L’exploitation du fer de Gara Djebilet: Un projet stratégique pour l’Algérie, mais devant impulser une industrie à l’aval pour créer une forte valeur ajoutée

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Par Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités

Le président de la République dans ses différentes interventions accorde une importance capitale à l’exploitation du fer de Gara Djebilet, étant un projet stratégique où il a procédé à la pose de la première pierre du projet d’usine de traitement du minerai de fer le 1er décembre 2023.

La mine de Gara Djebilet est l’une des plus grandes mines de fer dans le monde avec des réserves estimées à 3,5 milliards de tonnes, dont 1,7 milliard de tonnes sont exploitables, composée de trois zones d’exploitation : Gara Djebilet-Ouest, Gara Djebilet-Centre et Gara Djebilet-Est. Sa concrétisation était prévue depuis de longues décennies constituant l’un des plus importants projets structurants sur lesquels mise l’Algérie pour impulser une nouvelle dynamique à son économie, tout en générant 15 000 emplois, sur une main-d’œuvre prévisible de 20 000 travailleurs en rappelant qu’il faut un taux de croissance annuel de 8/9% pour absorber un flux annuel de demande d’emplois de 350 000/400 000 qui s’ajoute au taux de chômage actuel, l’industrie nouvelle grâce aux tours de programmations numériques, contrairement au passé générant peu d’emplois (voir notre interview Radio Chaîne III – 28/12/2023). Je rappelle qu’au moment où j’étais jeune conseiller et directeur d’études au ministère Industrie/ Énergie entre 1974/1980, nous avons étudié la faisabilité du projet de fer de Gara Djebilet et depuis le projet était toujours en gestation. Nous étions dans une conjoncture économique mondiale particulière, loin de l’annonce de l’actuelle quatrième révolution industrielle. Avec les nouvelles technologies le fer est concurrencé par d’autres matières premières dont celles issues des hydrocarbures (par exemple carrosserie de voitures, tuyaux de canalisation ect…) et sont apparues de nouvelles techniques, notamment dans la construction qui peuvent économiser entre 20/30% de ciment, de rond à béton et surtout l’énergie, influant sur la demande des produits sidérurgiques traditionnels… L’objet de cette présente contribution sur le fer de Gara Djebilet, certains soi-disant experts connaissant pas le contenu du projet se lançant dans des extrapolations dans des extrapolations hasardeuses, induisant en erreur les autorités du pays, erreurs du passé, tout en se félicitant de la relance de ce projet qui permettrait, selon le ministère des Mines d’économiser deux milliards de dollars (source APS 4 mars 2021) est tant d’éclairer l’opinion sur un dossier stratégique.

