Innovation et nouvelle reconfiguration de l’économie mondiale

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Ce n’est plus le temps où la richesse d’une Nation s’identifie aux grandes firmes des Nations, les grandes firmes ayant été calquées sur l’organisation militaire et ayant été décrites dans les mêmes termes : chaîne de commandement, classification des emplois, portée du contrôle avec leurs chefs, procédures opératoires et standards pour guider tous les dossiers.

Tous les emplois étaient définis à l’avance par des règles et des responsabilités préétablies. Comme dans la hiérarchie militaire les organigrammes déterminent les hiérarchies internes et une grande importance était accordée à la permanence du contrôle, la discipline et l’obéissance. Cette rigueur était indispensable afin de mettre en œuvre les plans avec exactitude pour bénéficier des économies d’échelle dans la production de masse et pour assurer un contrôle strict des prix sur le marché. Comme dans le fonctionnement de l’armée, la planification stratégique demandait une décision sur l’endroit où vous voulez aller, un suivi par un plan pour mobiliser les ressources et les troupes pour y arriver. A l’ère mécanique totalement dépassée, la production était guidée par des objectifs préétablis et les ventes par des quotas déterminés à l’avance. Les innovations n’étaient pas introduites par petits progrès, mais par des sauts technologiques du fait de la rigidité de l’organisation. Au sommet de vastes bureaucraties occupaient le rectangle de l’organigramme, au milieu des cadres moyens et en bas les ouvriers. L’enseignement, du primaire au supérieur en passant par le secondaire, n’était que le reflet de ce processus, les ordres étant transmis par la hiérarchie, les écoles et universités de grande taille pour favoriser également les économies d’échelle. Actuellement une nouvelle organisation est en train de s’opérer montrant les limites de l’ancienne organisation avec l’émergence d’une dynamique nouvelle des secteurs afin de s’adapter à la nouvelle configuration mondiale. Nous assistons au passage successif de l’organisation dite tayloriste marquée par une intégration poussée, à l’organisation divisionnelle, puis matricielle qui sont des organisations intermédiaires et enfin à l’organisation récente en réseaux où la firme concentre son management stratégique sur trois segments : la recherche développement (cœur de la valeur ajoutée), le marketing et la communication et sous-traite l’ensemble des autres composants. Et ce, avec des organisations de plus en plus oligopolistiques, quelques firmes contrôlant la production, la finance et la commercialisation tissant des réseaux comme une toile d’araignée. Les firmes ne sont plus nationales, même celles dites petites et moyennes entreprises reliées par des réseaux de sous traitants aux grandes. Les firmes prospères sont passées de la production de masse à la production personnalisée (Pr Reich ex-secrétaire d’Etat US). Ainsi, les grandes firmes n’exportent plus seulement leurs produits mais leur méthode de marketing, leur savoir-faire sous formes d’usines, de points de vente et de publicité. Parallèlement à mesure de l’insertion dans la division internationale du travail, la manipulation de symboles dans les domaines juridiques et financiers s’accroît proportionnellement à cette production personnalisée. Indépendamment du classement officiel de l’emploi, la position compétitive réelle dans l’économie mondiale dépend de la fonction que l’on exerce. Les emplois dans la production courante tendent à disparaître comme les agents de maîtrise et d’encadrement impliquant une mobilité des travailleurs, la généralisation de l’emploi temporaire, et donc une flexibilité permanente du marché du travail avec des recyclages de formation permanents étant appelés à l’avenir à changer plusieurs fois d’emplois dans notre vie. Ainsi, apparaissent en force d’autres emplois dont la percée des producteurs de symboles dont la valeur conceptuelle est plus élevée par rapport à la valeur ajoutée tirée des économies d’échelle classiques, remettant en cause les anciennes théories et politiques économiques héritées de l’époque de l’ère mécanique comme l’ancienne politique des industries industrialisantes calquée sur le modèle de l’ancien empire soviétique alors que le XXIe siècle est caractérisée par le dynamisme des grandes firmes mais surtout les PMI/PME consacrant un budget à la recherche développement, reliés en réseaux à ces grandes firmes. Les expériences allemandes et japonaises, chacune tenant compte de son anthropologie culturelle, est intéressante à étudier, se fondant sur un partenariat, grandes firmes/PME/PME. Avec la prédominance des services qui ont un caractère de plus en plus marchand contribuant à l’accroissement de la valeur ajoutée, la firme se transforme en réseau mondial, étant impossible de distinguer les individus concernés par leurs activités, qui deviennent un groupe diffus, répartis dans ce village mondial, dominé par des réseaux croisés consommateurs/producteurs, transformant le système d’organisation à tous les niveaux, politique, économique et social.  

