Installation prochaine de la commission chargée d’une nouvelle politique des subventions: Posant un problème de sécurité nationale, dont l’essence est la cohésion sociale, sans une quantification précise de la sphère informelle, difficile de mener une politique cohérente des subventions ciblées

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Le concept de «secteur informel» apparaît pour définir toute la partie de l’économie qui n’est pas réglementée par des normes légales. En marge de la législation sociale et fiscale, elle a souvent échappé à la comptabilité nationale et donc à toute régulation de l’État, encore que récemment à l’aide de sondages, elle tend à être prise en compte dans les calculs du taux de croissance et du taux de chômage.

Par Abderrahmane Mebtoul Professeur des universités, expert international

Il y a lieu de différencier la sphère informelle productive qui crée de la valeur de la sphère marchande spéculative qui réalise un transfert de valeur. Après des promesses de  la majorité des gouvernements précédents, l’actuel   gouvernement se propose de mettre  en place prochainement une commission  sur les subventions ciblées. Mais est-ce possible sans quantifier sérieusement la sphère informelle qu’aucun gouvernement depuis l’indépendance politique, malgré des discours et des mesures administratives n’a pu éradiquer : où est le rapport promis qui devait être remis  au président de la  République par le Conseil économique et social  et le ministère du Commerce en 2020, au plus tard le 1er trimestre 2021. Évitons  de s’attaquer  aux apparences par le juridisme, et non à son essence c’est-à-dire le fonctionnement de la société et à la gouvernance renvoyant à d’importants enjeux tant internes (la corruption), que géostratégiques, notamment le trafic sous différentes formes. Lors d’une conférence de presse, récemment, le président de la République a lui-même reconnu que faute d’un système d’information fiable, il est difficile d’évaluer le montant de la sphère informelle donnant entre 6.000 et 10.000 milliards de dinars, circulant au niveau de cette sphère soit entre 33% et 47% du PIB.  Cette présente contribution est une brève synthèse de l’étude que j’ai dirigé en décembre 2013 pour l’Institut français des Relations internationales IFRI, sur les enjeux géostratégiques et de gouvernance de la sphère informelle, réactualisée dans la revue «Stratégie» de l’IMDEP/MDN en octobre 2019.

1- Les principaux déterminants de l’informalité L’économie informelle est réglée par des normes et des prescriptions qui déterminent les droits et les obligations de ses agents économiques ainsi que les procédures en cas de conflits ayant sa propre logique de fonctionnement qui ne sont pas ceux de l’Etat, nous retrouvant devant un pluralisme institutionnel/juridique contredisant le droit traditionnel enseigné aux étudiants d’une vision moniste du droit. Dans le fond, et pour une analyse objective et opérationnelle, on ne peut isoler l’analyse de la sphère informelle du mode de régulation mis en place c’est-à-dire des institutions et en Algérie.

L’extension de la sphère informelle est proportionnelle au poids de la bureaucratie qui tend à fonctionner, non pour l’économie et le citoyen, mais en s’autonomisant en tant que pouvoir bureaucratique. Dans ce cadre, il serait intéressant d’analyser les tendances et des mécanismes de structuration et restructuration de la société et notamment des zones urbaines, suburbaines et rurales face à la réalité économique et sociale, des initiatives informelles qui émergent impulsant une forme de régulation sociale. Cela permettrait de comprendre que face aux difficultés quotidiennes, le dynamisme de la population s’exprime dans le développement des initiatives économiques informelles pour survivre, ou améliorer le bien-être, surtout en période de crise, notamment pour l’insertion sociale et professionnelle de ceux qui sont exclus des circuits traditionnels de l’économie publique ou de la sphère de l’entreprise privée. Les déterminants de la sphère informelle peuvent être résumés comme suit :

1- la faiblesse de l’emploi formel. C’est un facteur qui explique l’évolution du secteur informel à la fois dans les pays développés et en développement. Ainsi, l’offre d’emplois formels sur le marché du travail ne peut plus absorber toute la demande car la population active, en particulier la main-d’œuvre non qualifiée, croit à un rythme accéléré.

