Sans de profondes réformes et la stabilisation de la cotation du dinar, du blocage de certaines taxes sur le niveau de l’inflation et le pouvoir d’achat: Quels impacts ?

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Par le Professeur des universités, expert international Abderrahmane Mebtoul

Le caractère social de l’Etat ne doit pas reposer sur la rente des hydrocarbures et de versements de salaires ou de subventions sans contreparties productives mais sur le travail et l’intelligence pour un développement durable conciliant l’efficacité économique et une profonde justice sociale à laquelle je suis profondément attaché. On en peut comprendre le processus d’inflation et donc sa maîtrise, sans le replacer dans le cadre des mutations mondiales et du cadre macroéconomique et macro-social interne.

C’est dans ce contexte que doit s’inscrire la compréhension du processus inflationniste devant le relier au retour de l’inflation mondiale aux équilibres macroéconomiques et macro-sociaux selon une vision dynamique. Dans ce contexte, quelle est l’évolution la cotation du dinar, des réserves de change et du taux d’inflation ?

Premièrement, l’évolution du cours officiel du dinar corrélé aux réserves de change via les recettes d’hydrocarbures à plus de 70% pour la période de 2001 à février 2022 est la suivante. 2001 : 77,26 DA un dollar et 69,20 DA un euro – 2005 : 73,36 DA un dollar et 91,32 DA un euro – 2010 : 74,31 DA un dollar et 103,49 DA un euro – 2015 : 100,46 DA un dollar et 111,44 DA un euro – 2016 : 100,46 DA un dollar et 111,44 DA un euro – 2017 : 110,96 DA un dollar et 125,31 DA un euro – 2018 : 116,62 DA un dollar et 137,69 DA un euro – 2019 : 119,36 DA un dollar et 133,71 DA un euro – 2020 : 128,31 DA un dollar et 161,85 DA un euro. -2021- une moyenne de 139 S DA un dollar et 160 DA un euro et le 16 février 2022 140,36 DA un dollar et 159,64 DA un euro avec une prévision de dévaluation du DA par rapport au dollar, entre 5/10% selon la loi de finances 2022 entre 2023/2024. Cette dépréciation du dinar par rapport au dollar et à l’euro accélère la méfiance du citoyen vis-à-vis du dinar, en plus du manque de liquidités, amplifiant la sphère informelle où selon la banque d’Algérie entre 2019/2020, la masse monétaire circulant en dehors du circuit bancaire, a atteint 6140,7 milliards de dinars (près de 47,23 milliards de dollars au cours de 130 dinars un dollar ) à la fin de l’année 2020 soit une hausse de 12,93% par rapport à 2019. Le Président Abdelmadjid Tebboune, lors de sa rencontre avec la presse le 4 avril 2021, a indiqué que le chiffre oscillerait entre 6.000 et 10.000 milliards de dinars entre 33 et 47% du PIB , le Président , soulignant des données contradictoires et un système d’information non fiable. Malgré des discours, nous avons des mesures adoptées pour drainer une partie de cet argent, comme la finance islamique, qui a permis de drainer fin 2021 selon la déclaration du Premier ministre, seulement 100 milliards de dinars soit à peine 1% si l’on prend le montant de 10 000 milliards de dollars. (voir étude sous la direction du Pr Abderrahmane Mebtoul pour l’Institut français des relations internationales IFRI Paris décembre 2013, les enjeux géostratégiques de la sphère informelle au Maghreb et revue stratégie ministère de la défense nationale MDN IMDEP octobre 2019 ). L’effet d’anticipation d’une dévaluation rampante du dinar a un effet négatif sur les sphères économique et sociale. Le taux d’intérêt des banques devrait le relever de plusieurs points, s’ajustant aux taux d’inflation réelle, freinant à terme le taux d’investissement à valeur ajoutée. La déthésaurisation des ménages face à la détérioration de leur pouvoir d’achat, met des montants importants sur le marché, alimentant l’inflation, plaçant leur capital-argent dans l’immobilier, des biens durables à forte demande comme les pièces détachées facilement stockables, l’achat d’or ou de devises fortes. Cette dévaluation du dinar a permis d’augmenter artificiellement la fiscalité hydrocarbures (reconversion des exportation hydrocarbures en dinars) et la fiscalité ordinaire (via les importations tant en dollars qu’en euros convertis en dinar dévalué), cette dernière accentuant l’inflation des produits importés (équipements), matières premières, biens finaux, montant accentué par la taxe à la douane s’appliquant à la valeur dinar, étant supportée en fin de parcours, par le consommateur comme un impôt indirect, l’entreprise ne pouvant supporter ces mesures que si elle améliore sa productivité.