Ce qui explique que certains pays du tiers-monde qui tirent la locomotive de l’économie mondiale, se spécialisent de plus en plus dans ces segments nouveaux, préfigurant horizon 2024/2030 de profonds bouleversements géostratégiques. C’est dans ce cadre que rentre le rapport publié le 27 septembre 2023 sur l’indice de l’innovation pour 132 pays qui repose sur 80 indicateurs, traduisant les tendances en matière d’innovation. Ce rapport révèle que les perspectives sont de plus en plus incertaines pour le capital-risque, qui participe à transformer l’ingéniosité humaine en nouveaux produits et services – la valeur globale du financement par capital-risque ayant fortement chuté durant l’année 2022. En 2023, environ 21 pays ont dépassé les attentes en matière d’innovation eu égard à leur niveau de développement, la majorité d’entre eux étant situés en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud-Est, en Asie de l’Est et en Océanie.  L’Inde, la République de Moldova et le Vietnam détiennent le record des pays dont les résultats en matière d’innovation ont dépassé les attentes pour la treizième année consécutive. L’Indonésie, le Pakistan et l’Ouzbékistan continuent d’afficher des résultats supérieurs aux attentes pour la deuxième année consécutive, le Brésil, pour la troisième année consécutive, par  rapport à son PIB ou à sa population, la Namibie se classe au premier rang pour les dépenses d’éducation, le Mozambique pour la formation brute de capital, et le Cambodge et le Népal pour les prêts accordés par les institutions de microfinance. Relativement, Maurice est leader mondial pour les investisseurs en capital-risque, la République islamique d’Iran pour les marques et la Mongolie pour les marques, ainsi que les dessins et modèles industriels.

