Sphère informelle, évasion fiscale, trafics aux frontières, fuite des capitaux et corruption

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Par Dr Abderrahmane Mebtoul, Professeur des universités, expert international –

Les défis collectifs nouveaux, sont une autre source de menace : ils concernent les cyber-attaques, les ressources hydriques, la pauvreté, les épidémies, l’environnement. Ils sont d’ordre local, régional et global. La criminalité transnationale organisée englobe pratiquement toutes les activités criminelles graves motivées par le profit qui revêtent un caractère international, impliquant plus d’un pays. Il existe nombre d’activités dont on peut dire qu’elles relèvent de la criminalité transnationale organisée, qu’il s’agisse du trafic de drogue, du trafic de migrants, de la traite d’êtres humains, du blanchiment d’argent, du trafic d’armes à feu, du trafic de produits contrefaits, du trafic d’espèces sauvages, du trafic de biens culturels, voire de certains aspects de la cybercriminalité. La criminalité transnationale organisée, prospérant grâce à la dominance de la sphère informelle (Etat de non-droit), menace la sécurité mondiale et le développement économique, social, culturel et politique.

1. Comprendre le fonctionnement de la sphère informelle au niveau mondial et national pour déterminer les causes de la corruption et du crime organisé et ses liens avec le terrorisme (Pr Abderrahmane Mebtoul Institut français des relations internationales Paris, décembre 2013, les enjeux géostratégiques de la sphère informelle au Maghreb)

1.1- Premièrement comment définir la sphère informelle ?

Le concept de «secteur informel» apparaît pour définir toute la partie de l’économie qui n’est pas réglementée par des normes légales. En marge de la législation sociale et fiscale, elle a souvent échappé à la comptabilité nationale et donc à toute régulation de l’État, encore que récemment à l’aide de sondages, elle tend à être prise en compte dans les calculs du taux de croissance et du taux de chômage. Il y a lieu de différencier la sphère informelle productive qui crée de la valeur de la sphère marchande spéculative qui réalise un transfert de valeur. L’économie informelle est donc souvent qualifiée de «parallèle», «souterraine», «marché noir» et tout cela renvoie au caractère dualiste de l’économie, une sphère qui travaille dans le cadre du droit et une autre sphère qui travaille dans un cadre de non-droit, étant entendu que le droit est défini par les pouvoirs publics en place. Pour les économistes, qui doivent éviter le juridisme, dans chacune de ces cas de figure nous assistons à des logiques différentes tant pour la formation du salaire et du rapport salarial, du crédit et du taux d’intérêt qui renvoient à la nature du régime monétaire dualiste. La formation des prix et des profits dépendent dans une large mesure de la forme de la concurrence sur les différents marchés, la différenciation du taux de change officiel et celui du marché parallèle, de leur rapport avec l’environnement international (la sphère informelle étant en Algérie mieux insérée au marché mondial que la sphère réelle) et en dernier lieu leur rapport à la fiscalité qui conditionne la nature des dépenses et recettes publiques, le paiement de l’impôt direct étant un signe d’une plus grande citoyenneté, les impôts indirects étant injustes par définition puisque étant supportés par tous les citoyens riches ou pauvres. Aussi, l’économie informelle est réglée par des normes et des prescriptions qui déterminent les droits et les obligations de ses agents économiques ainsi que les procédures en cas de conflits ayant sa propre logique de fonctionnement qui ne sont pas ceux de l’Etat, nous retrouvant devant un pluralisme institutionnel/juridique contredisant le droit traditionnel enseigné aux étudiants d’une vision moniste du droit. En fait, pour une analyse objective et opérationnelle, on ne peut isoler l’analyse de la sphère informelle du mode de régulation mis en place c’est-à-dire des institutions. L’extension de la sphère informelle est proportionnelle au poids de la bureaucratie qui tend à fonctionner non pour l’économie et le citoyen mais en s’autonomisant en tant que pouvoir bureaucratique. Dans ce cadre, il serait intéressant d’analyser dans l’ensemble des pays où domine la sphère informelle, notamment en Afrique, les tendances et des mécanismes de structuration et restructuration de la société et notamment des zones urbaines, sub-urbaines et rurales face à la réalité économique et sociale des initiatives informelles qui émergent impulsant une forme de régulation sociale. Cela permettrait de comprendre que face aux difficultés quotidiennes, le dynamisme de la population s’exprime dans le développement des initiatives économiques informelles pour survivre, ou améliorer le bien-être, surtout en période de crise notamment pour l’insertion sociale et professionnelle de ceux qui sont exclus des circuits traditionnels de l’économie publique ou de la sphère de l’entreprise privée.

