Lors des «Printemps arabes», les Palestiniens ont lié leur sort aux événements et aux dynamiques politiques des pays concernés. Ils ont pour cela repris à leur compte les revendications des pays voisins qu’ils ont élevés au-dessus de leurs slogans nationaux commune étape nécessaire sur le chemin de la libération arabe.
Malheureusement, du fait de leur manque d’unité et de l’absence de cadres politiques capables de les structurer et de définir des orientations politiques précises, les mouvements protestataires arabes n’ont pas été en mesure de présenter une vision claire de la forme politique du chemin de la libération, ni même de s’engager dans une planification capable de répondre à leurs aspirations immédiates, et à celles qui englobent la question palestinienne. Avec le «déluge d’al-Aqsa», une nouvelle phase s’ouvre, dans laquelle le peuple palestinien se retrouve placé face à la brutalité à tendance génocidaire de l’État colonial israélien, mais aussi face à ses responsabilités. De par son imprévisibilité et ses retentissements, le 7 octobre constitue sans aucun doute un turning-point majeur de l’histoire du conflit colonial en Palestine. Nous observons en outre l’émergence d’une nouvelle phase de la pensée palestinienne. Les débats et les slogans de la séquence politique actuelle convergent en effet vers un même appel à un large rassemblement palestinien dans un cadre politique unitaire fort, au nom de l’union palestinienne pour la dignité et la libération, malgré les différends et les divergences politiques. La séquence ouverte par le «déluge d’Al-Aqsa», aussi dramatique soit-elle, a sorti les Palestiniens du marasme et ressuscité l’espoir d’un avenir possible par la voie de la résistance. En effet, la résistance armée palestinienne a imposé la présence palestinienne au monde entier, en rappelant que le peuple palestinien est avant tout un peuple en lutte contre un colonialisme, et que c’est dans le cadre de cette lutte qu’il s’exprime et qu’il agit. En détruisant le mythe de l’invincibilité de l’État israélien, la résistance a remporté l’adhésion des masses palestiniennes et arabes. En recentrant la focale sur Gaza, territoire constitué majoritairement de réfugiés de la Nakba de 1948, la résistance a permis que la question coloniale depuis 1948 soit de nouveau au cœur des débats partout dans le monde. Il n’est plus possible aujourd’hui d’aborder le problème palestinien sous un angle étriqué, en escamotant une partie de l’histoire du conflit. La réalité coloniale de la Palestine depuis 1948 devient maintenant un sens commun, et cela est déjà un acquis en soi. C’est au reste dans le cadre de cette réalité coloniale, et d’une appréhension claire de cette réalité coloniale, que l’opération du 7 octobre est à situer. Le mouvement de la résistance palestinienne soulève à présent des questions fondamentales : quels sont ses objectifs, ses moyens, et quel est son horizon politique ? Répondre à ces questions nous amène à nous intéresser aux éléments fondamentaux de la théorie de la résistance palestinienne : son but, sa stratégie, ses outils, sa forme et sa nature, sa base de départ, compte tenu de la spécificité de la situation de la résistance palestinienne. La réalité de la résistance et l’unité de la lutte Les combattants ghazaouis sont le produit de l’histoire et de la lutte palestinienne, indépendamment des partis et des affiliations idéologiques. Ils sont les enfants de la réalité particulière de Ghaza. Ils sont les descendants et les héritiers des réfugiés de la Nakba de 1948, ils n’ont jamais vu autre chose que la minuscule bande de Ghaza, ils vivent le blocus depuis 16 ans, et ils ont connu plusieurs épisodes de bombardements depuis 2007. Cette réalité particulière a défini l’approche politique et la voie de la résistance. L’opération du 7 octobre est en ce sens une décision palestinienne indépendante, fondée sur la réalité coloniale particulière de Ghaza. La complexité du blocus de Ghaza en 2007, suite aux élections de 2006, s’est accrue au cours des années de guerre et de destruction que les Palestiniens ont subies, au point qu’en théorie le peuple ne serait plus capable de s’organiser en raison du siège et de la pression psychologique. Le