Les fonctions cognitives désignent les capacités du cerveau à acquérir des connaissances, penser, agir et résoudre différentes situations au quotidien. Au cours d’un vieillissement normal, certaines capacités cognitives (parmi lesquelles la vitesse d’apprentissage et la mémoire) déclinent de manière naturelle.
Mais cette détérioration des fonctions cognitives peut varier d’une personne à l’autre, notamment en raison de différents facteurs comme la nonutilisation (manque de pratique), la maladie (la dépression par exemple), le manque de motivation, le manque de confiance, la solitude et l’isolement, plutôt que par le vieillissement en tant que tel. Le mode de vie, autrement dit les facteurs comportementaux, a également une grande importance puisque de nombreuses études ont démontré que le fait d’adopter une bonne hygiène de vie peut retarder l’apparition de la démence et ralentir le déclin cognitif. D’autres encore ont identifié certains facteurs modifiables qui accroissent le risque de démence comme le manque d’activité physique, la consommation excessive d’alcool, le manque de sommeil, l’isolement social, une mauvaise alimentation, l’hypertension ou encore l’obésité et le diabète. Et s’il y en a bien un à limiter à tout prix selon une étude parue dans Nature Communications, c’est le tabac. Menée par des chercheurs de l’University College London, celle-ci affirme en effet que le tabagisme pourrait être l’un des facteurs de style de vie les plus importants affectant la rapidité avec laquelle nos capacités cognitives déclinent avec l’âge. Fort des résultats de cette recherche menée dans pas moins de 14 pays européens, ces derniers invitent donc à adopter ce simple choix de vie en tant que facteur ayant l’impact le plus positif pour préserver ses fonctions cognitives en vieillissant : ne pas fumer. L’équipe scientifique a procédé en suivant plus de 32 000 adultes âgés de 50 à 104 ans pendant 15 ans membres de deux grandes études sur le vieillissement : l’English Longitudinal Study of Ageing (ELSA) et l’Enquête sur la santé, le vieillissement et la retraite en Europe (SHARE). Alors que les recherches précédentes ont souvent regroupé divers comportements sains, ce qui rend difficile de déterminer ceux qui comptent vraiment, cette étude a adopté une approche différente. En examinant 16 combinaisons de modes de vie différentes, les chercheurs ont pu isoler les effets du tabagisme, de l’alcool, de l’activité physique et des contacts sociaux sur le déclin cognitif. Les participants ont été regroupés en fonction de leur mode de vie en fonction de leur statut tabagique ou non, de leur pratique d’une activité physique modérée ou vigoureuse au moins une fois par semaine, de leur fréquentation d’amis et de leur famille au moins une fois par semaine et de leur consommation d’alcool supérieure ou égale à deux boissons alcoolisées par jour (hommes) ou d’une boisson par jour (femmes). En combinant ces facteurs, l’équipe de recherche a pu obtenir ces 16 profils de style de vie distincts. Par exemple, un profil peut être celui d’un non-fumeur qui boit modérément, fait de l’exercice chaque semaine et a des contacts sociaux fréquents, tandis qu’un autre peut être celui d’un fumeur qui boit beaucoup, ne fait pas d’exercice régulièrement et a des interactions sociales limitées. La seconde étape de l’étude a ensuite consisté à mesurer la fonction cognitive grâce à n test de mémoire, où les participants devaient se souvenir d’une liste de mots immédiatement et après un délai et à un test de fluidité verbale, où les participants devaient nommer autant d’animaux qu’ils le pouvaient en une minute. Ces tests ont été répétés à plusieurs reprises au fil des ans, ce qui a permis aux chercheurs de suivre l’évolution des fonctions cognitives au fil du temps pour chaque profil de style de vie. Pour s’assurer qu’ils captaient les effets du style de vie plutôt que les premiers signes de démence, les chercheurs ont exclu toute personne présentant des signes de déficience cognitive au début de l’étude ou ayant reçu un diagnostic de démence au cours de la période de suivi. Une fois les chiffres analysés, les chercheurs ont pu constater une tendance claire. Dans l’ensemble, tous les modes de vie incluant le tabagisme étaient associés à un déclin cognitif plus rapide, indépendamment d’autres facteurs. Sans surprise, les fumeurs qui consommaient beaucoup d’alcool, faisaient peu d’exercice physique et avaient des contacts sociaux limités ont montré le taux de déclin cognitif le plus rapide. Mais il s’avère que même les fumeurs qui suivaient tous les autres comportements sains recommandés (consommation modérée d’alcool, exercice régulier et contacts sociaux fréquents) présentaient un déclin cognitif plus rapide que les non-fumeurs.
