, à l’invitation de la Fondation allemande Friedrich Ebert et de l’Union européenne 31 mars 2021). Ne pouvant contourner toute la corniche de l’Afrique, outre le coût élevé par rapport à ses concurrents, le fameux gazoduc Sibérie-Chine, le Qatar et l’Iran proche de l’Asie avec des contrats avantageux pour la Chine et l’Inde , et en Afrique , le retour de la Liby  (sans compter le pétrole 42 milliards de barils de réserves et 2000 milliards de mètres cubes gazeux non exploitées pour une population de 6 millions d’habitants), les grands gisements au Mozambique (plus de 4.500 milliards de mètres cubes gazeux), sans compter le Nigeria avec ses GNL, le marché naturel de l’Algérie, en termes de rentabilité, est l’Europe où la part de marché de l’Algérie face à de nombreux concurrents, en Europe est en baisse où selon le site «Usine Nouvelle», la Russie fournit 36% du gaz importé par l’Europe,  la Norvège (23%), les autres fournisseurs de GNL (10%) et l’Algérie 7/8%, presque le même niveau que le Qatar qui n’était qu’à 2% en 2000.

3.-Avec les tensions budgétaires que connait l’Algérie, il y a lieu d’être réaliste et ne pas vendre des rêves, pratiques du passé, qui ont conduit le pays à l’impasse que nous connaissons aujourd’hui. Comme démontré dans plusieurs contributions nationales/ internationales, si les projets du fer de Gara Djebilet est lancé en 2022, sa rentabilité ne se fera que dans cinq à sept années où pour  une exportation de 30.000 tonnes de fer brut au cours actuel et en tenant compte de la règle des 49/51% le profit net restant à l’Algérie  en retirant les coûts ne dépassera pas 1 milliard de dollars, il en est de même du phosphate de Tébessa, (selon le ministre de  l’Industrie en décembre 2020 déclaration reprise par l’APS le coûts de ces deux projets dépassant 15 milliards de dollars). Il faut donc descendre à l’aval de ces filières, contrôlées par quelques firmes, d’où la nécessité d’un partenariat gagnant/gagnant car nécessitant des investissements lourds de plusieurs milliards de dollars et à rentabilité à moyen terme. Quant à l’or, dont le montant avec des réserves de 173,6 tonnes, volume identique aux années 2005/2006, équivaut à environ 10 milliards de dollars, l’objectif étant d’atteindre une production de 500 kg d’or/an, ce qui donnerait au cours d’octobre 2021, de 1750 dollars l’once, donnant  un chiffre d’affaires de 25,3 millions de dollars. Or, comme dans la sidérurgie ou le phosphate, les charges sont très lourdes, sous réserve de la maîtrise des coûts, les normes internationales étant de 50% ce qui resterait comme profit net  environ 12,3 millions de dollars. Aussi, il y a lieu de ne pas  renouveler l’expérience malheureuse du  projet GALSI, Gazoduc Algérie-Sardaigne-Italie, qui devait être mis en service en 2012, d’un coût initial de 3 milliards de dollars et d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux, devant approvisionner également la Corse, qui est tombé  à l’eau suite à l’offensive du géant russe Gazprom, étendant ses parts de marché, avec des pertes financières de Sonatrach ayant consacré d’importants montants en devises et dinars pour les études de faisabilité (conférence à la chambre de commerce en Corse A. Mebtoul en 2012 sur le projet Galsi). En conclusion, ne parlons pas du projet gazoduc Nigeria-Maroc, repris par la presse internationale, irréalisable nécessitant, selon l’Institut de stratégie l’IRIS plus de 30 milliards de dollars d’investissement et plus de15 années pour la réalisation, le projet Algérie-Nigeria étant plus fiable. Entre  2021/2030, tout dépendra de l’évolution, de la demande qui sera fonction du nouveau modèle consommation énergétique mondial  qui s’oriente vers la transition numérique et énergétique avec un accroissement de la part du renouvelable, de l’efficacité énergétique et entre 2030/2040 de l’hydrogène qui déclassera   une grande part de l’énergie transitionnelle. Les nouvelles dynamiques économiques modifieront les rapports de force à l’échelle mondiale et affecteront également les recompositions politiques à l’intérieur des États comme à l’échelle des espaces régionaux. La stratégie gazière mondiale et notamment en Méditerranée principal, marché de l’Algérie, sera marquée par une concurrence acerbe, ne devant jamais oublier que dans la pratique des affaires et des relations internationales n’existent pas  de sentiments, mais, que des intérêts.

Par le Pr Abderahmane Mebtoul