Commémoration: Le regretté Sirat Boumédiène, géant de «l’humour noir»

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Le comédien disparu Sirat Boumédiène, géant de l’humour noir, demeure dans le cœur des Algériens, autant que ses œuvres théâtrales, télévisuelles et cinématographiques, comme star de premier rang dans l’histoire de l’art algérien, 27 ans après sa mort, s’accordent à dire des hommes de culture ayant côtoyé le défunt artiste.

Né en 1947 à Oran, Sirat Boumédiène a passé l’essentiel de sa vie sur scène et devant les écrans, à donner du spectacle et à conquérir les spectateurs qui ont tant admiré, notamment son interprétation du rôle de Djelloul El Fhaimi dans la trilogie El Adjwad de Abdelkader Alloula et dans la pièce El Balaaout de Boualem Hadjouti, ainsi que son ingéniosité à incarner des personnages dans Ayech Belhef et Chaïb El Khedim et dans des films. Décédé le 20 août 1995, le regretté artiste a été attiré par pure hasard au théâtre, découvert par le grand dramaturge Ould Abderrahmane Kaki qui lui confia des rôles dans El Guerrab wa Salihine, Diwan Mlah, avant de participer aux pièces théâtrales Elli kla yekhales et El Balaaout de Boualem Hadjouti et des œuvres immortelles de Abdelkader Alloula et ensuite dans Sayyad El Melh de Bouziane Benachour, a rappelé le metteur en scène, Ghaouti Azri. Il participa aussi à la plupart des œuvres théâtrales produites par le théâtre régional d’Oran (TRO) où il fut appelé par ses proches par le surnom «Didene». Au TRO, il a interprété des rôles avec intelligence et professionnalisme, réussissant à incarner comme il faut les personnages qui lui sont confiés et se distinguant par sa capacité créative, qui lui a valu le prix du meilleur rôle masculin au Festival international du théâtre de Carthage (Tunisie) en 1986 devant la concurrence du grand comédien égyptien Abdellah Ghaith, monté alors sur scène pour le féliciter, a-t-on évoqué. Autodidacte et n’ayant pas de formation académique dans le théâtre, Sirat maîtrisait l’art sur scène comme acteur complet grâce à son talent, car il déployait de grands efforts pour se surpasser. Sa présence sur scène avait un goût spécial et faisait l’exception dans les règles du théâtre, a souligné le directeur du TRO Abdelkader Alloula d’Oran, Mourad Senoussi. Pour sa part, le metteur en scène Belfadel Sidi Mohamed qualifie Sirat Boumédiène «d’artiste très modeste, en contact avec toutes les jeunes formations amateurs». «Il n’était pas stéréotypé et s’appliquait à concevoir les personnages avant de camper leurs rôles sur scène ou devant la caméra, à la hauteur des réalisateurs qui l’engageait. En réalité, il faut lever le chapeau à cet artiste qui excellait dans la comédie noire, tant il utilisait tous les muscles du visage et des mimiques pour mettre en évidence une situation, un état psychique ou pour véhiculer un message dans un style humoristique tout en préservant l’aspect sérieux du sujet», a témoigné Belfadel. Bien qu’il ait participé à des œuvres de la troupe théâtrale El Kalaa d’Alger, il appelait à poursuivre d’exercer dans le théâtre public et à ne pas favoriser les œuvres à but lucratif qui perdent leur lustre artistique et esthétique, a indiqué le professeur Aïssa Ras El ma du département des arts à l’université d’Oran 1 «Ahmed Ben Bella».

De la scène à la caméra La réussite à la télévision et au cinéma, notamment dans les deux séries Ayech Belhef et Chaïb El Khedim lui a valu une grande popularité. Ces deux œuvres constituent des chefs-d’œuvre ancrés dans la mémoire artistique des amateurs du petit et grand écran de la génération des années 90 du siècle dernier. Dans ce sens, le réalisateur de télévision Mohamed Houidek, qui a réalisé Ayech Belhef produit par la station de télévision d’Oran en 1992, a affirmé que ces séries avaient acquis une grande popularité grâce au talent de Sirat Boumédiène, connu pour son humour, sa créativité et sa capacité à camper les rôles de plusieurs personnages dans une seule œuvre et à se déplacer librement et sans difficulté devant la caméra. «C’était intéressant de travailler avec Sirat Boumédiène, qui a donné sa touche personnelle à l’œuvre», a déclaré le même réalisateur, soulignant que l’Algérie a donné naissance à deux génies dans l’interprétation de plusieurs personnages sur une même scène, à savoir Hassan El Hassani dit «Boubagra» et Sirat Boumédiène. Estimant qu’il est rare de trouver des acteurs pareils, il plaide pour une exposition des œuvres de Sirat et d’un débat au profit des jeunes générations. L’actrice Malika Youssef, qui a travaillé avec Sirat dans cette série, confie qu’il était un artiste irremplaçable et un phénomène artistique hors-pair. «Il représentait un cas particulier dans le monde de la comédie et fut un acteur extraordinaire qui comprend rapidement le texte et ses dimensions et étudie en profondeur le personnage qu’il interprète. J’ai vraiment beaucoup profité de sa prestation et de ses conseils», s’est-elle exprimée. L’expérience de Sirat à la télévision a été aussi couronnée de succès dans l’œuvre Chaïb El Khedim du réalisateur Zakaria qui traitait, dans un style humoristique et instructive, un phénomène de société. Il trouva alors que l’image a plus d’impact que toute autre expression artistique, surtout qu’ il n’avait rien d’artificiel, a estimé le critique cinématographique Aïssa Ras El Ma. «L’artiste défunt utilisait le silence artistique dans certaines séquences télévisuelles et inématographiques. En interprétant un rôle, il se taisait plus qu’il parlait et refusait le scénario où il y avait trop de dialogue le considérant comme du remplissage et supprimait beaucoup dans le dialogue, ce qui lui a valu de voler la vedette dans plusieurs œuvres», a ajouté le même critique.    Sirat Boumédiène a joué dans d’autres œuvres cinématographiques dont Les cendres de Abdelkrim Baba Aïssa, Hassan Niya de Ghaouti Bendeddouche et L’image de Hadj Rahim, dernière œuvre de l’acteur qui a gagné l’admiration du public. A noter que l’Association culturelle «El Amel» d’Oran organise, depuis fin juillet dernier, un mois en l’honneur du regretté grand homme de théâtre, Sirat Boumédiène. Cette initiative propose au public des représentations du genre Stand up chaque samedi à Oran au Théâtre de Poche relevant de cette association. Cette manifestation, qui s’étale jusqu’au 20 août sous le slogan «Sirat Boumédiène est de retour ce mois-ci», constitue une occasion de découvrir de nouveaux talents pour enrichir le mouvement théâtral à Oran sur les pas des géants du théâtre algérien, a souligné le président d’association, le dramaturge Mohamed Mihoubi.

