Les Amis du Manifeste et de la Liberté (AML): 80 ans d’Histoire, un Front avant la Front

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14 Mars 1944 -14 Mars 2024 ,80 années se sont écoulées depuis ce moment fondateur, où un Front (AML). Les Amis du Manifeste et de la Liberté (AML), porteurs de la doctrine et du programme politique du MANIFESTE rédigé par Ferhat Abbas le 10 février 1943, et remis aux Alliés le 31 mars 1943, rappelle l’œuvre et le combat pour l’indépendance alors que le 70 ème anniversaire du déclenchement du combat libérateur est à nos portes.

Peu d’ouvrages en Algérie se sont penchés sur ce mouvement politique, mais des chercheurs tels que Youcef Baghoul (Le manifeste du peuple algérien : les Amis du manifeste et de la liberté : leur contribution au mouvement national, les Éditions Dahleb 2007) et Abdelkader Mimouni (Le manifeste algérien dans la presse française, les Éditions Mimouni, 1991) ont contribué à documenter son importance.

Plus récemment, Chafik Mesbah a consacré un chapitre de son livre « Idéologie politique et mouvement national en Algérie (1936-1956)«  aux AML et à leur chef.

Ainsi, Selon Chafik Mesbah, qui reprend les travaux du chercheur Youcef Baghoul, Ferhat Abbas aurait envisagé la création d’une organisation politique intégrant les Oulémas et les partisans de Messali Hadj en réaction aux positions des autorités politiques, notamment celles du général Catroux, du gouverneur Peyrouton et du général De Gaulle, vis-à-vis du Manifeste. Dans un premier temps, il aurait pensé la nommer « l’Algérie libre ».

Comme il est encore rapporté par Chafik Mesbah « Ferhat Abbas affirme avoir été inspiré par la lecture de la Révolution prolétarienne du syndicaliste trotskyste Robert Louzon ». Il n’en demeure pas moins que Ferhat Abbas a rédigé un document historique et su lui donner un cachet particulier. La colonne vertébrale du Manifeste réside dans la réussite de Ferhat Abbas à rassembler les élus et notables indigènes pour signer un document, surprenant ainsi l’administration coloniale. Lors des étapes du combat de Ferhat Abbas, celle qui fut cruciale et déterminante pour la maturation de l’idée « d’Etat nation indissociable de peuple » fut l’assimilation représentant « la politique du possible » pour accéder à la modernité, inspirée par les « jeunes Algériens » et l’Émir Khaled. L’idée progressiste d’assimilation donna lieu à la vision de l’émancipation du peuple et la victoire de la société musulmane sans renoncer à son passé ni subir la domination coloniale. Ferhat Abbas, alors ne se laissera guider que par la déclaration du président Roosevelt et la Charte de l’Atlantique exigeant l’abolition du colonialisme.

Le 14 mars 1944, Ferhat Abbas fonda, à Sétif, l’Association des Amis du Manifeste et de la Liberté (AML), réunissant des militants des deux principaux mouvements politiques algériens – les dissidents du PPA et les membres de l’ex-UPA et de la Fédération des Élus – ainsi que les Oulémas, à l’exception des communistes.

A son époque déjà, Albert Camus écrivait, « Il me semble donc nécessaire, de faire connaître aux Français ce parti, avec lequel, qu’on lui soit hostile ou favorable, il faut bien compter ». Le président de ce mouvement est « Ferhat Abbas, originaire de Sétif, diplômé d’université en pharmacie, et qui était avant la guerre l’un des partisans les plus résolus de la politique d’assimilation. À cette époque, il dirigeait le journal « Entente » qui défendait le projet Blum-violette et demandait qu’une politique démocratique soit instaurée en Algérie où l’Arabe trouverait des droits équivalents à ses devoirs. »