2- lorsque les taxes sont nombreuses et trop lourdes, les entreprises sont incitées à dissimuler une partie de leur revenu. 3- le poids de la réglementation ou la complexité de l’environnement des affaires découragent l’enregistrement des entreprises. Lorsque le cadre institutionnel n’est pas propice à la création d’entreprises de manière formelle, les entrepreneurs préfèrent opérer dans le secteur informel et éviter le fardeau de la réglementation. 4- la qualité des services publics offerts par le gouvernement est un déterminant important du secteur informel car elle influence le choix des individus. Les individus actifs dans le secteur informel ne peuvent pas bénéficier des services publics (protection contre les vols et la criminalité, accès au financement, protection des droits de propriété). C’est l’un des inconvénients de ce secteur. 

5- comme résultante de la politique économique, le primat de la gestion administrative bureaucratique, au lieu de reposer sur des mécanismes économiques transparents et lorsque la monnaie est inconvertible, surévaluée, ménages et opérateurs formels et informels joue sur la distorsion du taux de change. Selon les rapports du FMI et de l’OIT, les taux d’informalité varient considérablement d’un pays à l’autre, allant de 30% dans divers pays d’Amérique latine à plus de 80% dans certains pays d’Afrique subsaharienne ou d’Asie du Sud-Est. Plus l’incidence de l’informalité est élevée et plus les pays en voie développement  sont vulnérables à des chocs, tels que la crise mondiale. D’où les aspects négatifs dont je recense deux éléments.

I- Le développement de l’évasion fiscale généralisée, le non-rapatriement des devises, la thésaurisation, la rétention de stocks, la fixation de prix fantaisistes, entraînent un profond dérèglement des fondations de l’économie nationale.

II- Le secteur informel favorise la corruption : plus la taille de l’économie informelle est conséquente, plus la corruption s’étend aux plus hauts niveaux et affecte l’esprit d’entreprise et le goût du risque, qui reculent lorsque les taux d’informalité sont élevés.  L’Organisation de Coopération et de Développement économique (OCDE) met en évidence l’impact de la corruption que celle-ci constituait «la principale menace qui plane sur la bonne gouvernance, le développement économique durable, le processus démocratique  avec des  flux financiers illicites et la question des transferts nets de ressources en provenance, notamment de l’Afrique dont le Maghreb : pots-de-vin,  fraude fiscale,  activités criminelles,  transactions de certaines marchandises de contrebande et d’autres activités commerciales illicites à travers les frontières». Les conséquences directes et indirectes de ces flux financiers illicites sont des contraintes majeures pour la transformation de l’Afrique tant du Nord que de l’Afrique noire. La corruption combinée aux risques et l’incertitude de l’économie nationale affaiblissent les mesures économiques et sociales mises en place, limitant la perspective d’une croissance plus inclusive.

