Synthèse de l’intervention lors du séminaire sur le crime économique organisé par le ministère de la Défense nationale/haut commandement de la Gendarmerie nationale le 23 février 2022 du professeur des universités, expert international, le Dr Abderrahmane Mebtoul, haut magistrat, premier conseiller et directeur général des études économiques à la Cour des comptes (1980/1983).
Permettez-moi au préalable de remercier le ministère de la Défense nationale via le haut commandement de la Gendarmerie nationale de cette aimable invitation sur un sujet combien sensible «les multiples formes de criminalité économique et financière et les moyens d’y faire face» qui démontre la volonté de l’état-major de l’ANP de combattre ce fléau qui engage la sécurité nationale existant un lien dialectique entre sécurité et développement. Mon intervention, objet de cette brève synthèse sur «les enjeux géostratégiques pour l’Algérie de la sphère informelle et de ses liens avec l’évasion fiscale, le trafic aux frontières, et la fuite de capitaux : axes d’une nouvelle gouvernance pour le combat contre le crime économique organisé sera articulée autour de six axes interdépendants 1. Sphère informelle et évasion fiscale 2.- La nature du crime organisé 3.- Ses différentes composantes 4.- Gouvernance et transferts illicites de capitaux 5.- La stratégie de
l’Algérie face au crime économique organisé 6.- Quelles leçons tirer? Mon intervention fait suite aux nombreuses études internationales aux USA et en Europe et nationales ainsi que des conférences que j’ai données, notamment devant le Parlement européen, à l’Ecole supérieure de guerre, à l’Institut militaire de documentation, d’évaluation et de prospective (IMDEP), et récemment en juin 2021 devant la majorité des attachés militaires, politiques et économiques des ambassades accrédités à Alger devant insister sur le fait que l’Algérie est un acteur stratégique de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine, confrontée à de nombreux défis internes et externes. Car en ce XXIe siècle, les menaces sur la sécurité ont pour nom terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, crises régionales et délitement de certains Etats. Les défis collectifs nouveaux, sont une autre source de menace. – Ils concernent les cyberattaques, les ressources hydriques, la pauvreté, les épidémies, l’environnement. Ils sont d’ordre local, régional et global.
La criminalité transnationale organisée englobe pratiquement toutes les activités criminelles graves motivées par le profit qui revêtent un caractère international, impliquant plus d’un pays. Cela favorise les transferts illicites de capitaux et le blanchiment d’argent, qui est un processus durant lequel l’argent gagné par un crime ou par un acte illégal est lavé. Il s’agit en fait de voiler l’origine de l’argent pour s’en servir après légalement. Les multiples paradis fiscaux, des sociétés de clearing (aussi Offshore) permettent de cacher l’origine de l’argent. Des techniques de blanchiment d’argent nouvellement émergentes et de plus en plus complexes apparaissent, impliquant l’utilisation du régime du commerce international, des passeurs de fonds, des systèmes alternatifs de transfert de fonds et des structures d’entreprise complexes.
1.- L’essence du crime économique organisé ne peut être comprise sans analyser le fonctionnement de la sphère informelle au niveau national et interne et ses liens avec la criminalité transnationale organisée, ( Etat de non-droit), qui menace la sécurité mondiale et le développement économique, social, culturel et politique. Mais il faut s’attaquer à la racine et non aux effets apparents car lorsqu’un Etat émet des lois qui ne correspondent pas à la réalité de la société, la majorité des acteurs émet ses propres lois, en dehors de celles que l’on veut lui imposer, beaucoup pus efficaces car reposant sur un contrat de confiance, lui permettant de fonctionner. Difficile à quantifier par nature, l’économie informelle occupe une place centrale dans toutes les sociétés africaines. Peu de gouvernements s’y attaquent, parce qu’elle fonctionne comme un amortisseur social et correspond à une vision particulière des rapports humains. Selon un rapport de la Banque mondiale publié le 21 mai 2021, cela représente environ 33% du PIB dans les pays en voie de développement et entre 50/70% de l’emploi total dont la moitié sous forme d’emplois indépendants avec une rémunération inférieure à 19% des emplois réels touchant surtout les femmes et les jeunes non diplômés et qu’environ 26 %) de la population des économies émergentes et en développement dont le niveau d’informalité est supérieur à la médiane vit dans l’extrême pauvreté, contre un taux de 7 % seulement. Et les recettes publiques sont inférieures de 5 à 12 points de pourcentage de PIB à celles des autres économies dans celles où l’informalité est inférieure à la médiane. Pour l’Afrique, 90 % des personnes actives exercent dans l’informel au Cameroun et au Sénégal, contre 80 % en Afrique du Sud, 50 % en Ethiopie et entre 40 % et 50% dans les pays du Maghreb, le président de la République a donné un montant faramineux entre 6.000 et 10.000 milliards de dinars circulant hors banques en Algérie entre 33 et 47% du PIB. Cela concerne commerçants, artisans, couturiers, ferrailleurs, mécaniciens, plombiers, maçons, chauffeurs, taxis… Souvent appris sur le tas, ces métiers représentent une véritable planche de salut pour la majorité car étant le seul moyen de gagner sa vie, en gérant l’argent frais qui transite de main