Quelle est la rentabilité du fer de Gara Djebilet ?

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Par Abderrahmane Mebtoul Professeur des universités Expert international

L’objet de cette brève contribution est d’éclairer, objectivement, loin des utopies néfastes, l’opinion publique sur la rentabilité du projet de Gara Djebilet.

1 – Le fer de la mine de Gara Djebilet, projet datant de 1974, des dizaines d’études réalisés ayant coûté des dizaines de millions de dollars sans résultats pour l’instant, où les réserves sont estimées à 3,5 milliards de tonnes, dont 1,7 milliard de tonnes sont exploitables avec une teneur de 58,57% de fer donc hautement rentables du fait que les cours des matières premières ont connu une hausse substantielles ces dernières années. Car, il y a lieu de ne pas confondre les réserves prouvées de fer avec les gisements exploitables rentables, selon les vecteurs coûts/prix et la concurrence internationale. Il existe de par le monde des réserves dites pauvres dont la teneur est de 30% et moins, difficilement rentables, des gisements avec une teneur entre 30 et 50%, avec une rentabilité moyenne et des gisements riches dont la teneur est supérieur à 50% très rentable. Par ordre, selon les données internationales du 1er janvier 2000 nous avons l’Australie 45 000 millions de tonnes, le Brésil 29 000, la Russie 25 000, la Chine 20 000 et le reste du monde 18 000, les principaux États producteurs de minerai de fer tant la Chine, l’Australie, le Brésil, l’Inde, et la Russie.   Quatre-vingts pour cent du fer sert à la production d’acier, produit à très forte valeur ajoutée où 2019/2020 les 14 principaux producteurs d’acier sont la Chine : 928,3 Mt, soit la moitié de la production mondiale, l’Inde : 106,5 Mt, le Japon : 104,3 Mt, les États-Unis : 86,6 Mt, la Corée du Sud : 72,5 Mt , la Russie : 71,7 Mt, la Turquie : 37,3 Mt , le Brésil : 34,9 Mt, l’Italie : 24,5 Mt, l’Iran : 24,5 Mt, Taïwan : 23,2 Mt, l’Ukraine : 21,1 Mt, le Mexique : 20,2 Mt et la France : 15,4 Mt. Qu’en est-il de la rentabilité ? Le 29 juillet 2022 , le  cours moyen du fer  est en moyenne 130 $ la tonne  alors que le cours de l’acier est de 1020 $ la tonne ayant chuté  la fin juillet pour s’établir le 28 juillet 2022 à 855 $ la tonne, l’inox  4090 $ la tonne, le zinc 3550, l’aluminium 2510 $ la tonne  et le cuivre  8830 $ la tonne. Si on se limite pour l’Algérie à l’exportation du fer brut, au cours   du 29 juillet 2022, pour une exportation brute de 30 millions de tonnes, nous aurons un chiffre d’affaires de  3,90 milliard de dollars. Ce montant c’est le chiffre d’affaire et non le profit net auquel on doit soustraire les coûts très élevés représentant environ 50% du chiffre d’affaires, soit 1,95 milliards de dollars,  à se partager, selon la règle des 49/51%, avec le partenaire étranger restant à l’Algérie pour le profit net 995 millions de dollars. Pour avoir une plus grande valeur ajoutée, produire l’acier  et l’inox par exemple. Il faut donc descendre à l’aval de la filière, mais nécessitant des investissements lourds et à rentabilité à moyen terme. C’est que l’exploitation du fer de Gara Djebilet dont les études datent depuis 1970/1974 au moment où j’étais jeune conseiller du ministre de l’Industrie et de l’Énergie de 1973/1979, nécessitera de grands investissements dans les centrales électriques, des réseaux de transport, une utilisation rationnelle de l’eau, des réseaux de distribution qui fait défaut du fait l’éloignement des sources d’approvisionnement, tout en évitant la détérioration de l’environnement, les unités comme pour le phosphate étant très polluantes. Et là on revient à la ressource humaine et à un bon management stratégique, pilier de tout processus de développement.

