Certaines personnes présentent des lésions caractéristiques de la maladie d’Alzheimer dans le cerveau, l’accumulation de la protéine bêta-amyloïde à l’extérieur du neurone et celle de protéine tau modifiée chimiquement à l’intérieur de celui-ci mais ne présentent aucun symptôme de la maladie.
Les scientifiques suggèrent que cela pourrait être dû au fait que certaines personnes constituent une « réserve cognitive », soit la capacité du cerveau à trouver de nouvelles façons de gérer et de surmonter les problèmes. Plus précisément, la réserve cognitive repose sur l’hypothèse que le cerveau peut faire face aux lésions cérébrales. Soit en utilisant ses réseaux neuronaux préexistants, soit en activant de nouvelles connexions neuronales : dynamique, elle dépend de la « qualité » des connexions neuronales et se constitue tout au long de la vie, en fonction du niveau socioculturel, activités quotidiennes et de nombreux autres facteurs. A notre naissance, nous avons un stock de neurones, que nous perdons petit à petit. Pourtant, nous sommes capables de réaliser tous nos apprentissages pendant l’enfance et d’augmenter nos performances à l’âge adulte.
Comme l’explique la Fondation Vaincre Alzheimer, « les scientifiques pensent que cela est dû à notre réserve cognitive qui se développe jusqu’à 25 ans. Elle est ensuite stabilisée ou augmentée à l’âge adulte. Grâce à la consolidation des réseaux neuronaux existants qui les rendent plus efficaces, et grâce à une compensation des réseaux altérés par de nouveaux réseaux cérébraux. » La réserve cognitive est dépendante du niveau d’éducation, de l’activité professionnelle, des activités de loisirs et des interactions sociales tout au long de la vie. Son rôle doit donc être pris très au sérieux dans la prévention de la maladie d’Alzheimer. Cependant, une étude menée par des chercheurs du Karolinska Institutet publiée dans Alzheimer’s & Dementia: The Journal of the Alzheimer’s Association révèle que même si des activités et des expériences de vie mentalement stimulantes peuvent améliorer la cognition chez les patients membres des cliniques de mémoire, le stress serait un facteur capable de « miner » cette relation bénéfique. Le stress lui-même est associé à un déclin cognitif plus rapide et à un risque accru de développer la maladie d’Alzheimer.
Mais l’étude met surtout en garde quant au fait que des niveaux de stress élevés peuvent affaiblir cette réserve cognitive en rendant moins probable la socialisation et la pratique d’une activité physique, deux facteurs de prévention de démence connus. Pour en venir à cette conclusion, l’équipe scientifique a examiné l’association entre la réserve cognitive, la cognition et les deux biomarqueurs de la maladie d’Alzheimer chez 113 participants de la clinique de la mémoire de l’hôpital universitaire Karolinska de Huddinge. « Il existe de nombreuses façons de développer une réserve cognitive. Cela pourrait se faire en passant plus d’années dans l’éducation formelle, en jouant au bridge, en apprenant une nouvelle langue ou en exerçant un travail complexe. Être physiquement actif et entretenir des relations sociales sont également importants. », indique-t-elle. Les chercheurs ont de fait créé un indice en combinant différentes informations sur le niveau d’éducation permanente acquis par les participants, la complexité de l’emploi le plus ancien et l’engagement dans des activités physiques, de loisirs et d’interactions sociales plus tard dans la vie.