Les liens dialectiques entre innovation et développement

 Il existe donc des liens dialectiques entre les universités,  centre de recherche et le monde économique et la majorité des rapports internationaux  montrent  que les  plus grands pôles scientifiques et technologiques au monde sont en majorité  situés aux USA ,  en Europe  et en Asie, la Chine se profilant comme le pays qui en compte le plus grand nombre, tandis que Tokyo-Yokohama apparaît comme étant le plus grand pôle scientifique et technologique.  Ainsi, les   principaux pôles de S&T par intensité de S&T, 2023  selon ce rapport sont par  ordre décroissant ;   -1  Cambridge University- 2 Stanford University- 3 Oxford University- 4  Eindhoven University of Tech  – 5 -MA US MIT -6 -Daejeon KR LG Chem KAIST   -7-  University of Michigan – 8- University of California – 9- University of Washington Seattle  -10- University of Munich -11- Kanazawa University -12-  University of Gothenburg -13 Technology Tsinghua University -14 University of Helsinki- 15 –  ETH Zürich -16—  University of Tokyo -17-  University of Basel- 18 -University of Copenhagen -19— University of Erlangen Nuremberg -20 -University of Tübingen -21 University of Minnesota Twin Cities -22 – University of Pittsburgh- 23— Seoul National University   (Source: WIPO Statistics Database, May 2023).   Pour le classement des universités, la référence mondiale est  QS, ShanghaiRanking et THE (Times Higher Education) qui pour  réaliser le classement en 2024 se sont basés sur base quatre  grands critères subdivisés en plusieurs sous-catégories :premièrement,  excellence académique (29,5%) : réputation académique (15%), ratio étudiants-professeurs (4,5%), ratio étudiants en bachelors et en doctorats (2%), ratio doctorants-professeurs (5,5%), revenus de l’établissement (2,5%) ; deuxièmement,  recherche (29%) : réputation en matière de recherche (18%), revenus liés à la recherche (5,5%), productivité en matière de recherche (5,5%), qualité des productions (30%) : impact des citations de papiers de recherche (15%), puissance de la recherche (5%), excellence de la recherche (5%), influence de la recherche (5%) ; troisièmement  rapport à l’industrie (4%) : revenus provenant des entreprises (2%), brevets (2%) ; quatrièmement, opportunités internationales (7,5%) : étudiants internationaux (2,5%), professeurs internationaux (2,5%), cosignature de papiers de recherche avec des chercheurs étrangers (2,5%). Nous avons par ordre décroissant  pour les 25 meilleurs universités au niveau mondial  :1.- MIT, 2-Harvard, 3— Stanford, 4.-Cambridge, 5.—Oxford, 6 -Berkeley, 7.— Princeton, 8-Caltech, 9- University Chicago, 10-Yale, 11—Imperial  Collège London, 12-ETH Munich, 13-University Pennsylvania, 14- Cornell University, 15-Columbia,  16- UCL,  17— Johns-Hopkins University, 18-Tsinghua University, 19—Peking University, 20- UCLA,  21— University Torento,  22-Michigan-Ann-Arbor, 23-University Tokyo, 24-University of Melbourne et en 25e position University of Edinburgh. La France pour 2024 arrive à la 41e place pour l’Université  de Paris Saclay et 51e pour la Sorbonne. Pour l’Algérie aucune université ne figure,  l’université Houari- Boumediene des sciences et de la technologie et l’université Djilali-Liabès, qui avaient été présentes dans les classements 2021/2022, n’ont pas été retenues. Par contre,   trois   universités arabes figurent dans le Top 200 dont   King-Abdulaziz University, Djeddah, Arabie saoudite , King-Fahd University of Petroleum & Minerals, Dhahran, Arabie saoudite, Khalifa University, Abu Dhabi, Emirats arabes unis.  En Afrique, l’université du Cap en Afrique du Sud se positionne en tête sur le continent, se classant dans la tranche 201-300 à l’échelle mondiale,  avec la présence de 8 de ses universités dans ce classement ;  l’Égypte  avec l’université du Caire est  classée dans la tranche 301-400 , l’Éthiopie  avec l’université d’Addis-Abeba, se situe dans la tranche 601-700  et l’université du Ghana se placent dans la tranche 901-1000. Au Maghreb la seule université retenue en 2024 est celle  de Sfax, Tunisie,  dans la même tranche.  Qu’en est-il du  classement  par  zones géographiques ?  Les pays développés et les pays émergents  se caractérisent par une forte innovation. Le G20 représente 85 %  PIB   mondial pour 63 % de la population mondiale, le G7 et la Chine environ 60% du PIB mondial. Ramené à la population, il existe, pour plus de 80% des pays du  G20 y compris les  observateurs une corrélation entre   le classement à l’innovation et le niveau du PIB ou nous avons au 31décembre 2022  pour le PIB courant  par ordre décroissant : les USA 25463 milliards de dollars de PIB courant, la Chine 17963, le Japon  4231, l’Allemagne 4072, l’Inde 3385, le Royaume-Uni 3071, la France 2783, la Russie 20240,  l’Italie 2010, le Brésil 1920, l’Australie 1675, la Corée du Sud 1665, le Mexique 1414, l’Espagne 1398, l’Indonésie 1319, l’Arabie saoudite 1108, les Pays-Bas  991, la Turquie 908, la Suisse 808, l’Argentine 633, Singapour 467, l’Afrique du Sud 406 et l’Egypte 404 milliards de dollars (source FMI).  