Une vie dédiée à la passion du théâtre De Djelloul Lefhaïmi qui court pour exorciser ses craintes et crier son indignation, à Chaïb Lakhdim qui pose un miroir sans complaisance face à sa société, Sirat Boumédiène, comédien de génie, aura brillé à l’écran et sur les planches durant une courte et éclatante carrière qu’il aura partagé avec son public et les plus grandes figures du théâtre algérien. Parti trop tôt en 1995 alors qu’il n’avait que 48 ans, Sirat Boumédiène avait voué sa vie entière à la scène et à l’actorat exprimant, sur les planches et à l’écran, son besoin viscéral de multiplier les interprétations et de créer sans cesse de nouveaux personnages pour analyser sa société dans un habillage comique avec d’autres grandes figures du 4e art algérien. Né en 1947 à Oran, il avait débuté comme agent administratif du Théâtre régional de sa ville, avant que le grand dramaturge Ould Abderrahmane Kaki ne lui mette le pied à l’étrier en 1966 en le distribuant dans la célèbre pièce de théâtre El Guerrab Wessalhine grâce à laquelle une brillante carrière a débuté et une nouvelle étoile est apparue sur les planches. Un autre fils prodige de la ville d’Oran va également sceller une longue collaboration avec ce comédien d’exception, Abdelkader Alloula va lui confier des rôles dans El Algue, El Khobza, Hammam Rabbi, Litham, Toufah, El Meïda ou encore la célèbre Ladjoued, une pièce qui va le mener, en 1986, aux Journées du théâtre de Carthage en Tunisie où il rafle le prix du meilleur comédien au célèbré acteur égyptien Abdallah Gheïth. Cette collaboration avec cette figure du théâtre de la Halqa va se poursuivre quand en 1990 Sirat Boumédiène va rejoindre la coopérative «1er mai» créée par Abdelkader Alloula. Avec la création de nombreuses coopératives de théâtres Sirat Boumédiène va également rejoindre en 1992 le fameux Théâtre de la Qalâa qui comptait des praticiens de renom comme les regrettés Sonia (1953-2018), Sakina Mekkiou de son vrai nom, Azzeddine Medjoubi (1945-1995) ou encore Mhammed Benguettaf (1939-2014). A la même époque il entre dans les foyers des algériens avec la série Aâyech Bel Haf et son succès connu de tous Chaïb Lekhdim où il crée et interprète de très nombreux personnage pour montrer à la société ses propres tares et en analyser les phénomènes et l’évolution. Au cinéma, le prodige avait fait sa première apparition sur les écrans en 1975, aux côtés des fameux Yahia Benmabrouk (1929-2004) et Hadj Abderrahmane (1940-1981) dans L’inspecteur Tahar marque un but, avant d’être distribué dans des œuvres comme Sous les cendres de Abdelkarim Baba Aïssa ou encore Hassan Nya réalisé par Ghaouti Ben Deddouche à la fin des années 1980 avec le grand Rouiched à l’affiche. Il va également collaborer avec Belkacem Hadjadj dans Le voisin et malgré la maladie participer à un dernier film, Le portrait, en 1994 avec, entre autres Fatiha Berber (1945-2015) et Omar Guendouz (1950-2021) sous la direction de Hadj Rahim (1934-2017). Jusqu’à ses derniers jours, rongé par la maladie, Sirat Boumédiène continuait de rendre hommage à son acolyte Abdelkader Alloula, assassiné en mars 1994 par la main de la violence terroriste, il avait rejoué de nombreuses fois ses œuvres sur les planches, avant de succomber à son mal le 20 août 1995.

R. C. /Ag.