Alzheimer: La piste immunitaire évoquée

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Bonne nouvelle pour toutes les personnes concernées par cette maladie neurodégénérative, la recherche progresse. Vers une prise en charge personnalisée. 

Selon le modèle communément admis, la maladie d’Alzheimer est due à une accumulation de peptides amyloïdes dans le cortex cérébral, laquelle conduit à l’augmentation d’amas fibreux de la protéine Tau à l’intérieur des neurones. Cette «cascade amyloïde» entraîne la mort progressive des cellules nerveuses avec, comme premier symptôme, la perte de mémoire. Mais la réalité est beaucoup plus complexe ! Il n’y aurait pas une seule, mais plusieurs formes de la maladie. «La cascade amyloïde, en tant que mécanisme principal, aboutissant toujours à une démence, ne concerne qu’une minorité de patients (1%), atteints avant 50 ans d’une forme précoce due à une mutation génétique héréditaire», explique le Pr Bruno Dubois, chef du service des maladies cognitives et comportementales à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Pour les autres formes, qui se déclarent plus tardivement, les troubles cognitifs sont plus aléatoires. Certains patients (environ deux tiers des cas) présentent une variation sur le gène APOE, qui code pour l’apolipoprotéine E chargée du transport des lipides dans le sang. Ceux-ci ont de 22 à 95% de risque, selon les études, de développer une démence. Chez d’autres malades (environ un tiers des cas), on ne retrouve pas de variation sur le gène APOE. Cette forme d’Alzheimer serait influencée par des causes plutôt environnementales. Dans ce cas, le risque de démence est moindre. «Mieux prendre en compte ces différents profils permettra de proposer des stratégies préventives et thérapeutiques personnalisées», espère le Pr Dubois.

La piste du système immunitaire

Dans une large étude internationale coordonnée par une équipe française, les chercheurs ont identifié quarante-deux nouvelles régions du génome associées au risque de développer Alzheimer, portant le nombre de régions connues à ce jour à soixante-quinze. «Certaines participent à la production des peptides amyloïdes neurotoxiques et au fonctionnement de la protéine Tau», explique Jean-Charles Lambert, directeur de recherche Inserm à Lille et coauteur de l’étude. Toutefois, il ne s’agit pas des seuls points d’entrée dans la maladie. «Nous avons localisé des régions du génome impliquées dans un dysfonctionnement du système immunitaire, notamment au niveau des cellules de la microglie. Ces dernières, présentes dans le système nerveux central, jouent un rôle d’«éboueur» en éliminant les substances toxiques», ajoute le spécialiste. Les scientifiques ont également mis en évidence une composante inflammatoire. «Ces découvertes aident aussi la communauté scientifique à orienter ses recherches vers de nouvelles voies thérapeutiques», conclut-il.

Un dépistage précoce d’ici à cinq ans

Les chercheurs s’attellent à trouver des biomarqueurs (des molécules biologiques mesurables dans le sang ou le liquide céphalorachidien) pour dépister de façon précoce la maladie. L’objectif majeur est d’être prêt à prendre en charge très tôt les patients lorsque des traitements efficaces seront disponibles. La quantité de protéine Tau dans les cellules nerveuses est l’un de ces biomarqueurs potentiels. Elle est facilement observable par imagerie (tomographie par émission de positons) et des travaux de l’Inserm ont montré qu’elle permettait de prédire la rapidité de l’évolution de la maladie. Des tests sanguins pourraient aussi être utiles. Ainsi, doser par une simple prise de sang le taux de fragment de la protéine Tau localisé à son extrémité pourrait prédire le futur déclin cognitif de toute personne. «D’ici à cinq ans, on saura certainement assez facilement évaluer le risque réel de chacun de développer la maladie. S’il est élevé, cela pourra justifier l’administration d’un médicament qui retarde l’entrée dans Alzheimer», prédit le Pr Dubois.

Le rôle du microbiote en question

Le microbiote des patients diagnostiqués Alzheimer est souvent altéré et le côlon a été identifié comme la zone la plus précocement touchée par les dépôts de protéines amyloïdes. Des chercheurs suisses et italiens ont récemment constaté que certains composants (des lipopolysaccharides et certains acides gras à chaîne courte comme l’acétate) produits par des bactéries intestinales étaient associés à d’importants dépôts amyloïdes dans le cerveau. Retrouvées dans le sang, ces substances pourraient modifier l’interaction entre les systèmes immunitaire et nerveux par un mécanisme inflammatoire, déclenchant ainsi la maladie d’Alzheimer. La solution pourrait être l’administration de prébiotiques (glucides) pour nourrir les bonnes bactéries de l’intestin. Ce remède ne serait néanmoins efficace qu’au tout début de la formation des plaques amyloïdes.

Une molécule prometteuse  pour réguler le cuivre

Naturellement présent dans le cerveau, ce minéral est indispensable à son bon fonctionnement, notamment en participant à la synthèse des neuromédiateurs. Or, dans le cerveau des malades d’Alzheimer, le cuivre est piégé et stocké dans les plaques amyloïdes, ce qui accentuerait l’altération des neurones. Une collaboration entre des chercheurs du CNRS et des chercheurs chinois a permis de développer une molécule, aujourd’hui brevetée, capable de réguler la circulation du cuivre. «Elle extrait le cuivre piégé dans les plaques amyloïdes et le réintroduit dans la circulation sanguine afin qu’il puisse être réutilisé normalement par le cerveau», explique Bernard Meunier, chercheur au laboratoire de chimie de coordination du CNRS à Toulouse. Et les résultats chez les souris sont prometteurs : après avoir reçu ce traitement, elles présentaient moins de pertes de mémoire. «Cette molécule, facile à administrer par voie orale, pourrait être efficace si elle est prise dès les premiers troubles de la mémoire», précise l’expert. Les scientifiques cherchent désormais un partenaire pharmaceutique pour commencer des essais cliniques et confirmer les effets chez l’homme.

Bientôt, de nouveaux traitements…

La recherche thérapeutique s’oriente vers l’administration (par voie injectable) d’anticorps monoclonaux capables de cibler les peptides amyloïdes. Premier médicament du genre, l’aducanumab est commercialisé aux Etats-Unis depuis juin 2021. Il a montré son efficacité sur des formes précoces d’Alzheimer et ouvre la voie à une nouvelle ère de traitements. Autre molécule, le lecanemab, qui a reçu le 6 janvier dernier une autorisation de mise sur le marché par la Food and Drug Administration pour traiter les patients présentant une forme légère de la maladie. Mais son effet reste modéré (il a permis de réduire de 27% le déclin cognitif des malades traités). Pour l’heure, ce médicament n’est pas disponible en Europe. Les espoirs se tournent aussi vers le donanemab, encore à l’étude, qui, selon les premiers résultats cliniques, réduit de 80% les lésions après un an et demi de traitement.