1.2.-Les différentes mesures du poids de la sphère informelle

Plusieurs approches peuvent être utilisées pour évaluer l’activité dans le secteur informel. Là où les approches choisies dépendront des objectifs poursuivis, qui peuvent être très simples, comme obtenir des informations sur l’évolution du nombre et des caractéristiques des personnes impliquées dans le secteur informel, ou plus complexes, comme obtenir des informations détaillées sur les caractéristiques des entreprises impliquées, les principales activités exercées, le nombre de salariés, la génération de revenus ou les biens d’équipement. Le choix de la méthode de mesure dépend des exigences en termes de données, de l’organisation du système statistique, des ressources financières et humaines disponibles et des besoins des utilisateurs, en particulier les décideurs politiques participant à la prise de décisions économiques. Nous avons l’approche directe ou microéconomique fondée sur des données d’enquêtes elles-mêmes basées sur des réponses volontaires, de contrôle fiscal ou de questionnaires concernant tant les ménages que les entreprises. Elle peut aussi être basée sur la différence entre l’impôt sur le revenu et le revenu mesuré par des contrôles sélectifs. Nous avons l’approche indirecte ou macroéconomique basée sur l’écart dans les statistiques officielles entre la production et la consommation enregistrée. On peut ainsi avoir recours au calcul des écarts au niveau du PIB (via la production, les revenus, les dépenses ou les trois), de l’emploi, du contrôle fiscal, de la consommation d’électricité et de l’approche monétaire. Les méthodes directes sont de nature microéconomique et basées sur des enquêtes ou sur les résultats des contrôles fiscaux utilisés pour estimer l’activité économique totale et ses composantes officielles et non officielles. Les méthodes indirectes sont de nature macroéconomique et combinent différentes variables économiques et un ensemble d’hypothèses pour produire des estimations de l’activité économique. Elles sont basées sur l’hypothèse selon laquelle les opérations dissimulées utilisent uniquement des espèces ; ainsi, en estimant la quantité d’argent en circulation, puis en retirant les incitations qui poussent les agents à agir dans l’informalité (en général les impôts), on devrait obtenir une bonne approximation de l’argent utilisé pour les activités informelles. Les méthodes basées sur les facteurs physiques utilisent les divergences entre la consommation d’électricité et le PIB. Cette méthode a ses limites car elle se fonde sur l’hypothèse d’un coefficient d’utilisation constant par unité du PIB qui ne tient pas compte des progrès technologiques. Enfin, nous avons l’approche par modélisation développée par Frey et Weck et approfondie par Laurent Gilles, qui consiste à utiliser le modèle des multiples indicateurs – multiples causes (MIMIC) pour estimer l’indice de l’économie informelle. Cette approche présuppose l’existence de plusieurs propagateurs de l’économie informelle incluant la lourdeur de la réglementation gouvernementale et l’attitude sociétale envers la bonne gouvernance. En fait, pour une analyse objective, on ne peut isoler l’analyse de la sphère informelle du mode de régulation mis en place c’est-à-dire des institutions en Algérie.

