Par Abderrahmane Mebtoul – Professeur des universités
Cette brève contribution est une synthèse de mon intervention à la Télévision internationale algérienne «Alg 24 News» le 07 janvier 2023 de 19h20 à 20h sur les perspectives de l’économie mondiale 2023. Le constat est que l’activité économique mondiale connaît un ralentissement avec une inflation qui atteint des niveaux jamais vus depuis plusieurs décennies.
1- Selon les projections du FMI, des pressions inflationnistes persistantes et croissantes ont déclenché un durcissement rapide et synchronisé des conditions monétaires, parallèlement à une forte appréciation du dollar par rapport à la plupart des autres monnaies. Pour la zone OCDE, l’inflation reste forte, s’établissant à plus de 9 % en 2022, l’inflation refluera progressivement à 6.6 % en 2023 puis à 5.1 % en 2024. Cette appréciation du dollar a intensifié sensiblement les pressions sur les prix intérieurs et la crise du coût de la vie dans beaucoup de pays. Les mouvements de capitaux ne s’étant pas rétablis, de nombreux pays en développement et pays à faible revenu restent en situation de surendettement, sans compter le risque de crise alimentaire, la Russie et l’Ukraine représentant plus de 33% des exportations mondiales des denrées alimentaires ce qui alimente l’inflation. Ainsi, la croissance économique mondiale ralentit à +1,4% en 2023, avant de rebondir modestement de +2,8% en 2024, loin du rythme estimé de 2022 (+2,9%). Selon l’OCDE, la probabilité de voir la croissance mondiale à un horizon d’un an passer sous la barre des 2,0 % (dans le 10e centile des chiffres de la croissance mondiale depuis 1970) est d’environ 25%, où les dernières prévisions, plus d’un tiers de l’économie mondiale se contracte en 2023 tandis que les trois principales économies (Etats-Unis, Union européenne et Chine) resteront au point mort. En Chine, la croissance nécessaire pour atténuer les tensions sociales d’une population dépassant les 1,4 milliard d’habitants, étant de 8/9% par an, devrait rebondir de +4% en 2023 et de +5,2% en 2024. Mais tout dépendra de la politique zéro-covid où bon nombre de pays ont mis des barrières, ce qui pourrait entraver fortement l’activité économique du pays ; aux Etats-Unis, malgré une inflation élevée et un resserrement monétaire accéléré, l’économie tient le choc grâce à la résilience des exportations et de la consommation. Le pays devrait malgré tout entrer en récession en 2023 (-0,3%), avant de connaître un léger rebond en 2024 (+1,6%). Selon la directrice du FMI je la cite : «Les Etats-Unis pourraient éviter la récession grâce à un marché du travail toujours dynamique, l’économie américaine étant remarquablement résiliente et si cette résilience continuait, les Etats-Unis aideraient le monde à traverser une année très difficile». En zone euro, la récession apparaît dès le début de l’année 2023
(-0,4%), où la crise énergétique affecte le pouvoir d’achat des ménages et la rentabilité des entreprises. Un rebond de croissance est attendu en 2024 (+1%), mais cette reprise devrait être aussi faible que celle observée après la crise de 2012. Elle pourrait d’ailleurs être fortement affaiblie si la crise énergétique se prolonge.
2- Avec la probabilité de récession selon les rapports FMI/Banque mondiale/OCDE se posent cinq questions stratégiques:
Premièrement
Le sort de l’économie mondiale ne dépend- il pas essentiellement de la bonne calibration de la politique monétaire, du déroulement de la guerre en Ukraine et d’éventuelles nouvelles perturbations de l’offre liées à la pandémie ainsi que de l’émergence de la nouvelle économie fondée sur la transition numérique et énergétique face au réchauffement climatique dévastateur pour l’humanité ?
Deuxièmement
Les pays développés, particulièrement l’Europe, face aux nouvelles mesures de plafonner les prix du pétrole par voie maritime à 60 dollars et celui du gaz à 180 dollars le mégawattheure parviendra-t-elle à réduire rapidement et efficacement son déficit énergétique sans une réelle transition énergétique, et quelles implications et quelles conséquences ?
Troisièmement
Jusqu’au ira l’endettement où la dette publique mondiale devrait atteindre le niveau record de 71.600 milliards de dollars en 2022 et le coût des intérêts devrait fortement augmenter, faisant peser une lourde charge sur les contribuables marqué dans les pays avancés, où elle est passée pour bon nombre de pays à plus de 100% du PIB, loin du ratio du traité de Maastricht où le déficit des finances publiques ne doit pas dépasser 3% du PIB pour l’ensemble des Administrations publiques et la dette publique doit être limitée à 60 %. Dans ce contexte, avec le resserrement monétaire vs expansions budgétaires, jusqu’où iront les gouvernements, dans quel but et pour quels résultats et selon la CNUCED, les pays en développement devraient avoir besoin de 310 milliards de dollars pour assurer le service de leur dette publique.