en main. Cela montre le faible taux de bancarisation qui persiste en Afrique subsaharienne (pas plus de 20 % selon la Banque mondiale). Mais existent des liens avec la sphère réelle. Des entreprises de construction dûment enregistrées ont recours à des sous-traitants non fiscalisés, par exemple. Des fonctionnaires ou ouvriers mal payés arrondissent leurs fins de mois en exerçant le soir une autre activité, informelle. Au niveau global, outre la concurrence avec les activités réelles, le non-paiement des impôts, encore que de lourdes taxes encouragent l’extension de la sphère informelle selon l’adage l’impôt tue l’impôt, favorisant les délits d’initiés et la corruption. Cette sphère favorise la fraude fiscale alors que les recettes fiscales nationales représentent une source indispensable pour le financement du développement. D’où l’importance d’analyser les impacts du crime économique organisé qui peut déstabiliser des pays et des régions entières, les groupes criminels organisés travaillant avec des criminels locaux, développant, à ce niveau, la corruption, l’extorsion, le racket et la violence, ainsi que diverses autres activités criminelles plus élaborées. Des gangs violents peuvent également transformer les centres-villes en zones de non-droit et mettre la vie de citoyens en danger. Dans le contexte d’un monde de plus en plus globalisé, qui facilite la circulation des personnes et des biens, les groupes de criminalité organisée ont prospéré, posant de nombreux défis où les groupes criminels utilisent souvent des entreprises commerciales licites pour dissimuler leurs activités illicites. Selon les rapports conjoints de la Banque mondiale et du FMI, la corruption peut réduire le taux de croissance d’un pays de 0,5 à 1 point de pourcentage par an et que les investissements réalisés dans les pays corrompus sont inférieurs d’environ 5% à ceux réalisés dans les pays relativement non corrompus. Selon l’agence de cotation Standard and Poor’s, les investisseurs ont 50 à 100% de chances de perdre la totalité de leurs investissements dans un délai de cinq ans dans les pays connaissant divers degrés de corruption et donc que les investissements à long terme, les plus intéressants pour les pays, deviennent ainsi risqués et peu probables. Lorsque la corruption touche les personnalités publiques de haut niveau, elle peut avoir des effets particulièrement dévastateurs où de hauts fonctionnaires corrompus sur le niveau de développement du pays ayant un impact sur le niveau de vie de la population à un niveau intolérable en gaspillant des ressources, et ce, bien entendu avec la complicité des Etats et partenaires étrangers où sont souvent déposés ces montants mal acquis. Encore que dans certains pays occidentaux, verser des pots-de-vin à des étrangers à des fins commerciales est légal et le montant peut même être légalement déduit de l’impôt. Donc, ce fléau du crime organisé dépasse le cadre national, devant le relier aux réseaux internationaux, où existent des liens dialectiques entre certains agents externes et internes. Un important rapport réalisé par Global Initiative Against Transnational Organized Crime sur l’état du crime organisé-armes, drogue, ressources naturelles, avec une analyse détaillée des indices de corruption dans 193 Etats le 3 octobre 2021. L’ indice contenu dans ce rapport est une mesure composite de variables utilisant divers points de données. Dans le cadre de la mesure du crime organisé, les paramètres sur lesquels repose cet Indice découlent des définitions de la criminalité organisée et des activités et concepts liés, définissant la «résilience» comme la capacité de résister et de perturber les activités criminelles organisées dans leur ensemble, plutôt que des marchés individuels, par le biais de mesures politiques, économiques, juridiques et sociales. La résilience fait référence aux mesures prises par les pays à la fois par les acteurs étatiques et non étatiques. Il comprend deux indicateurs composites, évaluant 193 États membres de l’ONU à la fois en fonction de leur niveau de criminalité selon un score de 1 à 10 (du niveau le plus bas au niveau le plus élevé de criminalité organisée) et de leur résilience face au crime organisé selon un score de 1 à 10 (du niveau le plus bas au niveau le plus élevé de résilience), l’indice étant conçu selon les auteurs du rapport pour fournir des données chiffrées permettant aux décideurs politiques, professionnels et autres parties prenantes d’être bien informés en termes d’élaboration de stratégies de lutte contre le crime organisé dans leurs pays ou leurs région. Ce rapport met en relief que le montant du crime organisé varierait entre 2 et 5% du PIB mondial estimé à 84.680 milliards en 2020 et selon la Banque mondiale et devrait dépasser les 100.000 milliards de dollars en 2022, ce qui donne entre 2020/2022 1700 et 4.230 milliards de dollars contre une estimation pour 2009 d’environ 600 milliards de dollars, les crises économiques amplifiant le trafic. Issu du commerce illégal sous toute ses formes.: drogue, armes, traite, déchets toxiques, métaux. Si l’on prend les deux plus grandes puissances économiques mondiales la Chine , les USA et deux pays européens à savoir la France et l’Italie , pays connu par le passé pour le crime organisé et différents, pour la moyenne du score de résilience , nous avons la Chine, 5,46, les USA 6,58, la France 6,83 et l’Italie 6,29, l’Algérie ayant le score de 4,63 , l’enquête Global Initiative Against Transnational Organized Crime donne les résultats suivants.
