Les raisons du processus inflationniste et son impact sur le pouvoir d’achat

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Le gouvernement se propose de mettre  en œuvre  une série de batteries  afin de préserver  le pouvoir d’achat des citoyens notamment en jouant sur la baisse  de la TVA et en augmentant le montant les transferts sociaux  , l’inflation menaçant la cohésion sociale .Or l’amélioration du pouvoir d’achat passe par  l’accroissement de la production et la productivité interne , distribuant des salaires sans contrepartie productive  ne pouvant que conduire à terme à la dérive sociale et politique.

Selon la Banque mondiale le taux d’inflation  entre 1970/fin 2022  a été de 6969,62%, un bien qui coûtait à 100 dinars s’est facturé fin 2022 à 7060,01 dinars.  Comprendre le processus inflationniste en Algérie implique, à la fois, de le relier à l’inflation mondiale, aux équilibres macro-économiques et macro- sociaux internes, selon une vision pluridisciplinaire dynamique, à la répartition du revenu par couches sociales. C’est un problème complexe où chaque gouvernement essaie de concilier l’efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale qui ne touche pas seulement l’Algérie mais la majorité des pays comme en témoignent les nombreuses revendications salariales

Prenons quelques exemples

Entre août 2001 et août 2023, selon l’ONS, dans son rapport de septembre 2023, nous avons l’évolution suivante de l’indice  des prix  à la consommation.  Pour les viandes et poissons devenus incessibles pour le  revenu  entre 20 000 le SMIG et même la tranche 50 000-80 000 DA net par mois,    nous avons l’évolution suivante de l’indice, (en kg) – la  viande de mouton est passée de 501,33 à 2520,73, soit une croissance de 503% ; le foie de mouton de 905,75 à 4752,44, soit une croissance de 525% ; le poulet évidé  entier de 190,37 à 467,44, soit une croissance de 246% ; œufs (unité) de 6,30 à 20,02, soit une croissance de 307%. Toujours en kg, le prix en détail de la sardine fraîche passe de 88,16 à 653,77, soit une croissance de 743% ; le rouget de 462,10 à 2380,55, soit une croissance de 515% ; le merlan de 468,43 à 2262,47, soit une croissance de 483% ; la crevette rouge de 607,52 à 3818,82, soit une croissance de 608% .Pour les légumes, nous avons l’évolution suivante : en kg, l’oignon sec  l’indice passe de 14,72 à 53,48, soit une croissance de 360%  ; la tomate normale de 23,39 à 140,13, soit une croissance de 608% ; la salade laitue de 42,45 à 231,40, soit une croissance de 545% ; la courgette verte de 43,68 à 155,45, soit une croissance de  357% ; le haricot vert  de 50,59 à 296,01, soit une croissance de 580% ; le poivron long vert de 47,03 à 172,49,  soit une croissance de 367% ; le concombre  de 30,43 à 141,63, soit une croissance de 467% ; l’aubergine longue de 21,81 à 125,74, soit une croissance de 572%. Pour les fruits devenus inaccessibles pour le faible et moyen revenus nous avons : en kg, l’indice du raisin blanc passe de 48,42 à 202,90, soit une croissance de 419% ; le raison gros noir de 57,99 à 285,99,  soit une croissance de 493% ; la poire muscade de 48,08 à 388,47, soit une croissance de 595% ; les figues fraîches de 76,45 à 409,65, soit une croissance de 538% ; la pastèque verte gros calibre de 22,93 à 111,206, soit une croissance de 485%.

Je recense six facteurs interdépendants qui expliquent le processus inflationniste.

 La première raison, est l’inflation importée, puisque 85% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15%, proviennent de l’extérieur. La sécurité alimentaire mondiale est posée car outre les effets du réchauffement climatique via la pénurie d’eau douce. Les prix des produits agricoles connaissent un prix élevé surtout depuis la crise en Ukraine.

