La lutte contre la corruption implique une bonne gouvernance et une délimitation claire des prérogatives des institutions de contrôle: Réhabiliter la Cour des comptes

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Par Abderrahmane Mebtoul – Pr des universités – Docteur d’Etat en sciences économiques

Les organes dépendant de l’exécutif  soit du ministère de la Justice ou du ministre des Finances ou du Premier ministre  ne sont pas  neutres  et l’expérience récente des  hauts responsables détenus, dont des ex-Premiers ministres et même un ministre de la Justice, en est la preuve. Dans les pays à Etat de droit la Cour des comptes autonomes, d’ailleurs consacrée dans la nouvelle constitution,  est la plus haute juridiction de contrôle des deniers publics, travaillant en réseaux avec les autres institutions  tant nationales qu’internationales de contrôle. Les intentions de lutte contre la corruption,  certes, louables afin que ce  rêve si cher à tous les Algériens, condition  d’un Front national interne solide face tant aux tensions budgétaires, sociales internes, que  géostratégiques à nos frontières s’appliqueront-elles sur le terrain ? Il ne faut pas  confondre la corruption, avec acte de gestion, la dépénalisation de l’acte de gestion que je réclame depuis de longues années,  afin d’ éviter de freiner les énergies créatrices, la définition du manager étant de prendre des risques, pouvant gagner  ou perdre. Le cancer de la  corruption démobilise la société par une méfiance généralisée et accentue le divorce Etat-citoyens. Le combat  contre la corruption, pour son efficacité doit  reposer sur la mise en place de mécanismes de régulation transparents, en fait une bonne gouvernance

1.-  Transparency International, dans son rapport de janvier 2021, note que  la frustration face à la corruption des gouvernements et le manque de confiance dans les institutions témoignent de la nécessité d’une plus grande intégrité politique  devant  s’attaquer de toute urgence au rôle corrupteur des grosses sommes d’argent dans le financement des partis politiques et à l’influence indue qu’elles exercent sur les systèmes politiques. L’ONG relève que « les pays où les réglementations sur le financement des campagnes sont complètes et systématiquement appliquées ont un score moyen de 70 sur l’IPC, alors que les pays où ces réglementations sont soit inexistantes, soit mal appliquées n’obtiennent respectivement qu’une moyenne de 34 et 35 ». Qu’en est-il du classement sur la corruption de l’Algérie de 2003 à 2020 : 2003 :  88e place sur 133 pays ;  2004 : 97e place sur 146 pays ; 2005 : 2,8 sur 10 et 97e place sur 159 pays ; 2006 : 84e place sur 163 pays ; 2007 : la 99e place sur 179 pays ; 2008 : 92e place sur 180 pays ; 2009 : 111e place sur 180 pays ; 2010 : 105e place sur 178 pays ; 2011 : 112e place 183 pays ; 2012 :105e place sur 176 pays ; 2013 -105 rangs sur 107 pays ; 2014 –100e sur 115 pays ; 2015 –88e sur 168 pays ; 2016 –108e sur 168 pays ; 2017 -112e place  sur 168 pays ; 2018- 105e place sur 168 pays ; 2019- 106e sur 180 pays.  2020, 104e place sur 180 pays avec une note de 36 sur 100.  L’Indice de perception de la corruption (IPC) 2021 a été publié mardi 25 janvier 2022.  L’IPC 2021  du 25 janvier 2022 pour l’année 2021 montre   que les niveaux de corruption restent au point mort dans le monde, 86 % des pays n’ayant que peu progressé, au cours des dix dernières années, l’Algérie occupant  la 117e place sur 180 pays  au cours de l’année 2021, reculant  de 13 places avec un score de 33 sur 100 occupant le même rang que l’Egypte, le Népal, les Philippines et la Zambie. Selon cette institution, internationale, une note inférieure à 3 signifie l’existence d’un « haut niveau de corruption, entre 3 et 4 un niveau de corruption élevé, et que des affaires saines à même d’induire un développement durable ne peuvent avoir lieu, cette corruption favorisant surtout les activités spéculatives. Les différents scandales financiers en Algérie, qui touchent certains  secteurs publics et privés,  relatés chaque jour par la presse nationale, dépassent souvent l’entendement humain du fait de leur ampleur, encore que tout Etat de droit suppose la présomption d’innocence afin d’éviter les suspicions et les règlements de comptes inutiles. Pourtant, ces constats témoignent de la désorganisation des appareils de l’Etat censés contrôler les deniers publics et surtout le manque de cohérence entre les différentes structures de   contrôle. Cela dénote  l’urgence de  mécanismes de contrôle transparents qui évitent que ces pratiques ne se reproduisent renvoyant  à plus de liberté,  de moralité des institutions et de démocratie non plaquée selon les schémas occidentales mais tenant compte des riches anthropologies culturelles de chaque Nation ( voir A. Sen, indien professeur à Harvard  prix Nobel d’Économie) .