Deuxièmement, pour les réserves de change fonction essentiellement des recettes d’hydrocarbures et de ses dérivées à plus de 98%, nous avons l’évolution suivante de 2001 à fin 2021 – 17,9 milliards de dollars, 2002 : 23,1 milliards de dollars, – 2003 : 32,9 milliards de dollar, – 2004 : 43,1 milliards de dollars, – 2005 : 56,2 milliards de dollars, – 2010 : 162,2 milliards de dollars, – 2011 : 175,6 milliards de dollars, – 2012 : 190,6 milliards de dollars, 2013 : 194,0 milliards de dollars, – 2014 : 178,9 milliards de dollars, – 2015 : 144,1 milliards de dollars, – 2016 : 114,1 milliards de dollars, – 2017 : 97,33 milliards de dollars, – 2018 : 79,88 milliards de dollars, – 2019 : 62 milliards de dollars – 2020, 48 milliards de dollars- 2021, estimation provisoire 44 milliards de dollars (estimation FMI 43,6 milliards de dollars). En cas de baisse drastique des réserves de change à 10/12 milliards de dollars, qui tiennent la cotation du dinar algérien à plus de 70%, la Banque d’Algérie sera contrainte de dévaluer le dinar officiel à environ 200/220 DA un euro avec une envolée du cours sur le marché parallèle qui fluctue en fonction du taux d’inflation d’environ 300 DA un euro minimum, surtout en cas d’ouverture des frontières. Il sera difficile de combler l’écart avec le marché parallèle pour la simple raison que l’allocation de devises pour les ménages est dérisoire, la sphère informelle suppléant à la faiblesse de l’offre et par ailleurs bon nombre d’entreprises du fait de la faiblesse de l’allocation devises pour éviter la rupture d’approvisionnement iront au niveau de cette sphère.

Troisièmement, quant à l’évolution de l’inflation taux officiel, de la période de 2000 à 2021, nous avons selon le site international financier Index Mundi – 2000, 2,0% – 2001, 3,0% – 2002, 3,0% – 2003, 3,5% – 2004, 3,1% – 2005, 1,9% – 2006, 3,0% – 2007, 3,5%– 2008, 4,5% – 2009, 5,7%, – 2010, 5,0% – 2011, 4,5% – 2012, 8,9% (après les augmentations de salaires) – 2013, 3,9% – 2014, 2,9% – 2015, 4,2% – 2016, 5,9% – 2017, 5,6% – 2018, 5,6% – 2019, 5,6%. – 2020, 2,4% -2021 4,2%. Les prévisions de la loi finances 2022 donnent un taux d’inflation 3,7% et selon la Banque d’Algérie, par rapport au même mois de l’année précédente, l’inflation globale s’est accélérée de 5,96 point de pourcentage en une année pour atteindre 9,2 % en octobre 2021.