Pourquoi le tabac est-il si néfaste pour le cerveau ?
Quid des participants non-fumeurs ? Les différences dans d’autres facteurs liés au mode de vie ont eu des effets beaucoup plus faibles sur le déclin cognitif. Pour mettre cela en perspective, sur une période de 10 ans, les scores de mémoire des fumeurs ont diminué jusqu’à 0,17 écart type de plus que ceux des non-fumeurs, et leurs scores de fluidité verbale ont diminué jusqu’à 0,16 écart type de plus. Bien que ces chiffres puissent paraître faibles, ils pourraient se traduire par des différences notables dans les fonctions cognitives quotidiennes au fil du temps : la mémoire, l’attention, le langage ou encore la capacité à faire plusieurs choses à la fois. Ces résultats ont leur importance puisqu’ils amènent les chercheurs à suggérer le fait que cesser de fumer, ou même et surtout ne jamais commencer, pourrait être l’étape la plus cruciale pour préserver les fonctions cérébrales à mesure que nous vieillissons. Et ce d’autant que l’augmentation de l’espérance de vie implique des changements fondamentaux dans la composition des populations avec une augmentation importante du nombre de personnes âgées. Ces changements auront probablement une influence profonde sur la vie des individus et la société en général. En guise de conclusion, la Dre Mikaela Bloomberg, auteure principale de l’étude au sein de l’UCL Behavioral Science & Health fait savoir que « l’étude est observationnelle et ne peut donc pas établir définitivement de relation de cause à effet, mais elle suggère que le tabagisme pourrait être un facteur particulièrement important influençant le taux de vieillissement cognitif. Des données antérieures suggèrent que les individus qui adoptent des comportements plus sains ont un déclin cognitif plus lent cependant, il n’était pas clair si tous les comportements contribuaient de manière égale au déclin cognitif, ou s’il y avait des comportements spécifiques à l’origine de ces résultats. Nos résultats soulignent que parmi les comportements sains que nous avons examinés, ne pas fumer pourrait être l’un des plus importants en termes de maintien de la fonction cognitive. Pour les personnes qui ne parviennent pas à arrêter de fumer, l’adoption d’autres comportements sains tels que l’exercice régulier, la consommation modérée d’alcool et l’activité sociale peuvent aider à compenser les effets cognitifs indésirables associés au tabagisme. » Mais pourquoi le tabagisme est-il si néfaste pour notre cerveau ? L’Organisation Mondiale de la Santé rappelle dans son rapport « vieillir en restant actif » qu’il constitue le plus important facteur de risque modifiable pour ce qui est des maladies non transmissibles, que les fumeurs soient jeunes ou non, et la principale cause évitable de décès prématuré. La Fondation Recherche Alzheimer fait quant à elle remarquer que ses effets sont multiples, et que les mécanismes sont aussi bien directs qu’indirects. La cause plus communément admise est liée aux facteurs de risque vasculaires : le tabagisme favorise la survenue d’une maladie cardio-vasculaire et d’accident vasculaire-cérébral, eux-mêmes susceptibles de précipiter la survenue de troubles cognitifs. Autre méfait du tabac : en accroissant l’athérosclérose (l’accumulation de plaques de lipides dans les artères), il provoque un rétrécissement des vaisseaux sanguins dans le cœur et dans le cerveau, ce qui gêne dangereusement l’oxygénation et l’alimentation de ce dernier. Enfin, le fait de fumer engendre un stress oxydatif, qui entraîne la mort des neurones, ainsi qu’une réaction inflammatoire associée à une neuropathologie comme la maladie d’Alzheimer.