De 1970 à 2022, nous avons assisté à des dizaines de réunions gouvernement/Walis avec des recommandations issues de différents ateliers sans pourtant dynamiser réellement la gestion des collectivités locales du fait de la bureaucratie centrale et locale qui étouffe les énergies créatrices.
D’où l’urgence d’un nouveau management stratégique tant des ministères (la responsabilité étant intersectorielle) que des collectivités locales, posant la problématique de la décentralisation inséparable de la bonne gouvernance autour de grands pôles régionaux afin de favoriser le développement et une société participative. Cette contribution qui est une synthèse de mes différentes contributions parues entre 1976/2021 sur la décentralisation, est un hommage au feu le Professeur Madjid Aït Habouche décédé en septembre 2019, qui a été mon étudiant à l’université d’Oran et dont j’ai eu l’honneur de diriger sa thèse de magister en 1983 sur l’aménagement du territoire et la décentralisation en Algérie et qui depuis avait mis en place un des plus grands laboratoires de recherches en Algérie dans ce domaine.
1 – L’Algérie s’étend sur 2. 380 000 km2 dont 2.100 000 km2 d’espace saharien, partageant des frontières terrestres avec ses 7 pays voisins : la Libye, le Mali, la Mauritanie, le Maroc, le Niger, la Tunisie et le Sahara occidental, pour un total de 6511 km. La densité paraît faible, mais les 9/10e de la population sont concentrés sur les terres du Nord. L’objectif stratégique horizon 2023/2030 est d’éviter que plus de 95% de la population vive sur moins de 10% du territoire et avoir une autre vision de l’aménagement de l’espace. Il convient de prendre le soin de ne pas confondre l’espace géographique avec l’espace économique qui intègre le temps, l’espace étant conçu comme surface, distance et comme ensemble de lieux. La conception volontariste étatiste de l’aménagement du territoire en Algérie, fondée sur la fameuse théorie des pôles de développement ou de croissance entraînant, a été un leurre et n’a pas eu les effets escomptés. Nous assistons, hélas, à des constructions anarchiques avec le manque d’homogénéisation dans le mode architectural, un taux accéléré d’urbanisation avec des bidonvilles autour des grandes villes, avec le risque de l’extension de nouvelles formes de violence à travers le banditisme et de maux sociaux comme la drogue et la prostitution. Il suffit de visiter toutes les wilayas, sans exception, pour constater des routes, des infrastructures et des ouvrages d’art qui ont coûté à la collectivité nationale plusieurs dizaines de milliards de centimes inutilisables en cas d’intempéries, des routes éventrées à l’intérieur des villes où la plupart des autorités se complaisent uniquement aux axes principaux visités par les officiels, des ordures qui s’amoncellent depuis des années à travers la majorité des quartiers périphériques, des logements que les citoyens refont, surtout les secondes œuvres avec des VRD non finies, des espaces verts qui font place à du béton, la construction d’unités dangereuses et polluantes près des villes, des sites touristiques, près des côtes, contenant plusieurs centaines de lits et qui déversent à la mer leurs déchets sans compter le manque d’eau pour l’hygiène. Cela témoigne d’actions urgentes dont la responsabilité ne concerne pas seulement un département ministériel, mais à la fois plusieurs ainsi que les collectivités locales. Cette situation peut avoir des conséquences très graves, avec la «bidonvilisation» sur le plan sécuritaire qui a un coût, d’où l’importance de l’aménagement du territoire et d’une véritable régionalisation économique. La notion de région est extrêmement variable : la régionalisation pouvant se réaliser au sein du pays ou bien par le regroupement d’un ensemble d’États dans une zone géographique particulière ou sur la base d’intérêts ressentis comme communs ce que les économistes qualifient d’intégration régionale. Je définirai la régionalisation économique à ne pas confondre avec l’avatar néfaste du régionalisme, comme un mode d’organisation de l’Etat qui confère à la région un rôle et un statut économique propre, caractérisé par une autonomie relative, mais non indépendant de l’Etat régulateur central pour les grandes orientations stratégiques tant politiques qu’économiques, cette autonomie étant donc encadrée par l’autorité nationale. Toute régionalisation économique appelle les questions fondamentales suivantes : compétences des régions ; règles de composition et de fonctionnement des assemblées et exécutifs régionaux ; ressources des régions ; relations avec le pouvoir central ; modalités de transfert aux pouvoirs régionaux et enfin concertation entre régions. La mise en place de la régionalisation économique doit avoir pour conséquence un meilleur gouvernement réel ressenti comme tel par la population, l’argument de base résidant dans la proximité géographique. Cela signifie qu’il existe une solution locale aux problèmes locaux et que celle-ci est nécessairement meilleure qu’une solution nationale. Selon les théories régionalistes, la diversité des situations locales impose une diversité de solutions pour s’adapter aux conditions locales spécifiques. La régionalisation économique couplée avec une réelle décentralisation supposant une clarté dans l’orientation de la politique socio-économique évitant des tensions et conflits entre le pouvoir local et central et des concurrences entre le centre et la périphérie permettrait un nouveau cadre de pouvoir avec des nouveaux acteurs, de nouvelles règles et de nouveaux enjeux avec des nouvelles stratégies élaborées. La création d’un nouvel espace public devrait favoriser un nouveau contrat social national afin de rendre moins coûteux et plus flexible le service public et génèrerait une nouvelle opinion publique, voire une nouvelle société civile. Le débat permet l’émergence de thématiques communes, des modes de propositions communs et donc déterminerait des choix collectifs optimaux. Une centralisation à outrance favorise un mode opératoire de gestion autoritaire des affaires publiques, une gouvernance par décrets, c’est-à-dire une gouvernance qui s’impose par la force et l’autorité loin des besoins réels des populations et produit le blocage de la société.