La deuxième raison est   outre l’inflation importée est la non proportionnalité entre la dépense publique et le faible impact, le taux de croissance. Cela est du à  la faiblesse du taux de croissance interne, résultant de la faiblesse de la production et de la productivité L’Algérie, selon le rapport de l’Ocde, dépense deux fois plus pour avoir deux fois moins d’impacts, en référence aux pays similaires, renvoyant à la mauvaise allocation des ressources. Selon le premier Ministère, l’assainissement des entreprises publiques ont coûté au Trésor public, environ 250 milliards de dollars, durant les trente dernières années à fin 2020, dont plus de 90% sont revenues à la case de départ et plus de 65 milliards de dollars de réévaluation, les dix dernières années à fin 2020, faute de maîtrise de la gestion des projets. Malgré des dépenses en devises importantes entre 2000/2020 (sans compter les dépenses en dinars), la croissance a été faible , en moyenne annuelle, de 2/3%,, alors qu’elle aurait dû dépasser 9/10% alors qu’il faut pour ‘Algérie un taux de croissance de 8/9% par an sur plusieurs années pour pouvoir absorber le flux additionnel d’emploi d’environ 350.000/400.000/an qui s’ajoute au taux de chômage actuel qui paradoxalement frappe les diplômés, estimé en 2022 par le FMI à plus de 14% ,le taux d’emploi incluant les emplois rente improductifs . Pour son équilibre budgétaire selon le FMI et en référence à la loi de finances 2023, l’Algérie a besoin d’un baril de pétrole à près de 149,2 dollars, dans son rapport d’octobre 2022 contre 135 dollars pour l’exercice 2020/2021 et 100/109 pour l’exercice 2019/2020. Qu’en sera-t-il pour la loi de finances 2024 où il est prévu une augmentation des dépenses, l’équilibre budgétaire dépendant avant tout des recettes de Sonatrach.

 La troisième raison, est la dépréciation officielle du dinar. Le cours officiel est passée (cours achat) en 1970, à 4,94 dinars un dollar, en 1980 à 5,03 dinars un dollar ; – 2001 : 77,26 dinars un dollar et 69,20 dinars un euro– 2005 : 73,36 dinars un dollar et 91,32 dinars un euro– 2010 : 74,31 dinars un dollar et 103,49 dinars un euro– 2015 : 100,46 dinars un dollar et 111,44 dinars un euro– 2016 : 100,46 dinars un dollar et 111,44 dinars un euro– 2017 : 110,96 dinars un dollar et 125,31 dinars un euro – 2018 : 116,62 dinars un dollar et 137,69 dinars un euro – 2019 : 119,36 dinars un dollar et 133,71 dinars un euro – 2020 : 128,31 dinars un dollar et 161,85 dinars un euro. 2021, 134,03 dinars un dollar et 157,80 un euro -; en 2022 140, 24 pour un dollar et 139,30, un dinar pour un euro. Il est coté ( source B A)  du novembre au 29 novembre  au 01 décembre 2023rs  un dollar 134,1380 dinars un dollar cours achat et 134, 1530 un dollar et 147,1360 dinars un euro cours achat et 147,1793 cours vente  et 161,85 dinars un euro. 2021, 134,03 dinars un dollar et 157,80 un euro. L’anticipation d’une dévaluation rampante du dinar, a un effet négatif sur toutes les sphères économiques et sociales, dont le taux d’intérêt des banques qu’elles devraient relever de plusieurs points, s’ajustant aux taux d’inflation réel et freinant, à terme, le taux d’investissement à valeur ajoutée et par la déthésaurisation des ménages qui mettent face à la détérioration de leur pouvoir d’achat, des montants importants sur le marché Contrairement à certaines supputations, dans la conjoncture actuelle, il est économiquement impossible de réévaluer le dinar si l’on ne procède pas à des réformes urgentes et à une nouvelle gouvernance loin l’économie de la rente qui avec les dérivées procurent 98% des recettes en devises du pays. . La dépréciation officielle du dinar permet d’augmenter artificiellement la fiscalité des hydrocarbures (reconversion des exportations d’hydrocarbures en dinars) et la fiscalité ordinaire (via les importations tant en dollars qu’en euros convertis en dinar dévalué), cette dernière accentuant l’inflation des produits importés (équipements), matières premières, biens , montant accentué par la taxe douanière s’appliquant à la valeur du dinar, supportée, en fin de parcours, par le consommateur comme un impôt indirect, l’entreprise ne pouvant supporter ces mesures que si elle améliore sa productivité.

