Natif de la wilaya de Béjaïa, le sculpteur Smaïl Zizi, en exile depuis plus de 40 ans en Italie, demeure l’un des rares talents dans son métier en Algérie. Ses œuvres de sculpture majestueux produits à Béjaïa et à dans plusieurs pays de l’étranger, font encore parler de lui en Kabylie malgré les années d’exil.
Tous les visiteurs de Béjaïa connaissent quelques-unes de ses anciennes œuvres mais pas le sculpteur. Les sculptures de la ville sont de lui. Celles qui ont survécu au moins. Puisque les deux combattants prisonniers n’ont pas résisté à notre amour irraisonné pour la sculpture ! Il y a trône désormais un buisson rugueux au lieu du paysage de naguère qui, quoiqu’en dise, était déjà un paysage. De ces sculptures, je crois il n’en reste apparemment que deux dans la ville de Béjaïa : celle où un combattant lève une main et indique de son index le chemin et celle, je pense, avant le faubourg qui mène vers la place Gueydon.
La question s’imposerait à n’importe qui d’entre-nous. Il suffit de comparer les sculptures antérieures à l’exil du sculpteur, il y a plus de 30 ans, à celles depuis l’exil. La différence est criante et la question qui en découle est évidente : comment a-t-il cheminé ainsi sans coup férir du masculin, de l’ample vêtement, évasé et unicolore vers le féminin et la nudité ?
La réponse, au-delà du fait qu’il ne pouvait le faire en Algérie, est aussi complexe qu’intéressante. Il ne s’agit pas de trouver une réponse simpliste, ni du reste une réponse tout court. La réponse appartient à l’artiste, au sculpteur.
Ce qui importe est de dire que le rapport au corps définit deux façons de regarder le monde : le corps libre et le corps coupable. Zizi Smaïl est parti ailleurs, y a exploré des outils sans doute inédits dans l’expression sculpturale, la liberté d’aller aux tréfonds de son être entre autres.
Eh bien, il y a creusé, il en a sorti des chefs-d’œuvre. Le comble, toutes ses sculptures paraissent agir dans un espace, exprimer une culture, la notre, aussi complexe que millénaire; fouinent dans le nu mais hésitent à l’annoncer.
Je me permets d’interpréter l’une de ses sculptures comme une œuvre qui raconte le vêtement comme un rempart qui empêche d’atteindre le corps, le profond de l’être. La femme en est belle, hésitante, voire timide; le tissu lui est un voile qui ne l’envoile pas cependant… mais qui la féminise davantage. Je crois encore que comme dans le sourire de la Joconde, Zizi Smaïl a égaré un peu de soi. Un peu d’enfance est tombé de son marbre et a sculpté sa palette si puis m’exprimer ainsi. Même l’autre sculpture, celle où le voile dissimule la tête, ne dit-elle pas la féminité anonyme ou forcée à l’anonymat dans une société qui enfuit la femme dans le vêtement du tabou ? Une dualité féroce où le corps veut dire mais le subconscient historique, culturel et cultuel lui refuse l’expression ? Le vêtement qui n’en fait pas une amazone, mais une raseuse de murs, une amnésie dans le paysage.
Je crois que ce devait être compliqué pour notre sculpteur. À chacune de ses tentatives pour outrepasser notre condition faite au corps, il est interpellé par l’estuaire où confluent tous ses souvenirs. Passer outre n’est pas chose aisée. À croire qu’il décide à chaque fois d’aller jusqu’au bout de la nudité, et puis paf… un voile, un objet, un geste pour cacher, dissimuler, hésiter à annoncer entièrement un corps. Le résultat : notre sculpteur nous exprime dans notre complexité, dans notre contradiction. La sculpture au dessous en est un exemple type : le Nous de la société et de l’histoire qui refuse l’entière nudité au Je du corps et de la liberté.
Un ami m’a dit que les sculptures de Zizi Smaïl avant son départ vers l’ailleurs étaient belliqueuses : toutes des combattants va-t-on en guerre. Je lui ai dit que c’était pire, c’étaient plutôt des sculptures, sur le plan idée, le moins que l’on puisse dire est qu’elles sont réfléchies dans une Quasma. Regarde un peu la couleur : militaire. Les sculptés : tous des vieux ridés. Pour la sculpture de la mairie d’Aôkas, elle, il n’en a même pas été payé. Le sculpteur ne devait avoir aucun choix. Fallait qu’il s’exécutât s’il voulait continuer à gagner sa pitance. La nudité était une autre histoire et la Quasma en ces temps pensait encore que nous étions incapables de porter un cerveau, encore moins de réfléchir une patrie ou une identité artistiquement… Et c’est là toute l’histoire : notre rapport à l’art. Un art qui ne sert qu’à la guerre. Mon ami me dit que c’était cela, nous n’étions pas faits pour l’indépendance, nous sommes faits pour la guerre justement.
Je crois que l’on ne peut comparer aussi simplement entre les œuvres sculptées à Béjaïa et celles en Occident. Mais ça dit le grosso modo de la chose : les sociétés qui se définissent dans le Je, entité et identité individuelle qui participe à l’édifice social, et les sociétés qui se définissent dans un Nous qui castre toute pulsion qui dépasse et qui impose de réfléchir massivement. Freud en a étalé les grands contours : le Surmoi (la société pour résumer) castre, annihile l’expression libre, pousse dans le troupeau, le Ça, et Le moi donc, est créateur, a envie d’amour et de liberté. Quand on pense, regardé l’art en ce qui nous concerne, le monde de la masse, on se barde de défenses et d’interdits, mais quand on le regarde individuellement on atteint des intériorités plus profondes… On se particularise, se différencie, se diversifie, transcende les limites… pour s’enrichir mutuellement.
BIOGRAPHIE
- Smaïl Zizi, sculpteur.
- Né à Béjaïa, Algérie.
- Diplomé des Beaux-Arts d’Alger et de Carrare.
- En 1973, il s’installa à Carrare pour développer sa recherche artistique et surtout se perfectionner en taille directe sur marbre et technique de fusion en bronze.
- Il participera ensuite à de nombreuses manifestations artistiques : 1° Biennale de La Spezia, Cennacolo Buttini Carrara, “Scolpire all’ aperto” Carrara, “Scolpire su pietra” Fannano, Festival de sculpture à Aubagne (France).
- Commissions privées à Boston, Dallas, New-York.
- Exposition personnelle à Alger.
- Réalisation de nombreuses statues monumentales dans de différentes villes d’Algérie et de trois statues pour le musée national de l’Histoire d’Algérie.
- Monument pour l’Aviateur, Lunigiana (Massa-Carrara).
- En 1992, il fut choisi pour tailler la plus grande statue de Bouddah en jade, à Bangkok (Thaïlande).
- Expositions : Carrara, Pisa, Pontedera, Livorno et en Suisse.
- Premier Prix “Gronchi” de Sculpture Pontedera.
- Premier prix de sculpture “Premio Nazionale d’Arte citta di Livorno” (Rotonda 2007).
- Prix Spécial à la Biennale Internationale de la Sculpture de Toyamura, Okkaido (Japon).
- Œuvre choisie par la “Cassa di Risparmio di Carrara” offerte au journaliste Lorenzo Cremonesi (Corriere della Sera) à l’occasion du Festival “Con-vivere”.