Laghouat   La « Touiza », une tradition séculaire qui tombe peu à peu dans  l’oubli

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 La tradition de solidarité séculaire dite  « Touiza », ancrée dans la société laghouatie pour toute activité collective,  tombe progressivement dans l’oubli, du fait des profondes mutations que  connait la société.

Bien qu’elle ait été très répandue et ait résisté à divers fléaux et  phénomènes étrangers à la société durant des siècles, cette valeur  d’entraide collective semble être affectée par le modernisme et ses  répercussions. Faisant partie du riche patrimoine ancestral marquant les couches  sociétales dans les différentes régions de la wilaya de Laghouat, cette  tradition se renouvelait chaque saison lors des campagnes de  moissons-battages, menées par les groupes d’agriculteurs armés de leurs  faucilles et faux, dans une ambiance rythmée par des Madih (chants  religieux) collectifs louant Dieu et l’implorant pour une production  abondante.

Nostalgie de rencontres amicales et du bon vieux temps

 Des personnes âgées et d’autres ayant vécu ces années d’or de la Touiza se  rappellent encore, avec nostalgie, les bienfaits et valeurs de cette  tradition que d’aucuns ne peut contester l’efficacité de ce legs séculaire  dans l’entraide et la cohésion sociale. El-Hadj Mustapha, habitant du quartier « El-Wiam » à Laghouat, n’a pas  manqué d’évoquer les anciennes valeurs sociétales, imprégnées de sincère et  bonne foi « Niya », dont la Touiza, ajoutant que « le pénible et  l’impossible » ne figuraient guère dans le jargon de l’époque, grâce aux  actions de solidarité et aux efforts collectifs, et qu’aucune circonstance  et occasion, fête ou deuil, ne se passaient sans être marquées par les  élans d’assistance ou de soutien. Pour El-Hadj Mohamed Rokbi, éleveur transhumant dans la partie nord de la  wilaya de Laghouat, la Touiza ne se limitait pas aux activités agricoles  (semailles et moissons), mais s’étendait à toute action de bénévolat et  initiatives caritatives notamment. L’élan de solidarité se traduisait aussi bien par l’acte que par la bonne  idée, de concertation avec les pairs qui s’impliquent spontanément dans les  travaux d’utilité collective.

Disparition de la Touiza, extinction des valeurs d’entraide sociale

 Des chercheurs et des acteurs de la société civile sont unanimes à  reconnaitre que la disparition de la « Touiza » de la vie sociétale,  constitue un indicateur de dislocation de la société et d’extinction des  valeurs de l’entraide sociale. Ainsi, Trif Atallah, chercheur en communication sociétale à l’université  de Laghouat, estime que la disparition graduelle du phénomène de la  « Touiza » intervient dans le contexte des mutations de la société, dans  l’évolution des centres d’intérêt et des comportements, attribuant aussi  l’abandon du bénévolat à l’influence des médias dans le changement du mode  de vie vers l’individualisme et donc l’isolement. L’esprit de solidarité ayant régné auparavant, faisant de l’amitié une  complémentarité et du bon voisinage une défense, s’est éclipsé peu à peu  devant la domination des nouvelles technologies et de la machine,  annihilant l’effort physique, à l’exemple de la moissonneuse-batteuse, qui  a remplacé l’effort communautaire dans la collecte de la récolte écartant  ainsi la Touiza dans ce genre d’activités agricoles, a-t-il expliqué. La wilaya de Laghouat a mobilisé cette année 26 moissonneuses, 19 du  secteur privé et le reste relevant de la Coopérative des céréales et  légumes secs (CCLS), par souci d’assurer la réussite de la campagne  moisson-battage, illustrant largement l’intérêt accordé à la machine qui,  autres temps autres mœurs, semble se substituer à l’effort humain  collectif.

Ali O