1.3.-Les principaux déterminants de l’informalité

Ils résultent de cinq facteurs interdépendants. Premièrement, la faiblesse de l’emploi formel. C’est un facteur qui explique l’évolution du secteur informel à la fois dans les pays développés et en développement. Ainsi, l’offre d’emplois formels sur le marché du travail ne peut plus absorber toute la demande car la population active, en particulier la main-d’œuvre non qualifiée, croît à un rythme accéléré. Deuxièmement, lorsque les taxes sont nombreuses et trop lourdes, les entreprises sont incitées à dissimuler une partie de leur revenu. Troisièmement, le poids de la réglementation ou la complexité de l’environnement des affaires découragent l’enregistrement des entreprises. Lorsque le cadre institutionnel n’est pas propice à la création d’entreprises de manière formelle, les entrepreneurs préfèrent opérer dans le secteur informel et éviter le fardeau de la réglementation. Quatrièmement, la qualité des services publics offerts par le gouvernement est un déterminant important du secteur informel car elle influence le choix des individus. Les individus actifs dans le secteur informel ne peuvent pas bénéficier des services publics (protection contre les vols et la criminalité, accès au financement, protection des droits de propriété). C’est l’un des inconvénients de ce secteur. Cinquièmement, comme résultante de la politique économique, le primat de la gestion administrative bureaucratique au lieu de reposer sur des mécanismes économiques transparents et lorsque la monnaie est inconvertible, surévaluée, ménages et opérateurs formels et informels jouant sur la distorsion du taux de change. Selon les rapports du FMI et de l’OIT, les taux d’informalité varient considérablement d’un pays à l’autre, allant de 30 % dans divers pays d’Amérique latine à plus de 80 % dans certains pays d’Afrique subsaharienne ou d’Asie du Sud- Est. Les analyses de l’impact de l’ouverture du commerce sur la taille de l’économie informelle laissent penser que les effets de cette ouverture sur l’informalité dépendent d’une façon cruciale de la situation propre à chaque pays et de la conception des politiques commerciales et internes : les économies plus ouvertes tendent à connaître une moindre incidence de l’emploi informel. Si les effets à court terme des réformes commerciales peuvent être associés dans un premier temps à une augmentation de l’emploi informel, les effets à long terme vont dans le sens d’un renforcement de l’emploi dans le secteur formel, à condition que les réformes commerciales soient plus favorables à l’emploi et que de bonnes politiques internes soient en place. Enfin, plus l’incidence de l’informalité est élevée et plus les pays en développement sont vulnérables à des chocs tels que la crise mondiale. D’où les aspects négatifs dont je recense deux éléments. Premièrement, le développement de l’évasion fiscale généralisée, le non-rapatriement des devises, la thésaurisation, la rétention de stocks, la fixation de prix fantaisistes, entraînant un profond dérèglement des fondations de l’économie nationale. Deuxièmement, le secteur informel favorise la corruption : plus la taille de l’économie informelle est conséquente, plus la corruption s’étend, aux plus hauts niveaux et affecte l’esprit d’entreprise et le goût du risque qui reculent lorsque les taux d’informalité sont élevés. L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) met en évidence l’impact de la corruption que celle-ci constituait «la principale menace qui plane sur la bonne gouvernance, le développement économique durable, le processus démocratique avec des flux financiers illicites et la question des transferts nets de ressources en provenance notamment de l’Afrique dont le Maghreb : pots-de-vin, fraude fiscale, activités criminelles, transactions de certaines marchandises de contrebande et d’autres activités commerciales illicites à travers les frontières. Les conséquences directes et indirectes de ces flux financiers illicites sont des contraintes majeures pour la transformation de l’Afrique tant du Nord que de l’Afrique noire. La corruption de haut niveau, combinée aux risques et l’incertitude de l’économie nationale limitent la perspective d’une croissance plus inclusive.

