Gazoduc Nigeria-Europe: Via l’Algérie ou via le Maroc et ce projet est-il réalisable sans l’accord de l’Europe principal client ?

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 Nous assistons depuis des années à des  déclarations contradictoires  de différents responsables du Nigeria concernant le gazoduc Nigeria/Europe, une fois c’est avec l’Algérie, une autre fois avec le Maroc  dont  la dernière en date est  le 03 décembre 2023  le ministre d’État nigérian de l’Energie Ekperikpe Ekpo a déclaré que les travaux des infrastructures du projet du gazoduc Nigeria-Maroc (NMGP) débuteront en 2024 suite à l’accord conclu avec les pays qui seront traversés par le pipeline.

Rappelons que   des protocoles d’ententes, protocoles  ne sont pas des contrats définitifs, n’engageant nullement les partenaires. Le Nigeria doit une fois pour toute éclaircir sa position car plusieurs hauts responsables nigériens  avaient déclaré courant 2022  officiellement que ce gazoduc passera par l’Algérie. L’on ne doit jamais oublier  afin que ce projet se réalise l’on devrait tenir compte de sa rentabilité. Ce «parasitage» s’explique par le fait que cela dépasse le cadre  strictement économique car comme le démontre une importante étude de l’IRIS du 19 août 2021, le gazoduc reliant le Nigeria à l’Europe, principal client, qui doit se prononcer également sur ce projet, est l’objet d’enjeux géostratégiques importants pour la région. Le secteur de l’Énergie au Nigeria est marqué par le poids dominant de l’industrie pétrolière et gazière, procurant 75 % des recettes du budget national et 95 % des revenus d’exportation et les réserves prouvées de gaz naturel sont estimées à 5.300 milliards de mètres cubes gazeux.

1.-Le gazoduc Maroc-Nigéria dont le coût est estimé par l’IRIS à environ 30 milliards de dollars, dont la durée de réalisation, entre 8/10 ans,  devrait mesurer environ 5 660 kilomètres de long. Il longerait la côte Ouest Africaine en traversant ainsi 14 pays : Nigéria, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone, les trois Guinée, la Gambie, le Sénégal, la Mauritanie, le Sahara occidental  et le Maroc.  Dans la phase de pré-études, il s’agit pour les États traversés et la CEDEAO de signer des accords relatifs à sa construction mais aussi de valider les volumes de gaz disponibles pour l’Europe et d’entamer les discussions avec les opérateurs du champ «Tortue» (ressources gazières) au large du Sénégal et de la Mauritanie (ces deux pays ont signé un accord en décembre 2018 afin d’exploiter en commun le champ gazier Tortue-Ahmeyim et approcher des clients européens). Ce projet a pour but de connecter les ressources gazières nigérianes à différents pays africains, existant déjà deux gazoducs dans la zone Afrique du Nord-Ouest, le «West African Gas Pipeline », qui relie le Nigéria au Ghana, en passant par le Bénin et le Togo, et le gazoduc Maghreb-Europe (également nommé « Pedro Duran Farell ») qui relie l’Algérie à l’Europe via l’Espagne (Cordoue) en passant par le Détroit de Gibraltar et le Maroc. Le tracé passe par les côtes du Sahara occidental.

2-Concernant le gazoduc Nigeria Algérie de 4128 km , d’un coût estimé par la commission européenne qui est passé de 5 milliards de dollars au début de l’entente à 19/20 milliards de dollars pour une durée de réalisation minimum de  5 année après le début du lancement, d’une capacité annuelle de trente milliards de mètres cubes devant partir de Warri au Nigeria pour aboutir à Hassi R’Mel, en passant par le Niger dont l’idée a germé dans les années 1980, l’accord d‘entente ayant été signé le 03 juillet 2009. Le 21 septembre 2021,  le ministre nigérian de l’Énergie a déclaré dans une interview accordée à la chaîne de télévision CNBC Arabia en marge de la conférence Gastech que son pays a commencé à mettre en œuvre la construction d’un gazoduc pour transporter du gaz vers l’Europe via l’Algérie qui possède trois canalisations opérationnelles. Nous avons le TRANSMED, la plus grande canalisation d’un looping GO3 qui permet d’augmenter la capacité de 7 milliards de mètres cubes auxquels s’ajouteront aux 26,5 pour les GO1/GO2 permet une capacité de 33,5 milliards de mètres cubes gazeux, étant d’une longueur de 550 km sur le territoire algérien et 370 km sur le territoire tunisien, vers l’Italie. Nous avons le MEDGAZ directement vers l’Espagne à partir de Beni Saf au départ d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux qui après extension la capacité a été portée à 10,5 milliards de mètres cubes gazeux. Nous avons le GME via le Maroc dont l’Algérie a décidé d’abandonner, le contrat s’étant achevé le 31 octobre 2021, d’une longueur de 1300 km, 520 km de tronçon marocain, la capacité initiale étant de 8,5 milliards de mètres cubes ayant été porté en 2005 à 13,5 de milliards de mètres cubes gazeux. Toutefois, il faut être réaliste ,  après le coup d’Etat, le Nigeria principal fournisseur a émis des sanctions contre le Niger et  sans une solution politique , ce gazoduc ne peut transiter par le Niger .

