Massacres du 8 Mai 1945: Des crimes bien ancrés dans la mémoire nationale

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Les massacres du 8 Mai 1945, perpétrés par les forces coloniales françaises contre le peuple algérien, comptent parmi les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité les plus odieux commis au cours du XXe siècle, a estimé l’historien Attar Mohamed, conservateur de patrimoine au Musée du moudjahid de la wilaya V historique de Tlemcen.

Les massacres du 8 Mai ne sont pas les premiers crimes de la France coloniale. L’histoire de France est entachée de crimes», a rappelé l’historien. Les massacres se comptent par dizaines comme celui commis contre la population de Blida le 26 novembre 1830, le massacre de la tribu des Oufia (oued el Harrach) commis le 5 avril 1832 , le massacre de la tribu des Ouled Riyah, au cours duquel plus de 1200 personnes, hommes, femmes et enfants, ont été enfumés dans une grotte à Nekmaria, à Mostaganem, le 18 juin 1845, par les forces commandées par le sinistre colonel Pelissier. Sur les massacres des Oufia, le général Rovigo, qui commandait les auteurs de ce crime, écrivait dans ce sens : «Nos soldats étaient à cheval portant des têtes humaines sur leurs épées et à Bab Azzoun, les bijoux des femmes fixés à leurs avant-bras amputés et à leurs oreilles sectionnés étaient exposés devant tout le monde». Attar Mohamed a rappelé que les conditions des algériens étaient complètement détériorées à la veille de mai 1945.«Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Algériens ont été expropriés de leur terres pour nourrir l’Europe, alors que sur le plan politique, les Algériens ont rejeté toute idée de naturalisation du décret du 7 mars 1944, notamment après la déclaration du MTLD qui a contribué à unir davantage les sentiments de la nation». Le 8 Mai 1945, a ajouté la même source, le monde occidental célébrait la fin du second conflit mondial et signature de l’armistice avec l’Allemagne nazie. Les Algériens voulaient participer à cette liesse, en brandissant le drapeau frappé aux couleurs nationales et revendiquer tout haut leur droit à l’indépendance. Pour ce droit, les Algériens se sont vaillamment battus dans les rangs des alliés et ont versé leur sang sur les différents champs de bataille. Ils ont manifesté à Sétif, Kherrata, Guelma et d’autres villes, à l’instar de Tlemcen, selon des témoignages de moudjahid.

8 Mai 1945, un prélude à la lutte armée Le mardi 8 Mai 1945, brandissant les couleurs nationales, Bouzid Sâal a été froidement abattu par les militaires français qui transformèrent ainsi les manifestations pacifiques en affrontements sanglants. À Sétif, Guelma et Kherrata, des renforts militaires ont été envoyés pour exterminer les populations algériennes et commettre ce qui allait devenir l’une des plus horribles et des plus sanglantes pages de l’histoire du colonialisme français en Algérie. L’historien Attar Mohamed a rappelé que sans distinction aucune, les militaires français et les milices armées ouvraient le feu sur tout le monde, hommes, femmes, vieux et enfants commettant dans les villes et dans les hameaux les plus lointains un crime que le temps ne peut faire oublier. Pour lui, les massacres du 8 Mai 1945 étaient prémédités dans l’optique de pousser le peuple algérien à enterrer ses aspirations notamment le recouvrement de son indépendance nationale. «Par ces crimes, l’armée française voulait redonner son blason terni après avoir essuyé de grands revers de la part de l’armée allemande», a-t-il précisé. Le bilan de ce massacre est de 45 000 algériens tombés au champ d’honneur. Les évènements du 8 mai 1945 ont été le prélude de cette étape fondamentale de l’histoire contemporaine nationale, celle du déclenchement de la lutte armée, le 1er novembre 1954, qui aboutira, au prix de mille et un sacrifices, au recouvrement d’indépendance et de la souveraineté nationale.