 La quatrième raison, est l’accroissement de la population algérienne avec des besoins croissants a population algérienne qui a évoluée ainsi :– 1960 11,27, – 1970 14,69, -1980 19,47, -1990 26,24, -2010 à 37,06 – et au 01 janvier 2023 plus de 45 millions et d’ici 2030 serait de 51,026 millions. Selon l’hypothèse du rythme actuel de 2,4 enfants par femme d’ici à 2050 la population pourrait atteindre 65 millions d’habitants, données qui doivent être corrélées à l’espérance de vie qui est de 77,1 ans pour les hommes et de 78,2 pour les femmes, l’expérience de vie à la naissance sera de 81 ans pour les hommes et de 83 ans pour les femmes en 2030. (voir étude pour la présidence de la république sous LA direction du Pr Abderrahmane Mebtoul pour la révision salariale , Pression démographique , inflation et évolution salariale (4 volumes 560 pages .2008)

La cinquième raison, est l’importance du marché informel. Lorsqu’un Etat émet des lois ou procédures de manière autoritaire, sans consultation, qui ne correspondent pas à la réalité du fonctionnement de la société, celle-ci émet ses propres règles( informelles) qui lui permettent de fonctionner beaucoup plus efficacement, car reposant sur un contrat de confiance. Les prix des produits non subventionnées s’alignent sur le cours du dinar sur le marché parallèle amplifiant l’inflation et s’étendant en période de crise, lié à la cotation du dinar sur le marché parallèle .  Les ménages et opérateurs   alimentent l’inflation, plaçant leur capital-argent dans l’immobilier, des biens durables à forte demande comme les pièces détachées, facilement stockables l’achat d’or ou de devises fortes. Le cours sur le marché parallèle a atteint entre le 30 novembre et le 01 décembre 2023 un  niveau inégalée :  l’euro s’échange désormais à 236 dinars à la vente et 234 dinars à l’achat et  le dollar américain   s’échange à 218 dinars à l’achat et 220 dinars à la vente, soit un écart  croissant entre l’officiel et le parallèle  une des raison des surfacturations avec certains étrangers et des transferts illicites hors des frontières des produits subventionnés . La sphère informelle représenterait en 2022 pour l’Algérie entre 33/37% du Produit intérieur Brut PIB qui selon la Banque mondiale, dans son rapport du 22 juin 2023  Pour la Banque d‘Algérie il y a plus de 6200 milliards de dinars de la masse monétaire en circulation hors banques soit au cours de 137 dinars un dollar 45,25 milliards de dollars. Le Président de la république ayant dénoncé l’effritement du système d’information avait donné un montant variant entre 6000 et 10.000 milliards de dinars( voir étude sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul- Institut Français des Relations internationales IFRI Paris « ,les enjeux stratégiques de la sphère informelle -2013-reproduite en synthèse réactualisée dans la revue Stratégie IMDEP du ministère de la défense nationale octobre.

 La sixième raison, est la corruption à travers les surfacturations qui se répercute sur le prix final des biens et accroît le processus inflationniste . Selon nos estimations, les entrées en devises entre 2000/2021 sont estimées, approximativement, autour de 1100 milliards de dollars avec une importation de biens et services de plus de 1050 milliards de dollars. Si par hypothèse, uniquement pour la partie devises, on avait amélioré la gestion pour 10%, sans compter la dépense pour la partie dinar où existent des surfacturations, du fait de la non maîtrise des circuits et des marchés internationaux ( fluctuations boursières notamment ), et si on avait réduit de 10% les surfacturations, l’Algérie aurait économisé, environ 210 milliards de dollars,

En conclusion, face aux tensions géostratégiques au niveau de la région méditerranéenne, sahélienne et budgétaires, au niveau interne, l’Algérie, ayant d’importantes potentialités , peut surmonter les difficultés actuelles ( voir nos contributions sur la géostratégie mondiale parues dans la revue El-Moudjahid Politis du 24 décembre 2023) . Pour cela, s’impose la concrétisation urgente des réformes institutionnelles et économiques douloureuses à court terme, mais porteuses d’espoir à moyen et long terme, nécessitant une mobilisation générale, un large front national, tenant compte des différentes sensibilités et un discours de vérité pour un sacrifice partagé. 

A.M