3.- La raison essentielle de l’inflation dépend de plusieurs facteurs interdépendants : de facteurs externes avec le retour de l’inflation au niveau mondial, dont le prix international des produits importés. La sécurité alimentaire mondiale étant posée, les prix des produits agricoles connaissent un niveau record et, selon la FAO, l’augmentation des prix s’est établie en moyenne à 127,1 points en mai 2021, soit 39,7% de plus qu’en mai 2020, où le prix des oléagineux a plus que doublé ; mais également de facteurs internes dont la faiblesse de la production et de la productivité interne, de la non-proportionnalité entre les dépenses monétaires et leur impact renvoyant à la corruption via les surfacturations ; de la déthésaurisation des ménages qui mettent face à la détérioration de leur pouvoir d’achat des montants importants sur le marché, alimentant l’inflation, plaçant leur capital-argent dans l’immobilier, l’achat d’or ou de devises fortes pour se prémunir contre l’inflation ; de la dévaluation rampante du dinar; de la dominance de la sphère informelle produit des dysfonctionnements des appareils de l’Etat où existent des liens dialectiques entre cette sphère et la logique rentière, avec des situations oligopolistiques de rente. Cette sphère alignant le prix des biens sur la cotation de la devise du marché parallèle, pour les produits importés, contrôlant les segments des fruits/légumes, poissons/viandes, textile/cuir et bon nombre d’autres produits importés qui connaissent un déséquilibre offre/demande et enfin aux restrictions drastiques des importations par une gestion administrative, sans ciblage qui ont paralysé la majorité de l’appareil de production. Tous ces facteurs renvoient à la faiblesse de la gouvernance et il s’agit de ne pas renouveler les erreurs du passé pour le déblocage de certains projets sans des audits sérieux. Comment ne pas rappeler que l’Algérie a engrangé plus de 1150 milliards de dollars en devises entre 2000 et 2021, avec une importation de biens et services, toujours en devises, de plus de 1055 milliards de dollars (le solde des réserves de change au 31/12/2021 étant d’environ 44 milliards de dollars) pour un taux de croissance dérisoire de 2-3 % en moyenne, alors qu’il aurait dû se situer entre 9-10 %. La loi de finances de 2022 prévoit une croissance de 3,3 % contre 3,4 % en 2021. Mais un taux de croissance se calcule par rapport à la période précédente : un taux élevé en T2 par rapport à un taux faible en T1 donne un taux relativement faible. Le déficit budgétaire prévu est d’environ 4 175 milliards de dinars, au cours au moment de l’élaboration de la loi de finances 137 dinars un dollar, un dollar, 30,50 milliards de dollars, 8 milliards de dollars de plus qu’en 2021. L’Algérie, selon le rapport de l’OCDE, dépense deux fois plus pour avoir deux fois moins d’impact en référence aux pays similaires, renvoyant à la mauvaise allocation des ressources. Selon le Premier ministère, l’assainissement des entreprises publiques a coûté au Trésor public environ 250 milliards de dollars ces trente dernières années, et plus de 90% d’entre elles sont revenues à la case de départ, outre 65 milliards de dollars de réévaluation, ces dix dernières années, faute de maîtrise de la gestion des projets. Selon le rapport du FMI publié fin décembre 2021, les exportations ont atteint, en 2021, 37,1 milliards de dollars (32,6 pour les hydrocarbures et 4,5 hors hydrocarbures). Quant aux importations, en attendant le bilan officiel du gouvernement, selon le FMI, elles auraient atteint 46,3 milliards de dollars, 38,2 milliards de biens et une sortie de devises de 8,1 milliards de services contre 10 à 11 entre 2010 et 2019. L’Algérie, selon le FMI, fonctionne, entre budget de fonctionnement et d’équipement, à plus de 137 dollars en 2021 et à plus de 150 pour 2022, malgré toutes les restrictions qui ont paralysé l’appareil de production avec des impacts inflationnistes. Se pose la question : la population dépasse 45 millions en janvier 2022 avec une population active de plus de 12 millions, nous assistons à une décroissance du PIB qui est passé de 180 milliards de dollars à prix courants en 2018, 171 en 2019 et à 160 milliards de dollars fin 2020, 153 milliards de dollars en 2021. Si par hypothèse, uniquement pour la partie devises. On avait amélioré la gestion pour 10% sans compter la dépense pour la partie dinars où existent des surfacturations, du fait de la non-maîtrise des circuits et des marchés internationaux (fluctuations boursières) et si on avait réduit de 10% les surfacturations, l’Algérie aurait économisé environ 210 milliards de dollars en 2020/2021, plus de quatre fois les réserves de changes actuelles.