2.- Les différents trafics du crime organisé

2.1-. Le crime économique organisé au niveau mondial

Quand le crime organisé prend racine, il peut déstabiliser des pays et des régions entières. Les groupes criminels organisés peuvent également travailler avec des criminels locaux, développant, à ce niveau, la corruption, l’extorsion, le racket et la violence, ainsi que diverses autres activités criminelles plus élaborées. Des gangs violents peuvent également transformer les centres-villes en zones de non-droit et mettre la vie de citoyens en danger. Dans le contexte d’un monde de plus en plus globalisé, qui facilite la circulation des personnes et des biens, les groupes de criminalité organisée ont prospéré, posant de nombreux défis où les groupes criminels utilisent souvent des entreprises commerciales licites pour dissimuler leurs activités illicites. Selon les rapports conjoints de la Banque mondiale et du FMI, la corruption peut réduire le taux de croissance d’un pays de 0,5 à 1point de pourcentage par an et que les investissements réalisés dans les pays corrompus sont inférieurs d’environ 5% à ceux réalisés dans les pays relativement non corrompus. Selon l’agence de cotation Standard and Poor’s, les investisseurs ont 50 à 100% de chances de perdre la totalité de leurs investissements dans un délai de cinq ans dans les pays connaissant divers degrés de corruption et donc que les investissements à long terme, les plus intéressants pour les pays, deviennent ainsi risqués et peu probables. Lorsque la corruption touche les personnalités publiques de haut niveau, elle peut avoir des effets particulièrement dévastateurs où de hauts fonctionnaires corrompus sur le niveau de développement du pays ayant un impact sur le niveau de vie de la population à un niveau intolérable en gaspillant des ressources, et ce, bien entendu avec la complicité des Etats et partenaires étrangers où sont souvent déposés ces montants mal acquis. Encore que dans certains pays occidentaux, verser des pots-de-vin à des étrangers à des fins commerciales est légal et le montant peut même être légalement déduit de l’impôt. Donc, ce fléau du crime organisé dépasse le cadre national, devant le relier aux réseaux internationaux, où existent des liens dialectiques entre certains agents externes et internes. Un important rapport réalisé par Global Initiative Against Transnational Organized Crime sur l’état du crime organisé-armes, drogue, ressources naturelles, avec une analyse détaillée des indices de corruption dans 193 Etats le 3 octobre 2021. L’indice contenu dans ce rapport est une mesure composite de variables utilisant divers points de données. Dans le cadre de la mesure du crime organisé, les paramètres sur lesquels repose cet Indice découlent des définitions de la criminalité organisée et des activités et concepts liés, définissant la «résilience» comme la capacité de résister et de perturber les activités criminelles organisées dans leur ensemble, plutôt que des marchés individuels, par le biais de mesures politiques, économiques, juridiques et sociales. La résilience fait référence aux mesures prises par les pays à la fois par les acteurs étatiques et non étatiques Il comprend deux indicateurs composites, évaluant 193 États membres de l’ONU à la fois en fonction de leur niveau de criminalité selon un score de 1 à 10 (du niveau le plus bas au niveau le plus élevé de criminalité organisée) et de leur résilience face au crime organisé selon un score de 1 à 10 (du niveau le plus bas au niveau le plus élevé de résilience), l’indice étant conçu selon les auteurs du rapport pour fournir des données chiffrées permettant aux décideurs politiques, professionnels et autres parties prenantes d’être bien informés en termes d’élaboration de stratégies de lutte contre le crime organisé dans leurs pays ou leurs région. Ce rapport met en relief que le montant du crime organisé varierait entre 2 et 5% du PIB mondial estimé à 84 680 milliards en 2020 et selon la Banque mondiale et devrait dépasser les 100.000 milliards de dollars en 2022, ce qui donne entre 2020/2022 1700 et 4230 milliards de dollars contre une estimation pour 2009 d’environ 600 milliards de dollars, les crises économiques amplifiant le trafic. issu du commerce illégal sous toute ses formes.: drogue, armes, traite, déchets toxiques, métaux. Si l’on prend les deux plus grandes puissances économiques mondiales la Chine, les USA et deux pays européens à savoir la France et l’Italie, pays connu par le passé pour le crime organisé et différents, pour la moyenne du score de résilience, nous avons la Chine, 5,46, les USA 6,58, la France 6,83 et l’Italie 6,29, l’Algérie ayant le score de 4,63, l’enquête Global Initiative Against Transnational Organized Crime donne les résultats suivants.

A suivre……