2- La sphère informelle, la  gouvernance et comment l’intégrer La sphère informelle en Algérie est favorisée par l’instabilité juridique et monétaire : comment voulez-vous attirer les investisseurs  lorsqu’on prévoit une dévaluation du dinar entre 2022-2024 d’environ 20 à 25%, renvoyant au  manque de visibilité de la politique socio-économique. (voir audit sous la direction du professeur A. Mebtoul sur les carburants assisté des cadres de Sonatrach, d’experts  et du bureau d’études américain Ernst Young 2007-2008). Les entrepreneurs qu’ils soient nationaux ou étrangers demandent seulement à voir clair, du moins ceux qui misent sur le moyen et long terme (investissement inducteurs de valeur ajoutée contrairement à l’importation solution de facilité). Or, ils sont totalement désemparés face aux changements périodiques du cadre juridique, ce qui risque de faire fuir le peu de capitaux surtout en cette période de crise qui montre le rapatriement massif vers les pays d’origine et orienter les nationaux vers la sphère informelle. Que nos responsables visitent les sites où fleurit l’informel de l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud et ils verront que l’on peut lever des milliards de centimes à des taux d’usure, mais avec des hypothèques, car existe une intermédiation financière informelle. Les mesures autoritaires bureaucratiques produisent l’effet inverse et lorsqu’un gouvernement agit administrativement et loin des mécanismes transparents et de la concertation social, la société enfante ses propres règles pour fonctionner qui ont valeur de droit puisque reposant sur un contrat entre les citoyens, s’éloignant ainsi des règles que le pouvoir veut imposer. L’on devra éviter le mythe de la prolifération de lois. Pour réduire l’ampleur du secteur informel en vue de l’intégrer dans les économies nationales, de nombreuses mesures peuvent être envisagées. Toutes doivent prendre en compte le fait que le secteur informel est avant tout un substitut au manque d’offre de travail et que la concurrence déloyale qu’il mène au secteur formel handicape sérieusement le développement économique des pays. L’État doit, sur ce plan, procéder à la normalisation et la réglementation des réseaux de distribution. La normalisation des marchés, la mise en place de marchés de gros, la simplification des mesures d’enregistrement et de l’ensemble des procédures administratives, ainsi que l’élaboration avec d’une fiscalité adaptée, sont les défis les plus clairement cibles à relever. Mais il faudra, aussi, se pencher sur le niveau élevé des tarifs douaniers et la complexité des structures tarifaires, promouvoir des investissements dans le transport et les autres chaînes logistiques subsidiaires, pour diminuer le poids des échanges informels. Mais il faudra, avant toute chose, améliorer le niveau de l’éducation et s’atteler à une réduction des inégalités. L’éducation, en général, est la première étape pour réussir la transition vers le secteur formel. Les liens entre illettrisme et emploi non déclaré ne sont plus à démontrer. L’accent doit être mis particulièrement sur l’alphabétisation des femmes.  Sachant que l’économie informelle se développe avec la prolifération de l’externalisation de la sous-traitance et du travail occasionnel, il n’est pas surprenant de relever une forte présence des femmes dans le secteur informel, celles-ci ayant toujours eu recours au travail occasionnel ou au travail à domicile. Comme on ne peut isoler la sphère réelle de la sphère monétaire, où outre l’importance de la stabilité juridique,  la dévaluation du dinar entre 2022-2024 prévue par la loi de finances 2022 accroît l’extension de la sphère informelle et les activités spéculatives, étant plus profitable de spéculer sur l’euro ou le dollar que de se lancer dans des projets  dont la rentabilité est à moyen terme.  Par ailleurs, en l’absence de mécanismes de régulation et de contrôle, les prix des produits de large consommation connaissent, des augmentations sans précédent, les discours gouvernementaux et les organisations censées sensibiliser les commerçants ayant peu d’impacts, les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques. Un grand nombre d’intermédiaires entre le producteur et le consommateur (agriculture et industries tant pour la production locale que pour les importations) prend des marges non proportionnelles aux services rendus, ce qui fait que le contrôle sur le détaillant ne s’attaque pas à l’essentiel.  Or, la sphère informelle contrôle les segments des fruits et légumes, de la viande, celui du poisson, du textile-chaussures ayant un impact sur le pouvoir d’achat de la majorité des citoyens.

L’utilisation de divers actes administratifs de l’Etat à des prix administrés, transitent également par ce marché, procurant des rentes, grâce au poids de la bureaucratie qui trouve sa puissance par l’extension de cette sphère informelle. Cela pose la problématique des subventions généralisées qui ne profitent pas toujours aux plus défavorisées.En résumé, c’est faute d’une compréhension du fonctionnement réel de la société, que certains reposent leurs actions sur des mesures seulement pénales de peu d’effets. La sphère informelle intimement liée à la logique rentière,  servant à court  terme de tampon  social, contrôle des pans entiers  de l’économie  utilise des billets de banques au lieu de la monnaie scripturale (chèques) ou électronique faute de confiance. La dominance de la sphère informelle, dont l’essence renvoie au mode de gouvernance,  entretient des liens dialectiques avec les malversations,  expliquant  que des mesures bureaucratiques ont peu d’effets pour son intégration. Aussi sans un système d’information fiable et la quantification de la sphère informelle (des revenus informels consolidés non déclarés) la politique des subventions ciblées  peut connaître des effets pervers pénalisant les revenus fixes déclarés, notamment les couches  moyennes.

A. M.

(ademmebtoul@gmail.com)