En conclusion, les mesures annoncées ne doivent pas accroître le déficit budgétaire qui accroit l’inflation et c’est une loi universelle et dans ce cas leurs impacts sera limité sur le niveau du pouvoir d’achat car tout déficit budgétaire accroit l’inflation et c’est une loi universelle. Comme effet, la non-maîtrise de l’inflation a pour conséquence l’accélération du divorce Etat/citoyens. Outre les factures d’électricité et d’eau, du loyer, on peut se demander comment un ménage qui gagne entre 30.000 et 50.000 DA peut survivre, s’il vit seul, en dehors de la cellule familiale qui, par le passé, grâce au revenu familial, servait de tampon social ? Mais attention à la vision populiste : doubler les salaires sans contrepartie productive entraînerait une dérive inflationniste, un taux supérieur à 20% qui pénaliserait les couches les plus défavorisées, l‘inflation jouant comme redistribution au profit des revenus spéculatifs. L’action louable au profit des zones d’ombre serait un épiphénomène face à la détérioration du pouvoir d’achat de la majorité de la société. D’où l’importance de la rationalisation des choix budgétaires où l’Etat doit donner l’exemple en réduisant son train de vie. Cette méfiance du citoyen envers les discours officiels est accentuée par l’effritement du système de la communication officielle, devant mettre fin à certains discours qui jouent comme facteur de démobilisation. Comment ne pas se rappeler cette image de la télévision algérienne à la fin des années 1987 et après la grande pénurie, à l’ENTV, où un ministre algérien avançait avec assurance que le marché était saturé selon les données en sa possession, la présentatrice lui rétorquant s’il a fait un jour le marché et que la population algérienne ne mangeait pas les chiffres ; vers les années 2004, où, à une question sur le taux de chômage, un ministre affirmer que les enquêtes donnent moins de 10% et qu’un journaliste lui répliqua : êtes-vous sûr de vos données ? Oui, répond le ministre. Ce à quoi le journaliste répliqua sous l’œil amusé de la présentatrice, non convaincue d’ailleurs, qu’il irait faire un tour dans les quartiers Algérie et qu’il dirait aux chômeurs que dorénavant leur appellation n’est plus chômeur mais travaille et la déclaration d’un ministre en 2011 à l’ENTV, en Algérie, il n’y a pas de pauvres mais des nécessiteux», quelle différence ? Et récemment en mars 2021, que l’inflation est maîtrisée, que la relance économique améliorera la cotation du dinar, alors que la population impuissante assiste à l’effet inverse. Le véritable patriotisme des Algériens se mesurera par leurs contributions à la valeur ajoutée interne. Du fait des tensions budgétaires, de l’accroissement du taux de chômage et du retour de l’inflation avec la détérioration du pouvoir d’achat, s’impose la relance économique pour 2022, un large front national tenant compte des différentes sensibilités et un discours de vérité pour un sacrifice partagé, la lutte contre le terrorisme bureaucratique, éviter l’instabilité juridique et monétaire et la corruption qui étouffent les énergies créatrices.

Car sans le retour à la confiance, renvoyant au Politique, aucun développement n’est possible. On ne décrète pas la création d’entreprises facteur de création d’emplois, ne devant pas confondre le tout-Etat (solution de facilité des bureaucrates en panne d’imagination) avec l’importance de l’Etat régulateur stratégique en économie de marché. Devant tenir tenant compte de l’innovation destructrice, en ce monde turbulent et instable pour reprendre l’expression du grand économiste Joseph Schumpeter, force est de reconnaître qu’ existe un important décalage entre la réalité et les importantes potentialités de l’Algérie, acteur stratégique de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine.

Suite et fin.

  1. M.