Mémorandum d’entente signé le 28 juillet 2022 entre l’Algérie-Nigeria-Niger du projet Trans-Saharien Gas-Pipeline vers l’Europe: Quelles perspectives pour la stratégie énergétique régionale ?

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L’ Algérie a abrité le 28 juillet 2022  une réunion des ministres en charge de l’Energie des trois pays, concernés par le projet Trans-Saharien Gas-Pipeline (TSGP), ayant signé un mémorandum d’entente, et dont l’idée date des années 1980,  Algérie-Niger-Nigeria, l’objet  étant l’examen de l’état d’avancement de la mise en œuvre de la feuille de route arrêtée à Abuja (Nigeria).

Par Abderrahmane Mebtoul Professeur des universités Expert international

Comme le démontre une étude de l’IRIS-Paris,  du 19 août 2021, le gazoduc reliant le Nigeria à l’Europe, principal client qui doit se prononcer également sur ce projet, et donc avoir leur aval, est l’objet d’enjeux géostratégiques importants pour la future carte énergétique au sein de la  région, ayant donc des incidences géostratégiques. C’est donc un projet énergétique qui risque de bouleverser la donne dans le marché gazier entre l’Afrique et l’Europe qui reliera les champs gaziers du sud-est du Nigeria (Delta du Niger) aux terminaux algériens de la côte méditerranéenne pour être relié ensuite à l’Europe, d’une capacité dépassant entre 30/33 milliards de mètres  cubes gazeux. Cette réunion  intervient dans un contexte géopolitique et énergétique marqué par une forte demande sur le gaz et le pétrole et les tensions entre l’Ukraine et la Russie.

1 – Les les réserves prouvées de gaz naturel au Nigeria  sont estimées à 5300 milliards  de mètres cubes gazeux. Le  gazoduc Nigeria Algérie de 4128 km, d’un coût estimé par la commission européenne qui est passé de 5 milliards de dollars au début de l’entente  à  19/20 milliards de dollars pour une durée de réalisation minimum 5 année après le début du lancement, d’une  capacité annuelle de trente milliards de mètres cubes devant partir  de Warri au Nigeria pour aboutir à Hassi R’mel, en passant par le Niger dont l’idée a germé dans les années 1980, l’accord d’entente ayant été signé le 3 juillet 2009.  Rappelons qu’actuellement, les  exportations de l’Algérie se font grâce au GNL qui permet une souplesse dans les approvisionnements des marchés régionaux pour 30% et  par canalisation pour 70%. L’Algérie possède trois canalisations. Le TRANSMED, la plus grande canalisation d’un looping GO3 qui  permet d’augmenter la capacité  de 7 milliards de mètres cubes  auxquels s’ajouteront aux 26,5 pour les GO1/GO2 permet une capacité de 33,5 milliards de mètres cubes gazeux. Il  est d’une longueur  de  550 km sur le territoire algérien et  370 km sur le territoire tunisien,  vers l’Italie. Nous avons le MEDGAZ  directement vers l’Espagne à partir de Beni Saf au départ d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux qui après extension  la capacité a été portée à 10,5 milliards de mètres cubes gazeux.  Nous avons le GME via le Maroc dont  l’Algérie a décidé d’abandonner,  dont le contrat s’étant achevé le 31 octobre 2021,  d’une longueur de 1300 km, 520 km de tronçon marocain, la capacité initiale étant de 8,5 milliards de mètres cubes ayant  été porté en 2005 à 13,5 de milliards de mètres cubes gazeux. Le projet NIGAL  est stratégique pour l’Algérie, selon  différents rapports du ministère de l’Energie où en 2021, les  réserves de pétrole sont évaluées, selon la déclaration du ministre algérien  à 10 milliards de barils et entre 2200 et 2500 milliards de mètres cubes gazeux pour le gaz traditionnel, où les exportations ont été d’environ 43 milliards  mètres cubes gazeux en 2021 contre 65  entre 2006/2007, la consommation intérieure dépassant les 40 milliards de mètres cubes gazeux en 2021 et, selon le PDG  de Sonelgaz (source APS) 48 en 2025  et  près de 70/80% de la production actuelle horizon 2030, en cas  où de nouvelles découvertes substantielles n’auraient pas lieu. D ’où l’importance   d’une vision stratégique globale combinant une nouvelle politique  de subventions ciblées, accélérer l’efficacité énergétique par plus de  sobriété, dynamiser les énergies renouvelables qui représentent en 2021 seulement 1% de la consommation intérieure et dynamiser l’investissement dans ce secteur.

