Au même titre que l’éducation ou le revenu, le temps est un déterminant social de la santé cérébrale et aurait notamment une incidence importante sur les risques de démence.
Des chercheurs du Centre for Healthy Brain Ageing (CHeBA) et de l’école de médecine clinique à l’université de New South Wales Sydney, en Australie, ont cherché à reconnaître les inégalités temporelles et leur corrélation avec le risque de démence. Ils se sont posé la question suivante : pourquoi, dans les sociétés d’aujourd’hui, nous ne prenons pas assez le temps ? Pour ces chercheurs, l’adoption de comportements sains nécessite en effet du temps, or nous ne sommes pas tous égaux face à cette ressource. Certaines personnes sont victimes d’« inégalité temporelle » : ils ne disposent pas d’une « répartition égale du temps disponible en raison de conditions structurelles qui façonnent la vie quotidienne ». Dans certains cas, cette inégalité va même jusqu’à une « pauvreté temporelle », un manque de temps généralisé « touchant de manière disproportionné les populations structurellement défavorisées et, exacerbé par les cultures axées sur les performances ».
Sommeil, activité physique, nutrition : les différents types d’inégalité temporelle
La National Sleep Foundation et l’American Academy of Sleep Medecine recommandaient dans un consensus, « 7 à 9 heures de sommeil par nuit pour les adultes âgées de 18 à 64 ans et 7 à 8 heures pour les personnes âgées de 65 ans et plus ». Dormir régulièrement moins de 7 heures par nuit serait « associé à des problèmes de santé comme le diabète, la dépression, les maladies cardiaques, l’hypertension et les AVC, tous des facteurs de risque de démence ». Et, lorsque la dette de sommeil s’accumule, « la fonction immunitaire s’altère, la sensibilité aux processus inflammatoires s’accroît, la neuroplasticité se compromet ». Inévitablement, « l’ensemble de ces symptômes conduisent à la réduction des performances cognitives (mémoire et fonctions exécutives) ». Un manque de temps limite aussi fatalement les possibilités de mouvement. De la même manière, « de longues heures de travail, une accumulation des emplois ainsi que des responsabilités » réduisent fortement le temps disponible « pour atteindre les niveaux d’activité physique recommandés ». Pour rappel, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommandait en 2020, « 150 à 300 minutes d’activité physique modérée, ou 75 à 150 minutes d’activité physique vigoureuse par semaine, pour le maintien d’une bonne santé chez les adultes ». Pour les personnes âgées, l’OMS recommandait une fourchette de « 45 à 60 minutes d’activité physique modérée à vigoureuse par jour sur des périodes prolongées pour observer des améliorations des performances cognitives ». Le tout est donc de lutter contre la sédentarité, peu importe l’âge. Or le comportement sédentaire est « très répandu dans de nombreux pays à revenu élevé ». En France par exemple, seul « 53 % des femmes et 71 % des hommes de 18 à 74 ans atteignaient le niveau d’activité physique recommandé, en 2024 ». Côté nutrition, encore une fois, « les groupes à faible revenu déclarent souvent consacrer moins d’une heure par jour à manger et à boire par manque de temps » Ils consacrent encore moins de temps à faire les courses et à préparer les repas. Un ensemble de facteurs qui entravent une alimentation saine, condition pourtant nécessaire à une bonne santé cognitive. Au cours des dernières décennies, d’autres facteurs induisant une mauvaise nutrition se sont accumulés. « La proportion d’adultes consommant régulièrement trois repas standard par jour a considérablement diminué, reflétant des changements dans les habitudes alimentaires ». À l’inverse, on observe chez certaines personnes, une « tendance à manger quasi continuellement ». Il se trouve néanmoins, qu’en France, nous bénéficions d’une forte culture alimentaire permettant de consacrer au moins 2 heures par jour aux repas contrairement à d’autres pays, comme les États-Unis et le Canada, partageant plutôt une culture de la restauration rapide. « Une activité sociale fréquente a été associée à une réduction de 70 % du taux de déclin cognitif par rapport à une activité sociale peu fréquente », tant que ce temps disponible est utilisé à bon escient. Des études ont par exemple révélé que « jouer à des jeux, d’un instrument de musique, faire des puzzles, ou encore apprendre une nouvelle langue, stimulerait nos capacités cognitives ». Toutefois, on observe actuellement, « une tendance à la réduction du temps consacrée aux activités sociales et aux loisirs, en raison de l’augmentation du temps passé devant un écran et de l’utilisation des réseaux sociaux ». Aussi, « la fatigue liée aux longues heures de travail et les obligations familiales peuvent pousser les personnes à se tourner vers des activités peu exigeantes ou passives ». Les femmes, en particulier, celles qui jonglent entre des rôles rémunérées et non rémunérées, « sont souvent confrontées à des exigences de temps aggravées et peuvent connaître des perturbations plus importantes que les hommes dans leurs habitudes de sommeil, d’alimentation, de relations sociales, de loisirs et d’activité physique ». Elles sont habituellement plus vulnérables aux troubles psychologiques.