1. – Élément chimique utilisé depuis la préhistoire, le fer compose 5% de la croûte terrestre, les alliages contenant du fer étant utiles dans l’alimentation, les médicaments, mais surtout pour la fonte et tous les produits de la sidérurgie, environ 98% étant destiné à l’acier, dont 70% de matières premières brutes et 30% à partir de la ferraille. – La consommation actuelle de minerai de fer est de 2494 millions de tonnes par an pour une réserve estimée à 173 500 millions de tonnes. Les principaux pays en référence aux réserves et à la teneur en fer sont les suivantes données de 2022 : Australie 51 000 millions de tonnes de réserves de minerai de fer , dont  27 000 en teneur de fer -Brésil réserves 34 000 de réserves de minerai de fer, dont 15 000 en teneur de fer- Russie 29 000 de réserves de minerai de fer, dont 14 000 en teneur de fer- Chine 20 000 de réserves de minerai de fer, dont 6900 en teneur de fer- Ukraine 6500 de réserves de minerai de fer, dont 2300 en teneur de fer- Canada 6000 de réserves de minerai de fer, dont 2300 en teneur de fer- Inde 5500 de réserves de minerai de fer , dont 3400 en teneur de fer- USA 2700 de réserves de minerai de fer, dont 1000 en teneur de fer- Iran 2700 de réserves de minerai de fer, dont 1500 en teneur de fer-Kazakhstan 2500 de réserves de minerai de fer, dont 900 en teneur de fer. On peut résumer le processus d’extraction et de traitement des terres rares de la manière suivante : 1re étape : extraction, le plus souvent à ciel ouvert ; 2e étape : broyage du minerai en une fine poudre ; 3e étape : séparation des métaux rares du reste du minerai ; la méthode la plus courante est la flottation qui utilise beaucoup d’eau et de produits chimiques ainsi qu’une importante quantité d’énergie. La concentration en terres rares à la fin de la seconde étape est faible (entre 1 et 10%) ; elle est grandement améliorée à l’issue de la 3e étape (entre 30 et 70%) en laissant d’énormes quantités de résidus : il s’agit d’une mixture composée d’eau, de produits chimiques et de minéraux terreux. Ces déchets sont généralement abandonnés dans des réservoirs naturels ou artificiels entourés de digues, ce qui constitue un risque de pollution à court et long terme. Dans la plupart des cas, ces déchets contiennent des substances radioactives (uranium, thorium et autres déchets), des fluorures, des sulfures, des acides et des métaux lourds. Ce type de stockage peut avoir des conséquences environnementales désastreuses (pollution des sols et de l’eau) à cause de la toxicité des résidus s’il s’écroule ou fuit. Plusieurs causes peuvent conduire à cette extrémité : des pluies torrentielles peuvent le faire déborder ; si le stockage n’est pas étanche et si le stockage s’écroule (pluies torrentielles, construction de piètre qualité, tremblement de terre) des conséquences similaires peuvent découler des mines à ciel ouvert abandonnées et des résidus de minerai laissés sur le terrain. De plus, l’extraction et le traitement engendrent également une pollution de l’air due aux poussières toxiques (substances radioactives, métaux lourds) qui se dégagent si des mesures adéquates ne sont pas prises. Le lessivage des constituants toxiques, tels que l’arsenic, le sélénium et les métaux, peut se produire même si les conditions acides ne sont pas présentes. Le drainage d’acide de mine peut provenir de n’importe quelle partie de la mine où les sulfures sont exposés à l’air et à l’eau, y compris des tas de déchets de roches, des résidus, des mines à ciel ouvert, des tunnels souterrains et des coussins de lixiviation. Aussi, la capacité de drainage de l’acide minier est une question-clé. Les effets sur la qualité de l’eau et de la disponibilité des ressources en eau dans la zone du projet constituent peut-être l’impact le plus important d’un projet d’exploitation minière. Les questions clés sont de savoir si les fournitures en eau de surface et en eaux souterraines resteront appropriées à la consommation humaine, et si la qualité des eaux de surface dans la zone du projet restera adéquate pour supporter la vie aquatique et la faune terrestre native. Les besoins énergétiques de l’activité minière sont largement dépendants du type de mine d’où sont extraites les matières premières recherchées. Ils sont plus importants dans le cas de l’activité minière souterraine du fait des opérations de transports des matériaux vers la surface, du pompage des eaux, de la ventilation, de la climatisation des galeries. Une étude a établi un comparatif pour la consommation d’énergie suivant le type de mine de 5 à 10 kW/t de matière première pour une mine à ciel ouvert et de 20 à 50 kW/t de matière première une mine souterraine (au-delà de 5000 mètres), soit environ 4 à 5 fois plus d’énergie consommée pour une mine souterraine que pour une mine de surface. Bien entendu, la profondeur à laquelle on extrait les minéraux influe fortement sur la quantité d’énergie et de matières premières à mettre en œuvre pour les ramener à la surface. Quand on parle d’extraction ultra-profonde (au-delà de 5000 m), que ce soit en souterrain ou au fond des mers, on comprend bien que la quantité d’énergie et de matériel à mettre en œuvre va également croître de manière très importante. L’énergie nécessaire à l’extraction et au traitement des minerais est le point le plus important à mettre en avant dans l’empreinte environnementale de l’activité minière. Concernant les sidérurgies, et c’est une moyenne, variable, pour la consommation d’électricité, les fours les plus performants permettant 30 coulées/jour, le maximum étant 7850 coulées/an consommation est de 300/350 kWh/t et la consommation de dioxygène de 30 mètres cubes par tonnes.