2 – La rentabilité du projet Nigeria Europe, suppose cinq conditions pour l’axe Nigeria Niger Algérie-Europe d’un coût estimé par l’Institut français des relations internationales d’environ 20 milliards de dollars pour une durée de réalisation entre 4/5 ans, étant donc plus rentable que le projet que veut initier le Maroc,  coût de plus de  30 milliards de dollars  d’une durée de 9/10 ans et traversant 10 pays (voir A. Mebtoul – interview à la télévision Ennahar  29/07/2022). Premièrement, la mobilisation du financement, alors que les réserves de change sont à un niveau relativement faible fin 2021, pour l’Algérie de 44 milliards de dollars  et le Nigeria 33 milliards de dollars pour 210 millions d’habitants, nécessitant  d’impliquer des groupes financiers internationaux, l’Europe principal client et sans son accord et son apport financier il sera difficile voire impossible de lancer ce projet.

Deuxièmement,  l’évolution du prix de cession du gaz  car comme le souligne le PDG  de Sonatrach, Intervenant lors du Forum de la Chaîne 1 de la Radio nationale, le 12 septembre 2021 a précisé  que la faisabilité est   liée à l’étude du marché au vu de la baisse du prix du gaz, ce qui pourrait, selon Sonatrach, «influer sur la prise de décision de lancer un tel investissement», d’où la démarche de lancer une étude du marché pour déterminer la demande sur le gaz avant de trancher sur l’opportunité de s’engager dans ce projet». Cette faisabilité implique la détermination du seuil de rentabilité en fonction de la concurrence d’autres producteurs, du coût et de l’évolution du prix du gaz. Troisièmement, la sécurité et des accords avec certains pays,  le projet traverse plusieurs zones alors instables et qui mettent en péril sa fiabilité avec les groupes de militants armés du Delta du Niger qui arrivent  à déstabiliser la fourniture et l’approvisionnement en gaz, les conséquences d’une telle action, si elle se reproduit, pourraient être remettre en cause la rentabilité de ce projet. Il faudra   impliquer les États traversés où il faudra négocier pour le droit de passage (paiement de royalties) donc  évaluer les risques   d’ordre économique, politique, juridique et sécuritaire. Quatrièmement,  pour la faisabilité du projet NIGAL la demande future sera  déterminante, la production mondiale de gaz naturel s’étant  élevée à 3890 milliards de m3 (Gm3) en 2020 selon Cedigaz, soit 115 Gm3 de moins qu’en 2019 (- 2,9%), environ 22% du Mix énergétique et surtout  la demande européenne où sa dépendance pourrait atteindre,  près de 70% de la consommation totale d’énergie, soit 70% pour le gaz naturel et 90% pour le pétrole, selon les estimations de la Commission européenne.  Cinquièmement, la concurrence internationale qui influe sur la rentabilité de ce projet. Les réserves avec de bas coûts, sont  de  45 000 pour la Russie, 30 000 pour l’Iran et plus de 15 000 pour le Qatar, l’Algérie étant concurrencée en Afrique par la  Libye, les réserves d’environ 2000 milliards de mètres cubes non exploitées, et 42 milliards de barils de pétrole et les grands gisements au Mozambique (plus de 4500 milliards de mètres cubes gazeux). Et sans oublier le fameux gazoduc Sibérie-Chine, 10% le Qatar et l’Iran, proches de l’Asie, avec des contrats avantageux pour la Chine et l’Inde, le gazoduc Sibérie/Chine le gazoduc Israël-Europe, les importants gisements de gaz en Méditerranée (20 000 milliards de mètres cubes gazeux) expliquant les tensions entre la Grèce et la Turquie. Outre les USA, premier producteur mondial avec le pétrole/gaz de schiste, avec de grands terminaux, ayant déjà commencé à exporter vers l’Europe, nous avons la concurrence en provenance de la mer Caspienne dont   le gazoduc  Trans Adriatic Pipeline (818 km ) à partir de l’Azerbaïdjan qui traverse le nord de la Grèce, l’Albanie et la mer Adriatique  avant de rallier, sur 8 km, la plage de Melendugno au sud-est de l’Italie,  opérationnel pouvant  transférer l’équivalent de 10 milliards de mètres cubes par an. Qu’en sera t-il des impacts  énergétiques sans compter le problème de la sécurité alimentaire  des  tensions actuelles en Ukraine où l’Europe dépend en 2021 de 47% de ses approvisionnements en gaz de la Russie, avec des coûts bas où la capacité du South Stream de 63 milliards de mètres cubes gazeux, du North Stream1 de 55 et du North Stream2 (gelé)  de  55 milliards de mètres cubes gazeux, soit au total 173 milliards de mètres cubes gazeux en direction de l’Europe (Conférence/débats du Pr Abderrahmane Mebtoul, à l’invitation de la Fondation allemande Friedrich Ebert et de l’Union européenne 31 mars 2021). Ne pouvant contourner toute la corniche de l’Afrique, outre le coût élevé par rapport à ses concurrents, le Qatar et l’Iran proche de l’Asie avec des contrats avantageux pour la Chine et l’Inde, le marché naturel de l’Algérie, en termes de rentabilité, étant  l’Europe où la part de marché de l’Algérie face à de nombreux concurrents, en Europe est  d’environ 11% en 2021, mais sous réserve de plusieurs conditions  pouvant  horizon  2025/2027 atteindre 25%.