2 – La réforme nécessaire des collectivités locales implique la réorganisation du pouvoir local dont la base est l’APC, le Wali servant de régulateur et non de gestionnaire afin de favoriser une société plus participative et citoyenne. Après le tout Etat, l’heure est au partenariat entre les différents acteurs de la vie économique et sociale, à la solidarité, à la recherche de toutes formes de synergie et à l’ingénierie territoriale. C’est dans ce contexte, que l’APC doit apparaître comme un élément fédérateur de toutes les initiatives qui participent à l’amélioration du cadre de vie du citoyen, à la valorisation et au marketing d’un espace. C’est à l’APC que reviendra ainsi la charge de promouvoir son espace pour l’accueil des entreprises et de l’investissement devant se constituer en centre d’apprentissage de la démocratie de proximité qui la tiendra comptable de l’accomplissement de ses missions. Actuellement, les présidents d’APC ont peu de prérogatives de gestion tout étant centralisé au niveau des Walis alors qu’il y a lieu de penser un autre mode de gestion, de passer du stade de collectivités locales providences à celui de collectivités locales entreprises et citoyennes responsables de l’aménagement du développement et du marketing de son territoire. Pour l’Algérie, il s’agit de procéder à une autre organisation institutionnelle, qui ne sera efficace que sous réserve d’objectifs précis, d’opérer un nécessaire changement qui passe par une approche basée sur une identification claire des missions et responsabilités et une restructuration des fonctions et des services chargés de la conduite de toutes les activités administratives, financières, techniques et économiques. Cette organisation institutionnelle implique d’avoir une autre organisation tant des ministères que des wilayas par des regroupements évitant les micros institutions budgétivores, incluant la protection de l’environnement. Cette organisation doit être souple avec comme rôle essentiel la prospective du territoire en évitant le centralisme administratif, afin de construire un socle productif sur plus d’individus et davantage d’espace. L’aménagement du territoire ne peut être conçu d’une manière autoritaire, interventionniste, conception du passé, mais doit être basé sur la concertation et la participation effective de tous les acteurs sociaux. Les pouvoirs publics doivent dépasser cette vision distributive à l’image des programmes spéciaux, mais concourir à optimiser la fonction du bien être collectif. L’aménagement du territoire devra répondre aux besoins des populations en quelque lieu qu’elles se trouvent et assurer la mise en valeur de chaque portion de l’espace où elles sont installées. Il ne s’agira pas d’opposer le rural à l’urbain, les métropoles aux provinces, les grandes villes aux petites, mais d’organiser leurs solidarités. Pour cela, il s’agira de favoriser une armature urbaine souple à travers les réseaux, la fluidité des échanges, la circulation des hommes et des biens, les infrastructures, les réseaux de communication étant le pilier. Cela implique une nouvelle architecture des villes, des sous systèmes de réseaux mieux articulés, plus interdépendants bien que autonomes dans leurs décisions (voir l’ouvrage collectif pluridisciplinaire regroupant économistes, sociologues, politologues, sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul» réformes et démocratie Casbah Editions, deux volumes (2004 Alger 500 pages) avec un chapitre consacré à la décentralisation). L’efficacité des mesures d’aménagement du territoire pour favoriser les activités productives, impliquent la refonte des finances locales et des taxes parafiscales sans laquelle la politique d’aménagement du territoire aurait une portée limitée devant s’appuyer sur le système de péréquation entre les régions pauvres et riches qui doit être prise en compte par les pouvoirs publics évitant l’esprit centralisateur jacobin largement dépassé.