L’étude a également consisté à examiner le niveau de stress des participants, grâce à des mesures subjectives et biologiques. Le stress subjectif a été mesuré à l’aide d’un questionnaire demandant aux participants d’évaluer à quel point ils percevaient leur vie comme incontrôlable et imprévisible, et s’ils avaient ou non trop de choses à gérer au cours du mois précédent. Pour une mesure objective du stress, le cortisol salivaire, une hormone du stress, a été pris en compte. Sa production par l’organisme suit un rythme : elle augmente généralement rapidement dès le réveil, culmine 30 minutes plus tard puis diminue pendant le reste de la journée pour être au plus bas la nuit, lorsque notre corps se prépare à dormir. Ce biomarqueur a donc été pris à différents moments de la journée pour mesurer ces tendances, sachant que des études antérieures ont montré qu’une perturbation du schéma de cortisol peut augmenter le risque de maladie d’Alzheimer. Les résultats obtenus ont permis de constater qu’une plus grande réserve cognitive améliorait la cognition, mais qu’il est intéressant de noter que le stress physiologique semblait affaiblir cette association.
Un lien entre sommeil et cognition ?
En effet, lorsque les chercheurs ont pris en compte le stress physiologique (cortisol) dans l’équation, l’association bénéfique de la réserve cognitive a été affaiblie : en d’autres termes, le cortisol semble épuiser la réserve cognitive. Il est toutefois intéressant de noter que le stress subjectif n’a pas modifié la relation de la même manière. Autrement dit, ce dernier ne semble pas épuiser les réserves cognitives de la même manière que le stress biologique. Les chercheurs ne savent pas pourquoi, estimant que « des mesures subjectives et biologiques évaluent différents aspects du stress. » « Ces résultats pourraient avoir des implications cliniques, car un nombre croissant de recherches suggèrent que les exercices de pleine conscience et la méditation peuvent réduire les niveaux de cortisol et améliorer la cognition. », affirme l’auteure principale de l’étude, Manasa Shanta Yerramalla, chercheuse au sein du Karolinska Institutet. « Différentes stratégies de gestion du stress pourraient constituer un bon complément aux interventions existantes liées au mode de vie dans la prévention de la maladie d’Alzheimer. »
S’ajoute à cela le fait que les participants qui avaient un bon équilibre entre les niveaux de cortisol du matin et du soir ont amélioré leur mémoire de travail, à l’inverse de ceux qui présentaient un déséquilibre. Or, « la mémoire de travail stocke les informations pendant de courtes périodes mais nous permet de traiter et de manipuler activement les informations. Par exemple, nous comptons sur la mémoire de travail pour résoudre un problème de mathématiques. », précise la chercheuse dans la revue The Conversation. Le risque n’est autre qu’un véritable cercle vicieux ne se mette en place, à savoir que le stress perturbe le sommeil, ce qui à son tour perturbe la cognition. « Si les niveaux de cortisol sont trop élevés le soir, cela affecte le sommeil. Et s’ils sont trop faibles le matin, cela peut affecter la vigilance matinale. Le bon équilibre est essentiel. », ajoute-t-elle. Enfin, l’étude a également permis de découvrir que les personnes qui présentaient des quantités inhabituellement élevées de cortisol peu de temps après leur réveil, une réserve cognitive plus élevée était liée à une augmentation de la protéine tau.
Cette protéine forme des enchevêtrements dans les cellules cérébrales, perturbant ainsi leur fonction. Reste à savoir toutefois si l’accumulation de protéines tau rend une personne plus sujette au stress ou si le stress lui-même peut entraîner des modifications de la protéine tau, mais aussi à déterminer si ce phénomène est susceptible de réduire la capacité d’une personne à contrôler et à éviter les actions qui soutiennent le développement de la réserve cognitive. C’est pourquoi l’équipe scientifique atteste que d’autres études scientifiques s’avèrent nécessaires pour confirmer ces résultats. Toujours est-il que Manasa Shanta Yerramalla réitère le fait « qu’un stress chronique plus élevé peut diminuer les avantages cognitifs des activités stimulantes et des expériences enrichissantes plus tard dans la vie. » Celle-ci recommande, en guise de conclusion, de pratiquer aussi souvent que possible des techniques de gestion du stress, telles que la pleine conscience et la méditation, pour ralentir autant que possible le déclin cognitif. Et ce sans oublier de s’adonner à des activités stimulantes intellectuellement et à des interactions sociales et, pourquoi pas, les deux en même temps ?