mouvement de résistance palestinien s’est développé pour prendre la forme d’une unité nationale basée sur des blocs militaires, ses outils sont les branches militaires du Hamas, du Jihad islamique, du Fatah, du FPLP, du FDLP. Bien que les bureaux politiques partisans n’aient pas la volonté politique d’assumer la responsabilité d’une planification adéquate et complète d’unité de la lutte palestinienne au nom de la bataille pour la libération, ils ont néanmoins interagi avec tous les événements et développements en Palestine. L’opération du «déluge d’Al-Aqsa» s’inscrit dans le cadre de l’histoire de la résistance palestinienne. Historiquement, la révolution palestinienne était l’expression de la volonté palestinienne de rejeter la réalité arabe officielle et de se rebeller contre elle. Cette volonté est aujourd’hui de nouveau posée sur la table et elle reflète les aspirations et les espoirs les plus sacrés de la nouvelle génération. Il y a un refus radical de considérer la question palestinienne comme un ensemble de questions partielles : une question de lignes de démarcation, une question de réfugiés ou une question d’État. La question est replacée dans son cadre correct comme une question de libération nationale. Bien que les partis de la résistance à Ghaza soient soutenus financièrement par des États régionaux, la décision palestinienne est libre et autonome, et n’a aucun rapport avec la perception selon laquelle il s’agirait d’un différend entre l’État d’Israël et quelques pays arabes ou l’axe de la résistance. Car, dans cette perception, le peuple palestinien est absent en tant que parti majeur, en tant que détenteur d’un droit inhérent. Le «déluge d’Al-Aqsa» a remis les choses à la place qui leur revient. Depuis l’opération, le peuple palestinien a retrouvé sa centralité dans le conflit colonial et a pris sa place d’avant-garde dans la bataille pour la libération de la Palestine. Domine de nouveau l’idée qu’il existe un peuple qui dispose du droit de décider de son sort sur son sol national, et pas seulement des groupes de réfugiés pour lesquels il faudrait trouver une solution humanitaire. C’est en soi une révolution majeure. Car jusqu’alors, la Palestine était unedonnée marginale pour les régimes arabes engagés dans le processus de normalisation avec Israëlà travers les accords d’Abraham. Le «déluge d’Al-Aqsa» a replacé la Palestine dans sa positionvéritable de lutte de libération nationale et a permis de réexaminer la question sous l’angle de la résistance à un projet colonial, et non plus sous l’angle de la sécurité nationale, focale privilégiée par l’Autorité palestinienne et qui en réalité signifie uniquement une position de défense et de concession dans la perspective d’accepter le statu quo et d’éviter de s’y opposer. Malgré le soutien régional et le financement des mouvements de résistance, l’effort de lutte palestinien ne s’est pas complètement dispersé dans des loyautés envers des partis extérieurs. L’opération «déluge d’Al-Aqsa» est le début de la mobilisation et de l’unification des forces sociales et politiques palestiniennes vers l’arène réelle de la lutte pour la libération de la Palestine et l’intensification de la lutte arabe en général. C’est vers cette arène principale et charnière, que l’effort de lutte s’oriente dans un cadre unique qui conduit par conséquent à l’unité de la lutte. En outre, le «déluge d’Al-Aqsa» signale une tentative de libérer l’action palestinienne de la tutelle régionale officielle, et annonce la naissance d’une avant-garde armée dans une société défaite par les chaînes de la capitulation et régie par des lois interdisant le port ou la présence d’armes. L’avant-garde de la résistance est capable d’affronter la stratégie offensive israélienne. Le port d’armes n’est plus un droit public acquis à la suite des accords d’Oslo. Le «déluge d’Al- Aqsa» est une résurgence de la volonté palestinienne de vivre, qui a renversé toutes les estimations arabes et internationales qui pariaient sur le temps pour liquider et éliminer la présence palestinienne. Il exprime également le désir palestinien de poursuivre le mouvement révolutionnaire mondial contre les forces du colonialisme, de l’exploitation et de la tyrannie.