Quatrièmement
Pour les deux locomotives de l’économie mondiale à savoir la Chine et les USA, premièrement, la situation économique et sanitaire en Chine permettra-t-elle de redynamiser le commerce mondial, et de fluidifier les chaînes d’approvisionnement ou accéléra-t-elle la récession mondiale et deuxièmement, la situation politique et économique aux Etats-Unis peut-elle affecter la compétitivité et l’attractivité de la zone euro et du monde ?
Cinquièmement
Les marchés émergents fortement connectés à l’économie mondiale, face à des économies avancées au défi du contexte récessif, dont les BRICS pesant en 2021 environ 25% du PIB mondial estimé à 100.000 milliards de dollars en 2022, avec comme locomotive la Chine dont le PIB approche les 20.000 milliards de dollars et les réserves de change dépassant les 3200 milliards de dollars, et plus de 40% de la population mondiale préfigurant une nouvelle recomposition des relations internationales parviendront-ils à tirer leur épingle du jeu face à des économies avancées au défi du contexte récessif ?
3- Quant au rapport sur l’Algérie 2023, de la Banque mondiale, il est relativement optimiste. La Banque mondiale notant que la promulgation en 2022 de la nouvelle loi sur l’investissement et la publication de ses textes d’application ; la suppression en 2020 de la règle 51/49 pour les secteurs non-stratégiques et la publication de la nouvelle loi sur les hydrocarbures en 2019 sont des actions positives. Mais si l’amélioration a priori durable des équilibres extérieurs contribue à la résilience de l’économie, la hausse marquée des dépenses publiques en 2022 renforce la sensibilité des équilibres budgétaires et de la trajectoire de la dette publique aux prix des hydrocarbures, et renforce également l’importance d’une conduite budgétaire prudente, d’une mobilisation accrue des recettes fiscales, et du renforcement de l’efficacité, de l’efficience et de l’équité de la dépense publique. Pour ce rapport, la reprise économique devrait se poursuivre en 2023, soutenue par le secteur hors hydrocarbures et par la croissance des dépenses publiques. L’institution financière internationale prévoit que «le PIB réel croîtrait de 2,3% en 2023, emmené par sa composante hors hydrocarbures (+3,1%) et des hydrocarbures (+0,5%) et «la croissance du PIB se modérerait à 1,8% en 2024». Le PIB devrait s’établir à 197,9 milliards de dollars en 2023 et 193,2 milliards de dollars en 2024.
Le PIB par habitant devrait baisser en 2023 et 2024. En valeur, selon les projections de la BM, le PIB par habitant devrait s’établir à 4.270 dollars en 2023 et 4.094 dollars en 2024, contre 4.427 dollars en 2022.
En 2023, selon les prévisions de la Banque mondiale, «la balance des comptes courants demeurerait excédentaire (+1,2% du PIB), grâce au maintien du prix des hydrocarbures à un niveau élevé». «Les exportations d’hydrocarbures diminueraient pour atteindre 22,5% du PIB sous l’effet de la baisse modérée des prix et de celle des volumes exportés, dans un contexte de reprise de la consommation intérieure.
Le rapport de la BM prévoit que «la croissance des réserves de change se poursuivrait en 2023 pour culminer à 13,5 mois d’importations de biens et services à la fin-2023, avant de s’infléchir en 2024. Dans le scénario de base, le secteur public et le secteur de l’énergie devraient tirer la croissance des investissements, tandis que la croissance de la consommation devrait être plus modeste, dans un contexte de reprise progressive du marché du travail et d’effet de l’inflation élevée sur le revenu réel des consommateurs, en partie compensée par les mesures de soutien au pouvoir d’achat.
Sous l’angle sectoriel, la production pétrolière devrait se stabiliser à son niveau
pré-pandémie, atteint à l’été 2022 et la production gazière demeurerait stable, prolongeant sa bonne performance de 2022. La production algérienne de pétrole s’établira à 1,031 million de barils/jour en 2023 et 1,022 million de barils/jour en 2024. Celle du gaz atteindra 102,8 milliards de m3 en 2023 et 103 milliards de m3 en 2024.