2.- Si l’on excepte la mauvaise gestion de certaines entreprises publiques qui accaparent une partie importante du financement public, il ne faut jamais oublier l’administration et les services collectifs dont les infrastructures dont  la mauvaise gestion des services collectifs gérés selon des méthodes du début du XXIe siècle. S’est-on interrogé une seule fois par des calculs précis le prix de revient des services de la présidence, du  chef du gouvernement, des différents ministères et des wilayas et APC, de nos ambassades (car que font nos ambassades pour favoriser la mise en œuvre d’affaires profitables aux pays ), du coût des différents séminaires, et réceptions et commissions par rapport aux services rendus à la population algérienne ?  A ce titre, il convient de se poser la question de l’efficacité des transferts sociaux souvent mal gérés et mal ciblés qui ne s’adressent pas toujours aux plus démunis. Il semble bien qu’à travers  toutes les  lois de finances l’on ne cerne pas clairement les liens entre les perspectives futures de l’économie algérienne et les mécanismes de redistribution devant assurer la cohésion sociale, donnant l’impression d’une redistribution passive de la rente des hydrocarbures sans vision stratégique, bien que certaines dispositions encourageant l’entreprise existent. Dans ce cadre, de la faiblesse de la vision stratégique globale, le système algérien tant salarial que celui de la protection sociale est diffus, et  dans la situation actuelle, plus personne ne sait qui paye et qui reçoit, ne connaissant ni le circuit des redistributions entre classes d’âge, entre générations et encore moins bien les redistributions entre niveaux de revenus ou de patrimoine. C’est  la mauvaise gestion et la corruption qui  expliquent  que le niveau des dépenses est en contradiction avec les impacts économiques  et  le contrôle le plus efficace  passe par une plus grande démocratisation et  nécessairement par  une lutte contre ce cancer, la   bureaucratisation.  Le bureau comme l’a montré le grand sociologue Max Weber est nécessaire mais devant  être au service de la société,  non s’ériger  en  terrorisme bureaucratique qui enfante la  corruption  et la sphère informelle  qui contrôle plus  de 45/50% de la superficie économique (entre 6000 et 10.000 milliards de dinars selon le président de la République)  doit entre  33%  et 45% de la masse monétaire en circulation, avec une intermédiation financière informelle réduisant la politique financière de l’Etat. Dans ce cadre, l’intégration de la sphère informelle selon une vision cohérente, loin  de toute vision bureaucratique autoritaire  doit aller de pair avec par une participation plus citoyenne de la société civile et devant  favoriser la légitimité de tout Etat du fait qu’elle permettra à la fois de diminuer le poids de la corruption à travers les réseaux diffus et le paiement des impôts directs qui constituent le signe évident d’une plus grande citoyenneté, l’ élément fondamental  qui caractérise  le fonctionnement de l’Etat de droit étant  la confiance. On peut émettre l’hypothèse que c’est l’Etat qui est en retard par rapport à la société qui enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner. La corruption est également favorisée  par les  produits subventionnés,  la distorsion de la  cotation du dinar par rapport aux pays voisins,  le trafic aux frontières lié  à la cotation du dinar sur le marché parallèle. La procédure est simple je vous achète 1 euro vous me facturez 1,10 ou 1,20 euros et on partage  et comme  la  différence avec le marché parallèle est de 50%, il y a encore une rente au niveau du marché intérieur où souvent le prix final  s’aligne pour les produits importés sur le marché parallèle excepté les produits subventionnés Cela pose la problématique  de  la réforme bancaire, lieu de distribution de la rente, qui doit toucher la nature du système et pas seulement la rapidité de l’intermédiation financière par la numérisation  (aspect  purement  technique), qui paradoxalement pourrait faciliter des détournements plus rapidement si l’on ne s’attaque pas à la racine du mal.