Pour le  classement sur  132 pays, nous avons par ordre décroissant pour les  24 premiers pays :1 – la Suisse -2-,la Suède -3 – les USA,  -4- le Royaume-Uni,-  5- Singapour, 6-la Finlande, 7-les Pays Bas , -8- Allemagne,-  9- Danemark, 10- la Corée du Sud, 11- la France , 12 – la Chine, – 13-   Japon ,  14-  Israël, –  15- Canada, 16- Estonie, 17-Hong Kong , 18- Australie, 19- Norvège, 20 – Islande, – 21- Luxembourg,  22 – Irlande,  23-Belgique, – 24 Australie, la Russie étant classée 50e. Quant aux autres pays du contour méditerranéen, Malte est classée à la 24e position, l’Italie à la 26e position, l’Espagne à la 29e position et le Portugal à la 30e position. Pour les pays  de l’Asie nous avons par ordre décroissant : la Chine 12e position, le Japon 132e position, la Malaisie 35e, l’Inde 39e, la Thaïlande 42e, le Vietnam 46e, les Philippines 56e, l’Indonésie 61e, le Pakistan 88e, le Sri Lanka 90e et le Bangladesh 104e. Pour les principaux pays d’Amérique latine, nous avons par ordre décroissant :le Brésil à la 49e position, le Chili 52e, le Mexique 58e, l’Uruguay 63e, la Colombie 66e, l’Argentine 73e, le Costa Rica 74e Panama 84e, Salvador 95e, la Bolivie 97e, le  Paraguay 98e.  Pour le continent Afrique, nous avons par ordre décroissant : l’Ile Maurice 57e position l’Afrique du Sud 59e,  le Maroc 70e, la Tunisie 78e,  Botswana 85e, Cap-Vert (91e), l’Egypte 86e, Cap-Vert 91e, le Sénégal 99e, le Ghana 100e, Rwanda 103e, le Nigeria 108e, Madagascar 107e, la Côte d’Ivoire 112e la Tanzanie 113e, le Togo 114e, la Zambie 118e, l’Algérie 119e, le Bénin 120e, le Cameroun 123e,  le Burkina Faso 124e, l’Ethiopie 125e, le Mozambique 126e, la Mauritanie 127e, la Guinée 128e, le Mali 129e, le Burundi 130e, le Niger 131e et en dernier l’Angola qui est en  132e position. Pour les pays du Moyen-Orient, Israël, 14e position, les Emirates 32e, l’Arabie saoudite  48e, le Qatar 50e, le Koweït 64e, Bahreïn  67e, Iran 62e, Oman 69e, la Jordanie 72e, et le  Liban 92e. Ces différents classements sont corroborés par le nombre de brevets déposés. à l’Organisation mondiale de la propriété  intellectuelle (OMPI) ont augmenté de 0,3% en 2022, pour atteindre 278 100 demandes où l’Asie  représente  54,7 % de l’ensemble des demandes, dont la Chine 70015 demandes (+ 0,6 % par rapport à 2021), suivie par les États-Unis, 59 056 demandes, (-0,6 %), le Japon (50 345 demandes, (+ 0,1 %), la Corée du Sud (22 012 demandes, (+ 6,2 %) et l’Allemagne 17 530 demandes, (+1,5 %). Dans les nouvelles technologies, le   géant chinois des télécommunications Huawei Technologies avec en 2022  7689 demandes,  suivi par Samsung   Electronics  de la Corée du Sud,  avec 4 387 demandes, la plus forte croissance  44,3 %, Qualcomme , USA , 3855  demandes, Mitsubishi Electric du Japon avec 2320  et Ericsson de la Suède avec 2158 demandes. L’Université de Californie  vient en tête  des principaux établissements avec 552 demandes publiées suivie des  Universités de Zhejiang 309 et  de l’Université de Suzhou (303). Dans le Top 10 des domaines technologiques, les «technologies informatiques» ont représenté, pour la quatrième année consécutive, la majeure partie des demandes internationales de brevets déposées (10,4 % du total), suivie par les «communications numériques» (9,4 %), les «technologies médicales» (7 %) et les «techniques de mesure» (4,6 %). les «technologies informatiques» (+ 8,1 %) ont par ailleurs enregistré le taux de croissance le plus important, suivis par les «semi-conducteurs» (+ 6,8 %), la «biotechnologie» (+ 6,7 %) et les « machines électriques » (+ 6,1%).

Conclusion

La faiblesse de l’innovation dans certains pays en voie de développement  s’explique tant par l’effritement du niveau  que par l’exode massif des cerveaux  qui contribuent à l’innovation de bon nombre de pays développés. Aussi, ne faut-il pas  se réjouir de découvrir   de nombreuses compétences notamment de l’Afrique du Nord et de l’Afrique noire dans de nombreux centres de recherches participant à l’innovation non dans leurs propres pays mais dans les  pays développés, cet exode étant un gain net pour le pays  d’accueil qui n’a pas  supporté les  coûts de formation de base qui se chiffrent en dizaines, voire des centaines de milliards de dollars sur une longue période.