Aujourd’hui, poursuivait-il, « Ferhat Abbas, comme beaucoup de ses coreligionnaires, tourne le dos à l’assimilation. Son journal « Égalité », dont le rédacteur en chef, Aziz Kessous, est un socialiste, un ancien partisan lui aussi de l’assimilation, réclame la reconnaissance d’une nation algérienne – Ferhat Abbas parlait exactement d’une République algérienne (un autre intitulé de son journal fondé par l’UDMA) – liée à la France par les liens du fédéralisme. Ferhat Abbas a une cinquantaine d’années. C’est indéniablement un produit de la culture française. Son premier livre portait en épitaphe une citation de Pascal. Ce n’est pas un hasard. Cet esprit est véritablement pascalien par un mélange assez réussi de logique et de passion. Une formule comme celle-ci : « La France sera libre et forte de nos libertés et de notre force » est dans le style français. C’est à notre culture que Ferhat Abbas la doit et il en est conscient. Il n’est pas jusqu’à son humour qui ne porte la même marque, quand il imprime en gros caractères, dans « Égalité », cette petite annonce classée : « Échangeons cent seigneurs féodaux de toutes races contre cent mille instituteurs et techniciens français. »

Ferhat Abbas exprime sa foi dans la science et le progrès, affirmant : « Dans le siècle de la locomotive et de l’avion, le spectacle d’une multitude déguenillée est une absurdité historique. » Ces mots résonnent aujourd’hui avec plus de force dans un univers où le monde digital et l’intelligence artificielle sont les marqueurs de la société de demain.

Marqué par une rupture avec une époque vécue par Ferhat Abbas pour la revendication des droits et une place pour l’Algérie dans le concert des nations, et celle qui va poindre, il affirmait avec force « d’en appeler à une révolution économique et sociale fondée sur le travail, la discipline et l’amour de la science. » Cela reflète ses réflexions de prison en mai 1946, dans « Mon testament », concluant : « Ni assimilation, ni nouveau maître. » Il y a là un humanisme profond, une conviction de vivre pour l’Algérie. Il explique que le savoir et la connaissance sont les seuls outils pour mettre fin au cycle millénaire de misère permanente (invasion, colonisation…), de notre droit à vivre et à exister, en somme, un hymne à l’humanisme et au vivre-ensemble.

Ferhat Abbas croit avec force à « l’État moderne et aux lois modernes » qui balayent tout mais offrent des outils d’évaluation pour s’y adapter et ne pas en subir les contre-coups.

Autour de ces idées mobilisatrices, une grande partie de l’opinion musulmane s’est ralliée et a adhéré aux Amis du Manifeste et de la Liberté (AML), comptant près de 500 000 membres selon certaines sources. Daho Djerbal, historien, souligne dans une chronique dédiée au mouvement national que « Ferhat Abbas, s’inspirant de Renan dans les statuts des AML, prônait la création d’une solidarité algérienne, du sentiment d’égalité et du « désir d’être ensemble » parmi tous les habitants de l’Algérie, qu’ils soient juifs, chrétiens ou musulmans, afin de construire une nation.

Quelles que soient les opinions, il est crucial de reconnaître que ce programme existe et a profondément influencé les aspirations politiques. À travers l’itinéraire particulier de Ferhat Abbas, se dessine l’élite du peuple algérien en marche vers l’émancipation et la construction de son propre destin politique.

Selon l’historien Charles Robert Ageron, en avril 1945, il existait 257 sections AML, dont 115 dans le Constantinois, 86 dans l’Algérois et 56 dans l’Oranie. Le 15 septembre 1944, Ferhat Abbas fonde l’hebdomadaire « l’Egalité”, porte-voix du mouvement, avec un tirage dépassant les 100 000 exemplaires. Les 2, 3 et 4 mars 1945 voient l’ouverture à Alger de l’historique congrès des AML.