3.- Un autre facteur important, un  système d’information transparent  et fiable est une condition  fondamentale de tout contrôle. La crise mondiale actuelle a bien montré l’urgence de l’intervention des Etats du fait que les mécanismes de marché seuls ne garantissent pas la transparence et le développement. Du fait que toute société est caractérisée par les imperfections des marchés – hypothèse de marchés totalement concurrentiels étant la tendance idéale, l’intervention de l’Etat régulateur s’avère stratégique afin de  mettre à la disposition des opérateurs préoccupés par leur gestion quotidienne, de l’information afin de minimiser les risques, donc les coûts de transaction, au moyen d’observatoires au niveau macro-économique, parallèlement à une politique monétaire, fiscale, douanière, claire, permettant des prévisions sur le moyen et le long terme. Pour l’Algérie, la  non-maîtrise des données tant nationales qu’ internationales, la faiblesse de la codification existante, la rente ayant pendant des années comblé les déficits au nom d’une paix sociale fictive, la marginalisation des compétences, tout cela engendré fondamentalement par la nature du système bureaucratique, expliquent l’effondrement du système d’information à tous les niveaux ou parfois des responsables sont informés par la presse ignorant le fonctionnement de leur secteur. Or une erreur de politique économique peut se chiffrer en pertes pour la Nation de plusieurs centaines voire des milliards de dollars. Il existe des liens complexes entre le façonnement des comptes au niveau des entreprises et l’environnement et lorsqu’on invoque la  mauvaise gestion, il  y a   lieu de bien cerner l’ensemble des causes internes et externes du résultat brut d’exploitation. D’autant plus que les opérateurs  publics  durant cette phase où la bureaucratie est omniprésente subissent des injonctions qui échappent à leurs propres initiatives dont les différentes formes d’organisations depuis l‘indépendance   politique traduisent les rapports de force  au niveau du pouvoir pour la  gestion des capitaux marchands de l’Etat. 

D’où l’importance d’un système d’information transparent pour apprécier objectivement  les performances. Car l’expérience montre souvent des amortissements exagérés par rapport aux normes internationales pour des unités comparables, le gonflement de la masse salariale qui éponge la valeur ajoutée l’absence d’organigrammes précis des postes de travail par rapport au processus initial, gonflement démesuré des frais de siège qui constitue un transfert de valeur en dehors de l’entreprise avec prédominance des postes administratifs, des comptabilités à prix courants de peu de signification ne tenant pas compte du processus inflationniste. Et comme au niveau macro-économique la production est production de marchandises par des marchandises nous sommes dans le brouillard pour tester les performances individuelles surtout en absence de comptes de surplus physico-financiers à prix constants qui peuvent aider à suppléer à ces déficiences  comme je l’avais suggéré à la présidence de l’époque en tant que haut magistrat premier conseiller et directeur général à la Cour des comptes entre 1980/1983.  Aussi, il s’agit de bien spécifier les facteurs internes à l’entreprise des facteurs externes. Au niveau interne car beaucoup de gestionnaires rejettent la responsabilité sur les contraintes d’environnement en soulignant l’importance des créances impayées, force de travail inadaptée, blocage bancaire, infrastructures (logement – santé, routes) mais oublient d’organiser leurs entreprises. Combien d’entreprises publiques possèdent-elles la comptabilité analytique, les banques des comptabilités répondant aux normes internationales, afin de pouvoir déterminer  leur efficience loin  de l’ancienne culture mue par l’unique dépense monétaire. Combien d’entreprises établissent un budget prévisionnel cohérent- du personnel, des achats, des ventes déterminant les écarts hebdomadaires, mensuels entre les objectifs et les réalisations, ces opérations budgétisées étant la base du plan de financement, sans compter la faiblesse des différents travaux comptables de base. Par ailleurs, l’absence d’observatoire de l’évolution des cours boursiers, permet des prix à l’achat  exorbitants en devises pour ne pas  parler de surfacturations, gonflant la rubrique achat de matières premières  du compte d’exploitation où bon nombre de produits comme le blé, le rond à béton, etc. sont cotés journellement à la Bourse. La compréhension des mécanismes boursiers, de  l’évolution du dollar, du yen et de l’euro à des incidences sur le niveau des réserves de change.