3.-La rentabilité du projet Nigeria Europe, suppose trois conditions. Premièrement, la mobilisation du financement, alors que les réserves de change sont fin 2023, pour l’Algérie de 73 milliards de dollars avec un endettement extérieur faible, moins  de 3 milliards de dollars ne pas confondre et selon le FMI  des réserves de change  de 32 milliards de dollars avec un endettement extérieur élevé 22 milliards de dollars fin 2022 et le Nigeria  fin 2022 à 3, 7 milliards de dollars de réserves de change  et selon   le bureau de gestion de la dette du Nigeria (DMO)   une augmentation de la dette publique de 7,66% en 2022, affichant 103,11 milliards $ contre 95,77 milliards $ en 2021. Aussi l’on devra   impliquer des groupes financiers internationaux, l’Europe principal client et sans son accord et son apport financier il sera difficile voire, impossible de lancer ce projet, l’Europe se proposant  horizon 2030 de couvrir 50% de ses besoins en énergies renouvelables

Deuxièmement, ce projet doit tenir compte de la concurrence d’autres source d’énergie dont les énergies renouvelables, la percée de l’hydrogène vert  et  de la concurrence internationale qui influe sur sa rentabilité. Les réserves avec de bas coûts, sont de 45.000 milliards de mètres cubes gazeux pour la Russie, 30.000 pour l’Iran et 20. 000 pour le Qatar, sans compter d’autres producteurs comme le Mozambique en Afrique , les importants gisements de gaz en Méditerranée (20.000 milliards de mètres cubes gazeux) expliquant les tensions entre la Grèce et la Turquie.  Sans compter le gaz de schiste américain, cela étant lié à l’étude du marché qui influe sur la prise de décision de lancer un tel investissement”, d’où la démarche de lancer une étude du marché pour déterminer la demande sur le gaz avant de trancher sur l’opportunité de s’engager dans ce projet car  la  faisabilité implique la détermination du seuil de rentabilité en fonction de la concurrence d’autres producteurs, du coût et de l’évolution du prix du gaz

Troisièmement, la sécurité et des accords avec certains pays, le projet traverse plusieurs zones alors instables et qui mettent en péril sa fiabilité avec les groupes de militants armés du Delta du Niger qui arrivent à déstabiliser la fourniture et l’approvisionnement en gaz, les conséquences d’une telle action, si elle se reproduit, pourraient être remettre en cause la rentabilité de ce projet. Il faudra impliquer les États traversés où il faudra négocier pour le droit de passage (paiement de royalties) donc évaluer les risques d’ordre économique, politique, juridique et sécuritaire.

En conclusion,  les investissements dans le gaz sont très lourds, et  tout dépendra de l’évolution   entre 2024/2030/2040,  de la demande  qui sera fonction  du nouveau modèle  consommation énergétique  mondial  qui s’oriente  vers la transition numérique et énergétique avec un accroissement de la part du renouvelable, de l’efficacité énergétique  et entre 2030/2040 de l’hydrogène  qui déclassera   une grande part de l’énergie transitionnelle.  L’énergie, autant que l’eau, est au cœur de la souveraineté des États et de leurs politiques de sécurité.  Les nouvelles dynamiques économiques modifient les rapports de force à l’échelle mondiale et affectent également les recompositions politiques à l’intérieur des États comme à l’échelle des espaces régionaux, ne devant jamais oublier que  dans la pratique  des affaires et des  relations internationales n’existent pas  de sentiments mais, que des intérêts, chaque pays défendant ses intérêts propres.

A.M