Kamel Benaiche, journaliste, rapporte les résolutions du congrès, suscitent l’inquiétude des lobbies et de la grosse colonisation, car elles « saluent avec fierté l’entrée en guerre, aux côtés des démocrates, des nations arabes et musulmanes et considèrent cet acte comme la fin pratique de tous les impérialismes et applaudit aux victoires des Nations unies. Elle est persuadée que ces victoires assureront bientôt la liberté à tous les peuples et sur tous les continents. » Ces résolutions marquent la fin d’une coexistence fragile, créant une tension croissante en Algérie où les aspirations des deux communautés entrent en conflit. Les accusations et les frictions se multiplient, alimentant les rumeurs d’une possible « insurrection » indigène. Le lobby colonial incite les autorités à prendre des mesures pour préserver le système colonial, ébranlé par les résolutions du congrès.

Annie Rey Goldzeiger, historienne et militante, rapporte l’opinion d’un haut fonctionnaire de l’administration française, prévoyant des troubles fomentés et la dissolution d’un grand parti. Il déclare : « Nous avons laissé mûrir l’abcès pour mieux le crever. »

Les autorités réagissent en dissolvant les AML en mai 1945, et en suspendant le journal « Égalité » de Ferhat Abbas. Celui-ci, déjà arrêté et assigné à résidence surveillée à Tabelbala (Béchar) de septembre à décembre 1943, est de nouveau arrêté en 1945, alors qu’il visitait le gouverneur général d’Alger pour féliciter la victoire des Alliés. Mis au secret, Ferhat Abbas apprend la tragédie du Constantinois deux semaines plus tard. Les AML sont dissous, et l’homme politique algérien reste en prison du 8 mai 1945 jusqu’au 16 mars 1946, subissant onze mois de détention arbitraire.

Ces événements laissent une blessure profonde. Les massacres de 1945 seront les signes sombres annonciateurs de Novembre 1954. L’accumulation de nuages sombres – les réformes piétinées, les élections manipulées, le nouvel ordre mondial qui prend forme, disqualifiant le colonialisme – voit émerger une nouvelle génération d’Algériens qui n’ont d’autre alternative…

Mendès France, président du Conseil, reçoit Ferhat Abbas et Ahmed Francis au début du mois d’août 1954, au Quai d’Orsay, en présence du ministre de l’intérieur, François Mitterrand, et du libéral Jacques Chevallier, maire d’Alger et secrétaire d’État à la défense. « Tout est calme en Algérie », proclame Mendès France. « Détrompez-vous, Monsieur le Président, répond Ferhat Abbas, l’Algérie se tait parce qu’elle est mécontente. Elle n’a plus confiance en ses dirigeants, qui ne veillent même plus à l’application des lois françaises. Si nos appels restent sans écho, l’Algérie regardera ailleurs. »

Déjà en 1953, Ferhat Abbas déclarait : « Il n’y a plus d’autre solution que les mitraillettes. Que le nationalisme algérien a cessé d’être un chef d’accusation pour devenir un titre de gloire. ». Ferhat Abbas adhère au FLN, marquant un tournant majeur et offrant un immense espoir aux populations algériennes.

Grâce aux AML, le combat du peuple algérien est mis en relief autour de la citoyenneté, du statut de l’Algérie et de la nature de ses institutions. Ferhat Abbas voit dans les AML une solution imposée par les circonstances, et les historiens devront examiner cette période charnière, indicative du processus préparant le 1er novembre et l’émergence d’un peuple à la liberté. Cette source devrait être intégrée à l’éducation nationale et célébrée pour ancrer dans le peuple algérien la sauvegarde de ses libertés et de ses intérêts.

80 ans se sont écoulés, notre regard vers l’horizon est toujours la modernité, après vérification de notre assise à savoir que nous avons les pieds sur notre sol bien solide bien enraciné. C’est aussi un regard vers l’intérieur …frappe toi le cœur c’est là où est le génie. C’est alors qu’on n’aura pas honte de notre identité.

 Abdelhamid TASSOUST (Professeur à l’Université de Strasbourg)

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