4.- L’efficacité du contrôle  doit s’insérer dans le cadre d’une vision stratégique.

Les mécanismes de contrôle en économie de marché doivent  définir la nature du rôle de l’Etat pour favoriser le contrôle. Or, la dilution des responsabilités à travers la mise en place de différentes commissions témoignent de l’impasse du contrôle institutionnel en dehors d’un cadre cohérent, où les règlements de comptes peuvent prendre le dessus. Qui est propriétaire ? Car pour pouvoir sanctionner une entité, il faut qu’elle ait été responsable. Peut-on sanctionner un directeur général qui a subi une injonction externe. Un directeur général d’entreprise publique est-il propriétaire dans le sens économique large- véritable pouvoir de décision-de son entreprise? Qui est propriétaire de l’ensemble de ces unités économiques et de certains segments des services collectifs se livrant à des opérations marchandes? C’est toute la problématique du passage de l’Etat propriétaire gestionnaire à l’Etat. Régulateur ou stratège que n’ont résolu jusqu’à présent à travers les différentes organisations de 1965 à 2021, grandes sociétés nationales 1965/1979- leurs restructurations de 1980/1987,   les fonds de participations vers les années 1990,  les  holdings 1995/1999, puis entre 2000/2020  les sociétés de participation de l’Etat SGP et récemment au   retour à la tutelle ministérielle. Ces évolutions s’expliquent par  les interférences entre le politique et l’économique dans le cadre de la gestion des capitaux marchands de l’Etat, y compris le système financier public enjeu de pouvoir. Nous pouvons    distinguer  six cercles de décision.  Le premier cercle est celui par lequel transitent toutes les décisions sans exception,  Présidence de la République et son staff et toutes les institutions qui lui sont rattachées  dont la  défense, le ministère des Affaires étrangères, des institutions comme le Conseil de sécurité; le second cercle,  le chef du gouvernement ou le Premier ministre avec son staff ; le troisième cercle  les ministères de souveraineté et de l’ Economie   le ministre de l’ Intérieur, de la Justice, des Finances, de l’Energie ; de  l’investissement ; le quatrième  cercle  est l’ensemble des organisations politiques ( émanation du Parlement) juridictionnel (Conseil constitutionnel, Conseil d’Etat, Cour des comptes, Conseil économique et social, Conseil de la concurrence, Conseil national  de l’Energie, en plus  les conseils culturels et religieux  ) ; le cinquième cercle  est composé des administrations sectorielles centrales et locales ; le sixième cercle de la décision est celui des syndicalistes, organisations professionnelles ou patronales, associations, entreprises publiques et privées ; le  sixième cercle peut être représenté par l’extérieur du fait des accords internationaux de l’Algérie notamment avec l’ONU, le FMI, la Banque mondiale et d’autres institutions internationales (zone de libre-échange avec   UE – le monde arabe- l’Afrique,  OMC). ).

En résumé, la démocratie ne saurait signifier anarchie mais une participation citoyenne avec  des partis crédibles et une société civile active,  dans l’ordre et la discipline, tolérant les idées productives et non démagogiques des différentes sensibilités de la société. Force est de reconnaitre en ce mois d’aout 2022 que deux institutions assurent  la stabilité du pays : l’ANP et les servies de sécurité pour la sécurité nationale et la protection  du territoire  et Sonatrach qui avec les dérivés procurent environ 98% des recettes en devises, l’Algérie ayant d’importantes potentialités  de sortie de crise sous réserve de profondes réformes. Les pratiques sociales contredisent souvent les discours si louables soient-il, l’expérience montrant que la fuite en avant est l’installation de commissions bureaucratiques de peu d’effets.  Comme l’a mis en relief l’économiste de renommée mondiale,  John Maynard Keynes, il   vaut mieux que l’homme exerce son despotisme sur son compte en banque personnel que sur ses concitoyens. Comme je le rappelais dans une interview donnée au grand quotidien financier  Les Echos -Paris  le 07 aout 2008,  le terrorisme bureaucratique et la corruption sont les obstacles principaux au frein à l’investissement porteur en Algérie. La  lutte contre la mauvaise gestion et la corruption renvoie à la question de la bonne gouvernance et  de la rationalisation de l’Etat dans ses choix en tant qu’identité de la représentation collective

  1. M.