Par Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités
Mon expérience en tant que président du Conseil national des privatisations entre 1996/1999, et les différentes tournées effectuées aux USA, en Europe notamment dans les pays de l’ex-camp communiste, où faute de volonté politique aucun projet n’a été privatisé pour différentes raisons objet de cette contribution, n’étant nullement impliqué pour la période 2000/2020, m’amène, pour le cas de l’Algérie, à formuler les conditions de la réussite tant d’une privatisation totale que partielle de l’ouverture du capital des entreprises publiques. On ne peut continuer sur la trajectoire du passé, ce qui serait un suicide collectif, où selon le rapport repris par l’APS (janvier 2021) du Premier ministère durant les trente dernières années les entreprises publiques ont coûté au Trésor public 250 milliards de dollars d’assainissement et plus de 80% étant revenues à la case de départ et selon le Premier ministre, le volume des opérations de réévaluation au niveau de l’ensemble des secteurs et des programmes sur la période 2010-2020 a atteint 5296 milliards de dinars (plus de 40 milliards de dollars), ce qui représente 26% de l’ensemble du budget d’équipement de l’Etat (Abderrahmane Mebtoul 2 volumes 500 pages réformes et privatisation – Office des publications universitaires OPU 1983- reproduit dans Amazon Paris 2018 et le programme de l’Association nationale de développement de l’économie de marché (ADEM) en arabe-anglais- français, en 1992, période où je présentais avec de nombreux amis de toutes les régions du pays, de profondes réformes, l’encouragement des véritables producteurs de richesses qu’ils soient dans le secteur public ou le secteur privé, et non des prédateurs, période d’alors où hommes politiques et bon nombre d’universitaires chantaient le dirigisme étatique bureaucratique).
Premièrement
Nous avons assisté à des filialisations non opérantes dont l’objectif était la sauvegarde du pouvoir bureaucratique. Or, c’est le fondement de la réussite tant de l’ouverture partielle du capital que d’une privatisation totale.
Deuxièmement
Le patrimoine souvent non défini (absence de cadastre réactualisé, numérisé) pose la problématique de l’inexistence des titres de propriété fiables sans lesquels aucun transfert de propriété ne peut se réaliser. Bon nombre d’entreprises publiques sont pas comptabilisées où par le passé ayant accaparé des terrains annexes sans l’aval des domaines. Des prédateurs et non de véritables investisseurs, lors de différents avis d’appel d’offres, à des fins spéculatives, sont beaucoup plus intéressés par le patrimoine immobilier des entreprises publiques surtout dans les grandes agglomérations que par l’outil de production.
Troisièmement
Souvent nous avons des comptabilités défectueuses de la majorité des entreprises publiques. La comptabilité analytique pour déterminer exactement les centres de coûts par sections est pratiquement inexistante ne répondant pas aux normes internationales, ce qui rend difficile les évaluations d’où l’urgence de la réforme du plan comptable actuel inadapté. L’inexistence du marché boursier, paradoxe en Algérie, pour la première fois de par le monde, on essaie de créer une Bourse étatique, des entreprises d’Etat achetant des entreprises d’Etat déficitaires, comme l’atteste la léthargie de la Bourse d’Alger ce qui rend encore plus aléatoire l’évaluation dans la mesure où le prix réel de cession varie considérablement d’année en année, voire de mois en mois par rapport au seul critère valable, le marché qui fixe le prix selon la loi de l’offre et la demande, existant un marché mondial où la concurrence est vivace.
Quatrièmement
La non-préparation de l’entreprise à la privatisation, certains cadres et travailleurs ayant appris la nouvelle dans la presse, ce qui a accru les tensions sociales. Or, la transparence est une condition fondamentale de l’adhésion tant de la population que des travailleurs à l’esprit des réformes liées d’ailleurs à une profonde démocratisation de la société.
Cinquièmement
La non-clarté pour la reprise des entreprises pour les cadres et ouvriers supposant la création d’une banque à risque pour les accompagner du fait qu’ils possèdent le savoir-faire technologique, organisationnel et commercial.
Sixièmement
Le grand problème est la résolution des dettes et créances douteuses, les banques publiques croulant sous le poids des créances douteuses et la majorité des entreprises publiques étant en déficit structurel, endettés, surtout pour la partie libellée en devises sans un mécanisme transparent en cas de fluctuation du taux de change. Pour ce cas précis, l’actuelle politique monétaire instable ne peut encourager ni l’investissement productif ni le processus de privatisation qu’il soit total ou partiel.
Septièmement
Les délais sont trop longs avec des chevauchements de différents organes institutionnels entre le moment de sélection de l’entreprise, les évaluations, les avis d’appel d’offres, le transfert, pour décision au gouvernement et la délivrance du titre final de propriété ce qui risque de décourager tout repreneur, car en ce monde, les capitaux mobiles vont s’investir là où les obstacles économiques et politiques sont mineurs, le temps étant de l’argent. La synchronisation de la démarche doit être clairement définie ce qui permettrait d’éviter les longs circuits bureaucratiques et revoir les textes juridiques actuels contradictoires, surtout en ce qui concerne le régime de propriété, pouvant entraîner des conflits interminables d’où l’urgence de leur harmonisation par rapport au droit international.
Huitièmement
Les répartitions de compétences devront être précisées où il est nécessaire de déterminer qui a le pouvoir de demander l’engagement d’une opération de privatisation, de préparer la transaction, d’organiser la sélection de l’acquéreur, d’autoriser la conclusion de l’opération, de signer les accords pertinents et, enfin, de s’assurer de leur bonne exécution.
Neuvièmement
Analyser lucidement les impacts des accords de libre-échange avec le monde arabe, l’Afrique et l’Accord d’association de libre-échange l’Europe, l’éventuelle adhésion aux BRICS qui a des incidences sur les institutions et les entreprises publiques et privées qui doivent répondre en termes de coûts et qualité à la concurrence internationale. En résumé, nous n’avons pas étudié dans cette présente contribution, la gestion souvent défectueuse des administrations centrales et locales et des services collectifs ignorant pour la majorité les règles élémentaires de la rationalisation des choix budgétaires, dont l’Etat met leur disposition à chaque loi de finances des montant importants. En ce qui concerne la privatisation totale ou partielle (ouverture du capital des entreprises publiques aux nationaux ou aux étrangers ), les objectifs peuvent varier et être adaptés en fonction du contexte international, social et économique interne et de l’activité ou de l’entreprise ce qui suppose la résolution des neuf contraintes qui doivent être levées afin d’éviter la méfiance des investisseurs sérieux dont l’instabilité monétaire et juridique. Il y a lieu de ne pas confondre avec démonopolisation qui consiste à encourager l’investissement privé nouveau national et étranger dans un cadre concurrentiel, et surtout éviter les utopies car quelque soit la nationalité tout opérateur est mû par la seule logique du profit, n’existant pas de sentiments dans les affaires. D’où l’importance de l’Etat régulateur afin de concilier l’efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale, les coûts sociaux, passe par le retour à la confiance renvoyant à la bonne gouvernance et la visibilité de la politique socioéconomique. En ces moments de tensions géostratégiques, et des risques du ralentissement de la croissance de l’économie mondiale en 2023, s’impose une mobilisation générale interne comme en temps de guerre, de lutter contre la bureaucratie néfaste, produisant la sphère informelle et la corruption paralysant toute l’économie. Il faut redonner l’espoir en l’avenir par la moralisation de la société, afin que les Algériens s’impliquent car, les réalisations futures sont à leur portée.