Le caractère palestinien de la résistance
La résistance armée palestinienne a pu s’imposer sur la carte mondiale des forces politiques engagées dans la lutte contre le colonialisme et l’impérialisme, pour la liberté, en mettant l’accent sur la dimension palestinienne de la révolution, sur son territoire, sur sa direction et sa planification. Grâce à son indépendance, la résistance a remis la question palestinienne au centre de la scène internationale, elle a rappelé les coordonnées politiques de son combat anticolonial, et montré l’asymétrie frappante entre les colonisés et le colonisateur : plus de deux millions de Palestiniens assiégés à Ghaza et l’État israélien qui dispose de capacités militaires, économiques et symboliques considérables, ainsi que de l’appui de l’Occident qui lui permet de commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, et d’exercer un terrorisme d’État, sans craindre aucune forme de retombées juridiques internationales. Au nom de ce peuple opprimé qui a perdu sa terre et l’espoir, la résistance armée palestiniennes’impose de nouveau aujourd’hui pour défendre le droit des Palestiniens à vivre et à retourner surleur terre, après l’échec des institutions internationales en la matière. La résistance actuelles’inscrit dans le mouvement révolutionnaire du Fatah et de l’OLP, et plus globalement dans les mouvements sociaux et politiques de lutte contre le rapt de la terre de la Palestine historique qui remontent aux années 1910. Le 1er janvier 1965, le Fatah avait déclenché la révolution palestinienne par sa première opération militaire. Après la défaite arabe de 1967, Israël a essayé d’éradiquer la volonté arabe de combattre et de poursuivre le mouvement de lutte pour la libération de la Palestine. C’est là que le Fatah a pris un rôle central dans la scène régionale arabe, notamment à partir de la bataille d’«Al-karameh» (la dignité) en 1968, qui fut suivie de combats dans les terres occupées. Le Fatah était alors le porte-étendard de la lutte pour défendre les droits nationaux palestiniens et représenter la volonté arabe de se battre contre le colonialisme. Cette séquence pris véritablement fin avec les accords d’Oslo. Trente ans après ces accords, qui ne débouchèrent que davantage d’injustice, de cruauté et de perte d’autonomie pour les Palestiniens, la résistance palestinienne réémerge. En ce sens, la résistance palestinienne doit garder son caractère national palestinien au premier plan jusqu’à ce qu’elle puisse achever la bataille de la libération. Cette focalisation sur le caractère palestinien de la résistance ne peut évidemment pas nier son caractère arabe. La bataille de la libération de la Palestine est une question arabe au sein de laquelle les Palestiniens jouent un rôle d’avant-garde. Cependant, la focalisation sur le caractère palestinien de la lutte est nécessaire pour plusieurs raisons. Il s’agit d’abord de contrer les tentatives de désinformation israéliennes visant à nier la réalité coloniale du conflit. Ensuite, il s’agit de remettre les organisations palestiniennes face à leur responsabilité vis-à-vis de la révolution; elles doivent se coordonner, agir et poursuivre un agenda commun en direction de la révolution. Cette définition de la responsabilité palestinienne dans la révolution ne signifie aucune sorte d’exclusivité ni aucune exemption des masses et des dirigeants arabes de leur responsabilité dans cette bataille, mais plutôt une redéfinition de la responsabilité arabe et internationale vis-à-vis de la révolution palestinienne. Elle est le seul moyen pour la communauté palestinienne de surmonter les divisions et les dépendances créées par de longues années de perte d’autonomie en faveur de l’occupation israélienne. De ce point de vue, compte tenu de la grande bataille qui se joue en Palestine occupée et des responsabilités et espoirs croissants des résistants dans cette bataille, le mouvement de résistance doit : établir des relations étroites avec les masses et avec les alliés régionaux et tendre la main à tous; coopérer de manière à préserver sa propre autonomie. La résistance armée palestinienne est liée à la terre arabe et non pas à un quelconque régime.