En hausse par rapport à l’année 2022 où elle était de 1,016 million de barils/jour pour le pétrole et 102,7 milliards de m3 pour le gaz. Pour 2022, malgré une forte croissance des dépenses courantes, et une reprise marquée de l’investissement public, la forte dynamique des recettes issues des exportations d’hydrocarbures génère une forte hausse des recettes en 2022, qui excéderait celle des dépenses, et le déficit budgétaire global se résorbent modérément (5,7% du PIB). Mais dans un contexte global incertain, l’amélioration de la résilience et la viabilité des soldes extérieurs et budgétaires reste tributaire de la forte volatilité des prix mondiaux du pétrole, dans un contexte d’incertitude quant à la dynamique de l’économie mondiale. Des prix plus élevés ou plus bas qu’anticipés pourraient avoir un impact marqué sur les soldes extérieurs et budgétaires, la marge de manœuvre fiscale, les besoins de financement et la trajectoire des réserves de change», explique la même source. Les efforts de l’Europe pour diversifier son approvisionnement énergétique pourraient soutenir les investissements dans le secteur des hydrocarbures en Algérie, les recettes de l’État et la croissance à moyen terme. Cependant, il est attendu que les initiatives globales de lutte contre les changements climatiques découragent l’investissement dans les industries fossiles. En 2023 et 2024, la baisse de la valeur des exportations d’hydrocarbures diminuerait les recettes,
ce qui ne serait qu’en partie compensé par la croissance des recettes fiscales» et que les dépenses courantes et d’investissement augmenteraient modérément, et le déficit croîtrait, financé par l’augmentation de la dette publique domestique. La dette publique avoisinerait ainsi 68% du PIB à la fin de 2024. Le déficit budgétaire global devrait quant à lui s’améliorer en 2022 puis se creuser à moyen terme, dans un contexte de baisse des recettes d’hydrocarbures et de rigidité des nouvelles dépenses et l’inflation se résorbent partiellement, modérée notamment par l’appréciation du dinar par rapport à l’euro et au dollar. Dans le scénario de base, l’inflation ralentit, en partie grâce à la modération relative des prix à l’importation, à l’effet différé de l’appréciation du dinar vis-à-vis l’euro, et aux politiques de renforcement des mécanismes de subvention aux produits alimentaires. L’inflation (moyenne annuelle) devrait s’établir à 7,8% en 2023 et 6,4% en 2024, contre 9,3 en 2022.
Et pour conclure que les efforts supplémentaires pour soutenir l’investissement. En outre, une moindre pression sur le secteur bancaire domestique pour financer les déficits budgétaires permettrait à ce dernier d’allouer ses ressources au financement de la reprise et de la diversification, tout en modérant les risques inflationnistes», précise la Banque mondiale. Une hausse importante des dépenses publiques peut partiellement compenser certains ménages pour le niveau d’inflation, elle présente des risques du fait que par exemple pour la LFC 2022 suggère des augmentations de dépense courante de 41%, et un doublement des dépenses d’investissement. Et de conclure que la capacité de l’État à soutenir la croissance étant limitée et appelée à diminuer, le secteur privé hors hydrocarbures devra devenir le moteur de la croissance algérienne et de la diversification de l’économie. La promotion d’une croissance durable hors hydrocarbures et la création d’emplois dépendent d’une mise en œuvre soutenue et du succès du programme de réformes structurelles du gouvernement, qui doit permettre une plus grande ouverture au secteur privé. L’amélioration de la compétitivité de l’économie, de la productivité des entreprises et le renforcement de l’investissement dans le capital humain n’en sont que plus essentiels à l’essor et la résilience de l’économie algérienne, toujours selon la BM.
– Conclusion
La crise du coût de la vie, le durcissement des conditions financières dans la plupart des régions, le conflit Russie/Ukraine via l’Occident et les effets persistants de la pandémie de Covid-19 sont autant de facteurs qui pèsent lourdement sur les perspectives de 2023. Cette situation a un impact sur l’économie algérienne, extériorisée, tributaire à 98% de ses recettes en devises, avec les dérivées des hydrocarbures comptabilisés dans la rubrique hors hydrocarbures et à plus de 85% d’importation des matières premières et équipements des entreprises qu’elles soient publiques ou privées dont le taux d’intégration en 2022 ne dépasse pas 15% Le cours du pétrole le 07 janvier 2023 a été coté à 78,60 dollars le Brent, à 73,73 dollars le Wit pour un cours euro dollar (achat) de 1,0644, et 137,1119 dinars pour un dollar et 145,2429 dinars pour un euro au cours officiel fluctuant et sur le marché parallèle entre 217/219 dinars un euro et 204/206 dinars un dollar, cours achat/vente.
Le cours du gaz représentant environ 40% des recettes de Sonatrach, après avoir culminé à environ 350 euros le mégawattheure, se négocie le 07 janvier 2023 à un prix près de cinq fois moins élevé qu’en août 2022, pour la livraison en février 2023 à 72,75 euros, du fait de la baisse de la consommation, liée à un hiver relativement doux, et une importation massive de GNL, contournant l’approvisionnement de la Russie dont la demande européenne a chuté de près de 46% par rapport à 2021. Mais pour le moyen et long terme tout dépendra des perspectives de la résolution ou pas des tensions géostratégiques actuelles et du nouveau modèle de la croissance de l’économie mondiale.