Lieux des massacres du 8 mai 1945 à Guelma, témoins éternels du crime Même si la majorité des témoins oculaires des massacres du 8 mai 1945 à Guelma ne sont plus de ce monde pour en célébrer le 76e anniversaire, les lieux et sites où les forces coloniales ont massacré des innocents désarmés et incinéré leurs cadavres, demeurent des «témoins éternels» de l’horreur de ce crime, selon des témoignages recueillis in situ par des passionnés de cette période de l’histoire de l’Algérie. En effet, Guelma avait fait, le 10 juillet dernier, ses adieux à l’un des derniers témoins de ces massacres barbares, le moudjahid, Abdallah Yelles, président d’honneur de l’association 8 Mai 1945, mort à l’âge de 96 ans, qui fut au cours des évènements sanglants blessé à la jambe alors qu’il avait 20 ans et restera depuis handicapé moteur. Les témoins des massacres du 8 mai 1945 ont, ces dernières années, tiré leur révérence l’un après l’autre sans, toutefois, voir le jour où la France rende compte de ses massacres ni celui où le statut de chouhada soit accordé aux victimes ni, encore, le jour où le dossier de disparus durant ces évènements soit ouvert pour permettre à leurs proches d’obtenir leurs certificats de décès et se recueillir sur leurs tombes, regrette amèrement Brahim Afifi,  secrétaire général de l’association 8 Mai 1945 de la wilaya de Guelma. La disparition de ces moudjahidine ne signifie pas pour autant l’absolution des crimes coloniales puisque les lieux de ces massacres comme les champs, les abords des routes, les oueds et les ponts où furent perpétrées les exécutions sommaires d’Algériens continuent d’en témoigner, surtout après que les voix de nouvelles générations ont commencé à appeler à accorder davantage d’intérêt pour ces sites, à les protéger et à en faire des objets d’études historiques. L’instauration, cette année pour la première fois de la journée nationale de la mémoire participe de cet effort pour pérenniser le souvenir de ce forfait abject, a indiqué le même responsable. Selon les témoignages recueillis auparavant, la mémoire collective conserve dans la région les images des massacres collectifs qui ont débuté par l’assassinat par le sous-préfet de Guelma André Achiary et certains juifs du premier chahid durant la marche pacifique du 8 mai 1945 le nommé Boumaaza Abdallah alias Hamed tombé à l’âge de 19 ans. La ville de Guelma et ses communes voisines devinrent ensuite le théâtre de massacres horribles et d’exactions dont furent victimes, entre autres, la jeune Fatima Zahra Rekki mutilée avant d’être assassiné, et les membres de la famille de Kateb Brahim parmi lesquels un enfant de 12 ans et sa mère enceinte en 6ème mois et les centaines de jeunes et d’hommes transportés chaque soir vers Kef El Boumba pour y être exécutés puis brulés.

11 sites de massacres et 18 000 victimes Les documents détenus par l’association 8 Mai 1945, créée en 1995 avec le slogan «Pour que l’on n’oublie pas» et dont le bureau a été renouvelé dernièrement, estiment que ces massacres qui s’étaient poursuivis pendant plus de deux mois consécutifs avaient fait dans la wilaya de Guelma environ 18 000 victimes. Les efforts des défenseurs des victimes de ces massacres ont permis de recenser 11 sites de ces exactions répartis entre la ville de Guelma et les communes de Belkheir, Boumahra Ahmed, Héliopolis, Oued Cheham, Khezzara et Ain Larbi a souligné Brahim Afifi, secrétaire de cette association. Selon les mêmes témoignages, certains de ces sites sont gravés dans la mémoire collective des habitants de la wilaya par leur horreur extrême, selon la même source.C’est le cas du four à chaux du colon Marcel Lavie de Héliopolis où furent incinérés des dizaines de cadavres d’innocents exécutés sauvagement par les gendarmes, la police et les milices françaises. Autre lieu funestement célèbre sont Kef El Boumba de Héliopolis où des plusieurs dizaines de victimes furent collectivement jetés, le petit pont de la commune de Belkheir, les berges d’Oued Seybous dans la commune de Boumahra Ahmed et la caserne de la ville de Guelma où certaines parties de la guillotine où furent exécutés les participants aux manifestations pacifiques demeurent toujours conservées.

Des sites à grande valeur historique se trouvent en état d’abandon C’est le cas du four à brique qui se trouve à 3 km à la sortie ouest de la ville de Guelma où plusieurs dizaines de militants du mouvement nationaliste ayant manifesté pour la liberté furent sommairement exécutés.Ce lieu «doit bénéficier d’une intervention en urgence» des organismes concernés pour assurer sa conservation et éviter sa disparition, assure le secrétaire général de l’association 8 Mai 1945 qui affirme que la plaque signalant l’importance historique du lieu et les exécutions sommaires qui y furent commises a disparu et des travaux de creusage d’une retenue sont effectués actuellement par un agriculteur riverain mettant en péril le site et les restes de la bâtisse de l’époque coloniale. Durant la période coloniale, Guelma était relié à El Khroub (Constantine) par une voie ferroviaire inaugurée en 1879 qui traversait la wilaya d’Est à l’Ouest passant par les communes de Aïn Reggada, Oued Zenati, Bordj Sabat, Bouhamdane, Hammam Debagh, Medjaz Amar, Guelma, Belkheir, Boumahra Ahmed, Bouchegouf et Medjaz Sfa jusqu’à Souk Ahras puis la Tunisie. Les forces coloniales faisaient sortir des trains par la force les voyageurs arabes et les exécuter sommairement, selon les témoignages écrits recueillis par la même association.Pour commémorer ces crimes, les autorités locales avaient fait réaliser deux monuments sur cette ligne ferroviaire, près du rond-point vers l’avenue du Bénévolat et à la gare ferroviaire. Toutefois avec le temps et après la cessation de l’exploitation de la ligne Guelma-El Khroub quelques années après l’indépendance, tous les vestiges de ce chemin de fer ont disparu sur le premier site tandis que la gare est actuellement confrontée au même sort après l’arrêt du train Guelma-Bouchegouf ces dernières années. Selon l’association 8 Mai 1945, l’objectif premier est de protéger et restaurer tous les monuments et sites témoignant de l’horreur de ces massacres et la première action à engager devra être la réhabilitation du four à chaux avec l’implication de spécialistes en archéologie.

Synthese T. M. / Ag.