2- Qu’en est-il pour l’Algérie ? La découverte du gisement de Gara Djebilet date depuis les années 1950 avec les études du Bureau de recherche minière en Algérie en 1953, le Bureau d’investissement en Afrique en 1959, le Service d’études et recherches minières en 1961 jusqu’aux premières tentatives de développement à titre expérimental du site avec l’entrée en scène de la Sonarem après la nationalisation des mines, dont l’effort d’expérimentation a été stoppé net en 1975 suite à la guerre au Sahara occidental. Les avis d’appel internationaux à manifestation d’intérêt lancés par Sonatrach, détenteur depuis 2009 du titre minier (adjudication, exploration) n’ont pas connu le succès escompté. Resté au stade de la «préfaisabilité», le dernier «projet intégré de Gara Djebilet», mis sur pied en 2005 prévoyait aussi bien l’exploitation proprement dite jusqu’à la production du fer. Ce projet intégrait l’extraction du minerai de fer avec option pour son enrichissement sur place, son transport par voie ferroviaire (projet de chemin de fer reliant Tindouf à Béchar vers le nord du pays, une usine sidérurgique proche d’un port en cas d’exportation d’une partie du produit et la construction d’une cité minière près du site appelé à accueillir une importante main-d’œuvre. Le lancement du projet est tributaire de la disponibilité de quantités suffisantes d’eau dans la région, les infrastructures ferroviaires et énergétiques dont la réalisation de la ligne ferroviaire reliant Béchar à Tindouf (950 km), inauguré, récemment par le président de la République, destinée à acheminer le minerai de fer vers les sites de transformation et d’exploitation et de la résolution des difficultés techniques, notamment celles liées à la teneur élevée du minerai en phosphore et en arsenic en parvenant à réduire le taux du phosphore dans le fer pour le porter de 0,8% à 0,03%… L’exploitation du mégaprojet de Gara Djebilet, selon un mémorandum d’entente se fera par l’Enterprise national publique FERAAL, et un consortium chinois composé de trois entreprises, a savoir , MCC , CWE, et HEYDAY SOLAR . Dans ce sens, la solution avancée par le consortium s’articule autour de la mise en place de réseaux intelligents d’énergie de l’intégration de l’énergie renouvelable pour l’extraction du minerai, à travers le procédé photovoltaïque. A cela s’ajoute pour la réduction de coûts, l’option des camions éclectiques pour le transport. L’exploitation se déroule en plusieurs phases sur une période allant de 2022 à 2040. La première phase (2022-2025) connaîtra une production de 2 à 3 millions tonnes/an de minerai de fer à acheminer par voie terrestre vers la wilaya de Béchar, pour arriver, à partir de 2026, à une production annuelle oscillant entre 40 et 50 millions de tonnes L’approche intégrée pour l’exploitation du gisement, ce dernier sera renforcé par un complexe sidérurgique dans la wilaya de Béchar, via un investissement d’un milliard de dollars et qui sera réceptionné en 2026. Ce complexe industriel sera spécialisé dans la production des rails et des profilés en acier, notamment. Cette usine compte également plusieurs unités de traitement et de transformation du fer, et d’autres de fabrication de wagons pour le transport du minerai de fer de Gara Djebilet vers Béchar et le complexe sidérurgique de Bethioua (Oran). Quel est la rentabilité du fer de Gara Djebilet au cours mondial du fer brut de novembre 2023 devant tenir compte du coût et de l’évolution vecteur prix au niveau international et prévoir des coûts supplémentaires pour protéger l’environnement ainsi qu’une formation pointue, étant loin pour ce genre d’investissement une main-d’œuvre non qualifiée, l’université de Béchar devant être associée. En prenant l’hypothèse optimiste, d’un cours de 130 dollars la tonne. Pour la phase préliminaire de trois millions de tonnes le chiffre d’affaires serait de 390 millions de dollars, pour le profit net, devant retirer les coûts importants de 50%, selon les normes internationales et la part du partenaire étranger 49%, restant à l’Algérie environ 100 millions de dollars. Pour un million de tonnes/an, c’est un montant dérisoire de 130 millions de dollars restant à l’Algérie en tant que profit net seulement 33 millions de dollars. La seconde phase entre 2026/2030 verrait une production entre 40/50 millions de tonnes avec une augmentation progressive entre 2030/2040. Pour une exportation brute de 30 millions de tonnes, nous aurons un chiffre d’affaires de 3,90 milliards de dollars. Ce montant c’est le chiffre d’affaires et non le profit net auquel on doit soustraire les coûts très élevés représentant environ 50% du chiffre d’affaires, soit 1,95 milliard de dollars, à se partager, selon la règle des 49/51%, avec le partenaire étranger restant à l’Algérie pour le profit net environ 995 millions de dollars, et ce, pas avant 2030… Le 9 mai 2022, le ministre des Mines (source APS) annonce officiellement que la réalisation du projet de Gara Djebilet nécessitera la réalisation de plusieurs installations, ayant un coût variant entre 1 et 1,5 milliard de dollars par an, soit en finalité entre 10/15 milliards de dollars sur une période de plusieurs années car l’investissement est hautement capitalistique. Le montant total des investissements nécessaires, sous réserve de la maîtrise du projet dans le temps, donc pas de réévaluation, pour le développement du gisement de Gara Djebilet pour l’extraction et le traitement de 20 millions de minerai et la production de 16 millions de tonnes de pellets, il est de l’ordre de 8,5 milliards de dollars US dont 2 milliards pour les installations annexes. Si l’on prend une moyenne de 8 milliards de dollars, le retour en capital sera entre 8/10 ans après le fonctionnement du projet. L’exploitation du fer brut de Gara Djebilet ne procurera pas de rente, contrairement au segment hydrocarbures, mais un taux de profit moyen devant donc descendre à l’aval de la filière. En effet, en décembre 2023, le prix de l’acier s’établit à 875 dollars la tonne et le prix du fer s’établit à 121, dollars la tonne, le prix de l’aluminium à 2170 dollars La fabrication d’aluminium nécessitant une grosse quantité d’énergie, son prix est étroitement lié à celui du gaz/pétrole ; le prix de l’aluminium s’établit à 2170 dollars la tonne, le prix du cuivre à 8109 dollars la tonne, le prix du plomb à 2154 dollars la tonne ;  le prix du zinc à 2463 dollars la tonne ; le prix du laiton un alliage de cuivre et de zinc à 6650 dollars la tonne et le cours de l’inox est de 2500 dollars la tonne.

En conclusion les instructions du président de la République est d’éviter l’exportation du fer à l’état brut qui ne procure que peu de valeur ajoutée, mais de le transformer en produits nobles afin de dynamiser à la fois l’économie nationale et procurer plus de devises. Aussi l’on devra descendre à l’aval de l’arbre généalogique, les aciers spéciaux, pour avoir une grande valeur ajoutée, mais nécessitant une formation pointue et de lourds investissements (plusieurs milliards de dollars), ces segments étant contrôlés par quelques firmes multinationales au niveau mondial, étant impossible d’exporter sans un partenariat avec des firmes de renom.

A. M.