3 – Comme je l’avais préconisé (voir nos ouvrages, réformes et démocratie OPU 1982 et Casbah Edition 2005), car ayant assisté à certaines réunions sous la structure actuelle gouvernement walis, où j’ai pu constater qu’ils n’ont pas souvent les résultats escomptés tant en matière de gestion que d’impacts auprès des populations, je préconise que les prochaines réunions beaucoup plus opérationnelles réunissent sous la direction de la structure qui me semble la plus appropriée pour créer ce dynamisme, les chambres de commerce régionales, six à sept pôles régionaux qui regrouperaient le gouvernement, les élus locaux, les présidents d’APC, de wilayas, les entreprises publiques/privées, les banques, les centres de formation professionnelle, et les universités/centres de recherche (voir notre contribution l’expérience du pôle régional de Greenville USA www.google -Mebtoul 1995 suite à une longue tournée que j’ai effectuée aux USA). L’action des grandes chambres de commerce régionales, lieu de concertation, mais surtout d’impulsion pour la concrétisation de projets serait quadruple : premièrement, dynamiser les infrastructures de base et préparer des sites confiés à des agences de promotions immobilières publiques et privées ; deuxièmement, l’avenir appartenant au savoir, et ce, dans tous les domaines économiques et militaires, sans laquelle aucun développement n’est possible en ce XXIe siècle, mettre à la disposition des sociétés une main-d’œuvre qualifiée grâce à un système de formation performant et évolutif allant des ingénieurs, aux gestionnaires, aux techniciens spécialisés et ce, grâce aux pôles universitaires et des centres de recherche, évitant ce mythe d’une université par wilaya. Par exemple, la chambre de commerce offrira un poste pour 10 candidats en formation, les 90% non retenus ne constituant pas une perte pour la région. L’apprentissage en dynamique est un capital humain pour de futures sociétés qui s’installent dans la région, une société installée payant des impôts qui couvriront largement les avances en capital de la formation avancée. Cette formation devra être adaptée pour tenir compte de la norme qualité standard, le label qualité étant exigé pour tout exportateur. Ainsi, nous assisterons à une symbiose entre l’université et les entreprises. Car les sociétés ont besoin de l’accès aux chercheurs, aux laboratoires pour les tests d’expérimentation et l’université a besoin des sociétés comme support financier et surtout d’améliorer la recherche. Les étudiants vivent ainsi la dialectique entre la théorie et la pratique ; la troisième action est de favoriser des entreprises souples reposant sur la mobilité et les initiatives individuelles. Des tests ont montré que l’initiative personnelle, pour certains produits, permet d’économiser certains équipements (donc d’avoir un amortissement moindre dans la structure des coûts) et de faire passer le processus de sept (7) minutes (420 secondes) à 45 secondes soit une économie de temps de plus de 90% améliorant la productivité du travail de l’équipe. Ce qu’on qualifie d’équipes auto-dirigées ; la quatrième action, la chambre de commerce intensifient les courants d’échange à travers différentes expériences entre les régions du pays et l’extérieur et l’élaboration de tableaux de prospectifs régionaux, horizon 2023/2025/2030. La mise à la disposition des futurs investisseurs de toutes les commodités nécessaires ainsi que des prestations de services divers (réseau commercial, loisirs) est fondamentale. Cette symbiose entre ces différentes structures et certains segments de la société civile doit aboutir à des analyses prospectives fondamentales, à un tableau de bord d’orientation des futures activités de la région, afin de faciliter la venue des investisseurs.
En conclusion, il faut éviter l’utopie de verser dans le juridisme qui n’est qu’un moyen, sans s’attaquer au fonctionnement de la société. L’on ne doit pas confondre décentralisation avec déconcentration où le pouvoir central rejette les problèmes qu’il ne peut résoudre sur le pouvoir local en créant d’autres entités administratives alors qu’avec les nouvelles technologies l’organisation en réseaux peut facilement rapprocher l’État du citoyen. La pleine réussite de ce processus complexe de la décentralisation, action éminemment politique implique de poser le rôle de l’Etat et son articulation avec le marché dans la future stratégie socio- économique ce qui renvoie au mode de gouvernance afin de favoriser le développement multidimensionnel, économique, social et surtout culturel déterminant en ce XXIe isocèle . L’aménagement du territoire plaçant l’homme pensant et créateur au cœur du développement doit réaliser un triple objectif : une société plus équilibrée et plus solidaire, la croissance au service de l’emploi et mettre l’Algérie au cœur du développement de la Méditerranée et de l’Afrique espace naturel de l’Algérie, afin de favoriser une prospérité partagée.
- M.