2 – Or, nous assistons depuis des décennies à une véritable cacophonie. En décembre 2013 l’agence officielle APS  annonce que  pour exploiter le gisement de Gara Djebilet situé à 130 km au sud-est de Tindouf et à 1600 km au sud de la côte ouest, il y a création  de la société minière  pour nom Société nationale du fer et de l’acier (Feraal SPA), dotée d’un capital de 200 millions de dinars,  détenue à hauteur de 55% par Sonatrach à travers son holding Sonatrach, les activités industrielles externes (AIE), par le groupe industriel minier Manal, Manadjim El Djazaïr à hauteur de 25% et par le groupe Sider à hauteur de 20%. Que l’investissement dédié au projet  étant de 15 milliards de dollars y compris pour les moyens de transport du minerai par voie ferrée ou par pipe sur 1600 km, distance qui sépare les gisements de la côte ouest du pays. Dans sa phase d’exploitation, le projet permettra de créer 5000 emplois directs et 25 000 emplois indirects. Dans la phase de réalisation, le projet va créer 15 000 emplois.  En 2017, l’Agence nationale des activités minières (Anam) et la Société nationale du fer et de l’acier (Feraal) avaient, signé un accord pour le financement des études de faisabilité du gisement minier de Gara Djebilet (Tindouf), pour un montant de 3 milliards de dinars étude qui devait être finalisée fin mai 2017, au plus tard fin décembre 2017, avant d’entamer la phase d’exploitation de ce gisement qui produira 3 milliards de tonnes. A l’époque, les responsables du projet déclaraient  officiellement  qu’en vertu de cet accord, Anam va octroyer 2 milliards de dinars à Feraal, chargée d’exploiter ce méga gisement, pour lancer les études de faisabilité qui seront réalisées par un cabinet d’experts international. Dans une déclaration à l’APS fin décembre 2020, l’ ex ministre de l’Industrie estimait le coût à environ 5/7 milliards de dollars avec les  annexes. Le 31 mars 2021, le ministre  des Mines annonce un  mémorandum d’entente-non un contrat définitif-  entre l’Entreprise nationale de fer et de l’acier (FERAAL) et un consortium d’entreprises chinoises constituée des entreprises CWE, MCC et Heyday Solar, ledit document prévoyant   trois étapes, jusqu’à 2025, la  première phase, étant  la partie ouest de la mine jouissant de réserves de 1,7 mds de tonnes et  en application de ce mémorandum, il sera procédé à la formation d’une joint-venture 51% pour la partie algérienne et 49% pour la partie chinoise» qui sera chargée de l’exploitation à la source jusqu’à la production et la transformation et là l’APS donne un autre montant  de l’investissement  2 milliards de dollars sans préciser le coût des annexes, permettant la  création de 3000 emplois . Il y a donc urgence d’une information crédible sur le montant réel de ce projet et  s’il y a un contrat accord définitif (pas une promesse) avec un partenaire étranger, car  les défis qui se posent pour ce projet sont principalement relatifs à l’eau, l’énergie et le transport,  pour régler la disponibilité en eau avec des besoins de 3 millions de mètres cubes par an, celle de l’énergie en mobilisant le gaz naturel et le choix du moyen de transport. Aussi, évitons  de vivre de l’illusion de la rente éternelle misant essentiellement sur les exportations de matières premières brutes  procurant juste un profit moyen, et la densification du tissu industriel suppose de descendre en bas de l’arbre généalogique de ces filières, mais qui demande de lourds investissements et dont la rentabilité, à partir du lancement du projet, est dans 5/7 ans, fonction par ailleurs de leur teneur physique dont une grande partie de la matière est rejetée dans l’atmosphère et nécessitant des investissements additionnels de recyclage pour éviter la pollution. Pour les unités sidérurgiques en général, il faudra résoudre le problème du prix de cession du gaz qui est cédé au niveau local à environ 10% du prix international, constituant une subvention et donc une perte pour le Trésor public, constituant une rente, devant être aligné sur celui du marché pour éviter les nombreux litiges concernant la dualité des prix contraires aux règles du commerce international. Il y a lieu d’éviter les erreurs du passé qui se sont chiffrées en dizaines de milliards de dollars de perte, faute de bien connaître l’évolution des filières industrielles mondialisées qui connaissent ces dernières années de profondes mutations. Aucun pays ne s’est développé grâce aux matières premières y compris l’or, mais grâce au savoir, une diplomatie n’étant forte que si l’économie est forte, ce qui explique le succès au XXIe siècle de la Chine. Après avoir épuisé ses stocks d’or, avec la découverte de Christophe Colomb, l’Espagne a périclité pendant plusieurs siècles où en 1962, l’Algérie était plus développée. Et c’est ce qui attend les pays producteurs d’hydrocarbures qui ne vivent que grâce à cette rente, où actuellement, les recettes additionnelles surtout pour les pays à fortes populations suffiront à peine pour importer les biens alimentaires dont les prix risquent de doubler,  voire  de  tripler.

En conclusion, contrairement à certaines affirmations démagogiques, ne reposant sur aucune analyse scientifique, selon la majorité des experts consultés,  l’exploitation de Gara Djebilet ne procurera pas de rente, pour le fer brut, contrairement au segment hydrocarbures, mais un taux de profit moyen, sous réserve de la maîtrise des coûts. L’on devra descendre à l’aval de l’arbre généalogique, les aciers spéciaux,  pour avoir une grande valeur ajoutée, mais nécessitant  une formation pointue  et de lourds investissements ces  segments étant  contrôlés par quatre à cinq firmes multinationales au niveau mondial. Par ailleurs, le monde devrait connaitre un profond bouleversement de l’ordre économique et géopolitique mondial. : le commerce de l’énergie se modifie ; l’inflation est de retour ; la crise alimentaire guette bon nombre de pays, les chaînes d’approvisionnement se reconfigurent ; les réseaux de paiement se fragmentent et certains pays émergents comme la Chine repensent leurs réserves de devises. En ces moments de grands bouleversements géostratégiques, c’est par une nouvelle gouvernance et un discours de vérité collant avec la réalité sociale, loin des bureaux climatisés de nos bureaucrates, que l’on trouvera les solutions à la crise actuelle qui touche pas seulement l’Algérie, mais tous les pays. Avec la crise ukrainienne, crise énergétique et alimentaire, l’impact de l’épidémie du coronavirus et du réchauffement climatique rendent irréversible, la transition numérique et énergétique qui devraient modifier considérablement tant les politiques sécuritaires, économiques, sociales que les relations internationales. Aussi, le grand défi, posant la problématique de la sécurité nationale est l’adaptation de l’Algérie à ces profonds bouleversements devant rompre avec la mentalité bureaucratique rentière.

  1. M.