Pour les marchés criminels, la moyenne décomposée comme suit : – traite de personnes :Chine – USA – France, Italie : 6,5- 5,5- 6,0-7,0 -trafic d’êtres humains : Chine, USA – France, Italie : 6 ;0- 4,5- 6,5 -6,5 -trafic d’armes :- Chine – USA -France , Italie : 2,5- 6,5- 6,0, 5,5 -trafic lié à la fore : Chine, USA – France – Italie : 8,5- 2,5- 4,0 , 2,5vet le trafic lié à la faune :- Chine , USA – France, Italie : 9,0- 5,5- 5,5- 3,5. Quant aux acteurs de criminalité, nous avons respectivement : -groupes de types mafieux : Chine, USA, France, Italie : -réseaux criminels : Chine, USA, France- Italie : 7,5 -6,5 -6,5 -9,0 -acteurs intégrés à l’Etat : Chine, USA, France, Italie : 7,0- 5,0- 3,0 -3,0 -Acteurs étrangers ; Chine, USA- France – Italie :3,0- 5,5- 7,0 – 7,0. Pour la .criminalité liée, liée aux produits non renouvelables Chine, USA, France- Italie : 4,5- 4,5- 4,5- 7,0 -commerce d’héroïne : Chine – USA , France, Italie : 6,5- 6,5- 6,5-6,5 – commerce de cocaïne, – Chine –USA France, Italie :3,5-7,0- 6,5-5,5 commerce de cannabis :- Chine –USA – France –Italie : 4,0-5,0-6,5- 6,0 synthèse de toutes les drogues , la moyenne Chine – USA- France-Italie : 8,0- 7,5- 5,5- 5,5. En synthèse le rapport donne les scores de résilience avec une moyenne de décomposée comme suit : leadership politique et gouvernance :- Chine –USA- France- Italie : 6,0-6,5- 6,0- 6,5-transparence et responsabilité gouvernementale :- Chine –USA – France – Italie : 4,0-6,5- 7,0 – 5,0-coopération internationale :Chine – USA – France – Italie : 6,0- 8,0- 8,5- 8,5 -politique et législation nationale :- Chine – USA – France – Italie : 7,0- 7,0- 7,5- 8,0 -système judicaire et détention :- Chine –USA – France- Italie : 5,0 6,0- 6,5- 5,0-force de l’ordre : Chine- USA – France – Italie 5,5- 7,5- 7,0- 7,5-Intégrité territoriale :- Chine – USA –France- Italie : 7,0- 6,5- 5,0- 6,5-lutte contre le blanchiment d’argent :- Chine – USA – France- Italie : 6,0-6,5- 8,0- 5,5-capacité de réglementation économique :- Chine – USA –France- Italie : 7,0-8,0- 8,0- 5,0- soutien aux victimes et aux témoins- Chine – USA France – Italie : 4,0-7,0- 5,0- 5,5-préventions : Chine, USA : France : 6,0-6,5- 6,0- 5,5-acteurs non étatiques : USA- Chine – France –Italie : 6,5-7,5- 7,0 -7,0. Cette enquête internationale arrive à six conclusions : 1re conclusion, plus des trois quarts de la population mondiale vivent dans des pays où le taux de criminalité est élevé, ou dans des pays où le niveau de résilience face au crime organisé est faible ; 2e conclusion, de tous les continents, c’est l’Asie qui enregistre les niveaux de criminalité les plus élevés ; 3e conclusion , la traite des personnes est le marché criminel le plus répandu au monde ; 4e conclusion, les démocraties présentent des niveaux de résilience face à la criminalité plus élevés ; 5e conclusion, les acteurs étatiques constituent les principaux facilitateurs de ces pratiques occultes et obstacles à la résidence face au crime organisé(dont octroi opaque de l’octroi de marchés publics). 6e conclusion, de nombreux pays en conflit et États fragiles sont très vulnérables face au crime.