Sur la scène politique arabe, sortir de l’impuissance
L’opération du «déluge d’Al-Aqsa» a rebattu les cartes et contraint les masses arabes à un jugement de leurs régimes suivant une nouvelle grille d’analyse : soutiennent-ils la résistance ? Dans quelle mesure la soutiennent-ils ? À la lumière de cette grille d’analyse, les dynamiques politiques régionales se trouveront probablement modifiées. Par-delà les forces politiques arabes actuelles concrètes, et leur capacité effective d’agir dans telle ou telle direction, la réflexion porte sur les objectifs nécessaires de leurs actions politiques. Pour les régimes arabes partisans de l’impuissance, il a toujours été question de contenir les effets moteurs de la révolution palestinienne parmi les masses arabes. Car si les régimes arabes sont impuissants face au colonialisme en Palestine, c’est en raison d’une décision concertée. Pour sortir de cette situation, les masses arabes doivent nécessairement lutter à la fois sur les questions sociales et politiques internes à leur pays et contre le colonialisme en Palestine et l’influence de l’impérialisme occidental. Pour cela, il est nécessaire de constituer une avant-garde centrale palestinienne politique et militaire qui dirige le mouvement de lutte pour la libération de la Palestine, en connexion avec les organisations et masses arabes militantes qui visent à un changement émancipateur au sein de leurs États-nations et dans le monde arabe. Autrement dit, pour renforcer les courants arabes en lutte pour la justice sociale, la liberté, et l’égalité, il leur faut absolument intégrer à leur agenda – et de manière centrale – la lutte de libération de la Palestine, qui est simultanément une lutte de libération arabe. Ce cadre qui articule lutte contre le colonialisme en Palestine, lutte pour la souveraineté nationale et la justice sociale, avec le souci constant du rejet de la tutelle, est le seul moyen d’arriver à l’unité et à libération arabe du joug du colonialisme, de l’impérialisme et de la dépendance économique. Ainsi, dans les pays arabes, les organisations politiques doivent lutter en premier lieu contre l’impuissance concertée de leurs États face à la situation coloniale en Palestine. À cette fin, il leur faut créer une situation nouvelle, c’est-à-dire un cadre institutionnel nouveau qui permette la présence d’une direction unifiée de l’effort arabe, des outils institutionnels pour soutenir cet effort, ainsi qu’une vision idéologique claire de la lutte radicale et progressiste en vue de la libération et de l’émancipation des peuples arabes, parmi lesquels le peuple palestinien. Dans cette nouvelle configuration, la décision d’entrer en guerre ou non sera traitée par les masses arabes sous un nouvel angle.
Conclusion
Nous observons aujourd’hui qu’Israël, une des plus grandes puissances militaires au monde, n’est plus capable de réaliser ses objectifs dans une guerre éclair. En plus de deux mois d’une guerre génocidaire contre Gaza, la résistance palestinienne n’est pas éliminée. Et dans une guerre longue, celui qui résiste le plus longtemps est celui qui gagne. Ancrée dans la société dont elle est le prolongement, la résistance palestinienne est aujourd’hui capable de résister le plus longtemps. Le changement ne réside pas seulement dans sa décision de combattre ou de ne pas combattre, mais plutôt dans la vision politique en construction qui tend vers l’unification de toutes les composantes politiques palestiniennes. Le changement doit résider dans la conviction des masses arabes et palestiniennes que la bataille centrale se déroule en Palestine et que la manière de la résoudre passe par une lutte massive et générale et une résistance sur le long terme. Il réside aussi dans le déluge de solidarité internationale pour soutenir et défendre les droits des Palestiniens et la population palestinienne contre le génocide et le nettoyage ethnique qu’elle subit. Les masses de partout dans le monde se sont mobilisées dès la première semaine pour dénoncer l’occupation, le non-respect du droit international et l’extrémisme violent du gouvernement israélien.
Par le Dr Marie Kortam
Mariekortam @hotmail.fr