Au cinéma, les derniers mots d’un mourant sont souvent lourds de sens, chargés d’amour, d’héroïsme ou de révélations fracassantes. Face à la mort, le personnage principal trouve soudain la force de prononcer une phrase pleine de sagesse, une révélation philosophique qui changera la vie de celles et ceux qui restent.
La réalité est quelque peu différente. Les véritables dernières paroles sont généralement décousues, balbutiées bien avant le dernier souffle. Pourtant, selon plusieurs chercheurs, on retrouve fréquemment les mêmes schémas et les mêmes mots à travers le monde, indique le magazine américain Popular Mechanics. Lorsque le corps s’éteint, il le fait par étapes. Notre système ralentit progressivement et les capacités nerveuses et musculaires –permettant entre autres la parole– disparaissent. Beaucoup plongent alors dans un état de confusion appelé «delirium», marqué par une perte de repères et une conscience altérée. Les échanges passent alors par des gestes: une main serrée, un regard. «La conversation finale ne se résume pas toujours à des mots», rappelle Maureen Keely, professeure à l’université d’État du Texas et spécialiste de la communication en fin de vie. Mais chez les personnes qui peuvent encore parler, certaines phrases semblent récurrentes. Brooke Nutting, accompagnante de fin de vie, se souvient de patients qui paraissaient s’adresser à des présences invisibles. Certains murmurent: «C’est un plaisir de vous rencontrer», comme s’ils accueillaient quelqu’un qui viendrait d’entrer dans la pièce. D’autres, au contraire, laissent échapper des jurons ou appellent désespérément leur mère. Ces scènes, attestées dans plusieurs études, hantent celles et ceux qui y assistent. Une recherche publiée en 2019 dans la revue Palliative Medicine estime que près de 88% des patients en soins palliatifs connaissent un épisode de delirium avant de mourir. Mais ce n’est pas le seul état modifié de conscience observé dans les derniers jours de vie. Quelques personnes vivent aussi ce que les soignants appellent la «lucidité terminale»: un bref retour de clarté mentale avant la mort, parfois décrit comme une ultime étincelle. «Je considère cette lucidité comme un cadeau, que tout le monde ne reçoit pas, écrit Brooke Nutting dans un courriel adressé à Popular Mechanics. Il arrive que des patients retrouvent soudainement une grande clarté d’esprit. Ils reconnaissent leurs proches, tiennent de vraies conversations, ou passent un dernier appel vidéo à ceux qui sont loin.»
Mieux comprendre la conscience humaine
Pourquoi un tel moment survient-il chez certaines personnes et non chez d’autres? «Ça fait partie du grand mystère de la mort», admet Brooke Nutting. La science, elle, avance quelques hypothèses. Certains neurologues évoquent un manque d’oxygène: un cerveau privé d’oxygène pourrait connaître des sursauts d’activité inédits. Une étude publiée en 2023 dans la revue PNAS a observé une augmentation spectaculaire d’ondes gamma –celles associées à la pensée complexe– chez des personnes vivant une expérience de mort imminente. Explorer ces expériences pourrait nous aider à approfondir notre compréhension de la conscience, voire de ce qui la prolonge au-delà du dernier souffle. L’idée qu’elle persiste brièvement après la mort a toujours fasciné, et les outils modernes commencent à en tracer les contours neurologiques. Reste que chaque fin de vie est singulière. Selon Maureen Keely, la valeur des derniers mots tient surtout à leur contexte. «Ce qui semble incompréhensible pour un soignant peut avoir un sens profond pour un proche», souligne-t-elle. Les phrases prononcées à la frontière de la vie et de la mort n’ont pas nécessairement une signification universelle, elles appartiennent à ceux qui les entendent. («Rosebud») «Il existe de véritables conversations à ce moment-là, complète Maureen Keely. Et c’est à la personne qui les reçoit de décider si elles sont profondes ou non.»