3 – La première condition  concerne l’amélioration de l’efficacité énergétique et une nouvelle politique des prix renvoyant au dossier de subventions. (voir l’audit sous notre  direction  assisté du bureau d’études américain Ernst & Young et des cadres de Sonatrach pour une nouvelle politique des carburants  MEM Alger 8 volumes 780 pages 2008). Par exemple, en cédant le gaz à environ 10/20% du prix international à certaines unités fortement consommatrice d’énergie, on leur donne une rente, au détriment du Trésor public,  impliquant  une  coordination  entre le ministère de l’Habitat  et celui de l’Énergie : où avec deux millions de logements annoncés,  selon les méthodes traditionnelles, il faudra au moins deux climatiseurs par appartement,  alors que les  nouvelles techniques de construction peuvent économiser 30/40% d’énergie.   La deuxième condition est relative  à l’investissement à l’amont pour de nouvelles découvertes d’hydrocarbures traditionnels, Sonatrach ayant acquis un savoir-faire, devant  investir à l’international ; la troisième condition, est liée au développement des énergies renouvelables (actuellement dérisoire moins de 1% de la consommation globale) devant combiner le thermique et le photovoltaïque le coût de production mondial a diminué de plus de 50% et il le sera plus à l’avenir. Avec plus de 3000 heures d’ensoleillement par an, l’Algérie a tout ce qu’il faut pour développer l’utilisation de l’énergie solaire, l’objectif étant de couvrir par  cette énergie 30/40% de la consommation interne à l’ horizon 2030/2035. Mais pour atteindre cet objectif il faudra, selon certaines études techniques investir environ 60 milliards de dollars, d’où l’importance d’un partenariat gagnant- gagnant afin de pouvoir à travers des interconnexions exporter vers l’Europe et l’Afrique espace naturel de l’Algérie ; la quatrième condition, selon la déclaration de plusieurs ministres de l’Énergie entre 2013/2020,  l’Algérie compte construire sa première centrale nucléaire en 2025 à des fins pacifiques, pour faire face à une demande d’électricité galopante. Mais cela nécessitera, pour éviter des effets pervers  une formation  pointue ;   la cinquième condition,  est le développement du pétrole/gaz de schiste, (voir audit sous la direction du Pr Mebtoul opportunités et risques  8 volumes 1050 pages premier ministère 2015), l’Algérie possédant  le troisième réservoir mondial, d’environ 19 500 milliards de mètres cubes gazeux. Mais cela  nécessite, outre un consensus social interne, de lourds investissements, la maîtrise des nouvelles technologies qui protègent l’environnement et des partenariats avec des firmes de renom (voir audit sous ma direction pétrole/gaz de schiste opportunités et risques) ; la sixième condition est la réactivation du projet   gazoduc Algérie-Sardaigne-Italie, qui devait être mis en service en 2012 d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux (voir ma conférence google.com 2012 à la chambre de commerce de Corse  suite à ma mission de Sardaigne pour défendre ce projet et qui a été gelé par la partie italienne) ; la septième  condition  est  l’accélération de la réalisation du gazoduc Nigeria-Europe via l’Algérie, où l’idée de projet date vers les années 1980,  d’une capacité de plus de 33 milliards de mètres cubes gazeux, mais nécessitant, environ 20 milliards de dollars et l’accord de l’Europe principal client. Mais le gouvernement nigérien doit éviter des discours contradictoires de ses  différents responsables  soit le Maroc dont le coût avoisine 30 milliards de dollars et celui de l’Algérie environ 20 milliards de dollars, estimation entre 2019/2020 et dont le coût pourrait évoluer  ;  la huitième condition est le développement de l’hydrogène. Comme énergie du futur horizon   2030/2040, l’atout de l’hydrogène est sa grande densité énergétique, un kg permettant de stocker trois fois plus d’énergie qu’un kilo d’essence, et cent fois plus que les meilleures batteries électriques.

En résumé, il ne faut pas se focaliser uniquement sur le projet du gazoduc Nigeria-Algérie, mais avoir une vision globale de la politique énergétique future.  Le monde s’oriente inéluctablement vers un nouveau modèle de consommation énergétique fondé sur la transition énergétique. L’énergie, autant que l’eau, est au cœur de la souveraineté des États et de leurs politiques de sécurité. Les nouvelles dynamiques économiques modifieront les rapports de force à l’échelle mondiale et affecteront également les recompositions politiques à l’intérieur des États comme à l’échelle des espaces régionaux.

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