Soixante-trois ans après les premières explosions nucléaires françaises dans le Sud algérien, ce crime colonial reste toujours enfoui sous les sables, alors que les conséquences de cette tragédie définie par le droit international comme un génocide collectif, demeurent à ce jour désastreux sur la population et l’environnement.
À ce titre, des cercles nostalgiques du passé colonial qui tentent de résister au principe d’établir des relations normales et d’égal à égal entre l’Algérie et la France, cherchent à créer des situations conflictuelles dans le processus d’une résolution responsable des dossiers liés à la question de la mémoire. Car, faut-il le souligner, plus d’un demi-siècle après, les autorités françaises tergiversent toujours dans la reconnaissance de leur crime colonial et l’indemnisation de ses victimes parmi les populations des régions du Sud algérien. Au total, 17 explosions nucléaires aériennes et souterraines ont été effectuées par la France entre février 1960 et février 1967 dans la région de Reggane et dans les cavités du massif du Hoggar près d’In Ekker. Le 13 février 1960, la première bombe nucléaire française dénommée «Gerboise bleue» a été mise à feu sur le site nucléaire de Reggane. D’une puissance de 70 kilotonnes, soit trois ou quatre fois plus puissante que celle larguée par les Américains sur Hiroshima (Japon), la bombe a eu des retombées radioactives plus longues que prévu. Un document sur les retombées réelles de cette explosion montre l’immensité des zones touchées et ce, jusqu’en Afrique subsaharienne, en Afrique centrale et même en Afrique de l’Ouest. L’ampleur des retombées radioactives a contraint la France à abandonner les expérimentations aériennes au profit d’explosions souterraines.
De novembre 1961 à février 1966, il a été procédé à treize tirs dans des galeries creusées horizontalement dans la montagne dont trois n’ont pas été totalement contenus ou confinés. Pire encore, des matières radioactives ont été laissées à l’air libre, exposant ainsi la population et l’environnement à des dangers certains. Suite à une forte mobilisation menée par les associations de victimes des explosions nucléaires françaises en Algérie et en Polynésie, le Parlement français a adopté, en 2010, une loi relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des explosions nucléaires, dite loi Morin. En application de la loi Morin, une procédure d’indemnisation a été mise en place pour les personnes atteintes de maladies cancéreuses considérées comme radio-induites par les études scientifiques de référence (ONU) et résultant d’une exposition à des rayonnements ionisants. Cette loi impose au demandeur de l’indemnisation de satisfaire à des critères «très difficiles» à remplir pour faire reconnaître son statut de victime, regrettent les associations de victimes. Parallèlement à cela, plusieurs voix se sont élevées, ces dernières années, pour demander à la France d’assumer ses responsabilités historiques à travers la décontamination des sites des explosions nucléaires effectués dans le Sahara algérien et l’indemnisation des personnes souffrant de pathologies conséquentes à ces explosions.
Ces voix s’appuient sur l’introduction et la reconnaissance officielle du principe du «pollueur-payeur» dans le nouveau traité sur l’interdiction des armes nucléaires «TIAN», ratifié le 7 juillet 2017, par 122 Etats de l’Assemblée générale de l’ONU. Pour l’expert en nucléaire et ex-commissaire à l’Energie atomique, Remki Merzak, le TIAN «comporte des obligations qui peuvent être très utiles» pour la décontamination des sites des essais nucléaires français et constitue «le cadre idéal pour entamer la mise en œuvre notamment des dispositions contenues dans ses articles 6 et 7 qui sont considérées comme des obligations positives». Toutefois, aucune action n’a été engagée à ce jour par la France, dont la responsabilité de la contamination du territoire algérien doit être assumée, au regard du droit international, alors que la situation sanitaire et environnementale dans ces régions du Sahara demeure toujours préoccupante. Pour faire face aux risques dus à la pollution radioactive, l’Etat a décidé de créer, en 2021, l’Agence nationale de réhabilitation des anciens sites d’essais et d’explosions nucléaires français dans le Sud algérien, mais l’Etat n’a pas attendu la création de cette agence pour procéder à la sécurisation et à la protection de ces sites qui furent le théâtre des explosions nucléaires françaises dans le Sud algérien.
«Un crime d’Etat prémédité»
Les explosions nucléaires françaises dans le Sud algérien constituent «un crime d’Etat prémédité» contre le peuple algérien et s’apparentent à un «génocide en différé» qui continue à faire des victimes, affirme le président de l’Association nationale des victimes de ces explosions, le Pr Amar Mansouri, déplorant le fait que la France cherche à «gagner du temps» sur ce dossier. Les explosions nucléaires françaises dans le Sud algérien «sont un crime d’Etat prémédité contre un peuple sans défense et contre l’humanité, car orchestré au plus haut niveau de l’ex-puissance coloniale», a déclaré le Pr Mansouri à la veille de la commémoration du 63e anniversaire de ces explosions nucléaires. Des explosions qui, selon lui, ont été menées par la France «en parfaite connaissance des dangers de cette arme», qualifiant ce fait de «génocide en différé» qui continue à «faire des victimes parmi la population du Sud algérien». Tout en relevant «la responsabilité entièrement engagée» de la France pour cela, il a rappelé que le général de Gaulle avait mis à exécution le plan nucléaire français en 1945, en dépit de l’onde de choc des explosions de Hiroshima au Japon. «En voulant entrer par la grande porte au club nucléaire mondial, la France a abusé du sol algérien au mépris de la population locale, mais aussi de la résolution onusienne et du moratoire des puissances nucléaires interdisant les essais nucléaires aériens, en raison de leurs effets polluants sur le globe terrestre», a-t-il commenté. «Lorsque la France avait prévu des dosimètres pour évaluer les doses de rayons reçues par les habitants du Sahara, ce n’était nullement par souci pour leur santé, mais pour les besoins des études scientifiques.
Et même lorsque la France a promulgué la loi Morin, le terme de reconnaissance qui y est stipulé est destiné aux soldats français et non aux Algériens», a-t-il déploré. Au sujet du nombre de victimes de ces explosions qui serait de l’ordre de 42 000, selon les données de l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM), le chercheur considère que ce chiffre «est en-deçà de la réalité, car depuis 1962, le nombre de personnes décédées des suites de ces essais ne cessait d’augmenter». Ancien chercheur au Centre de recherche nucléaire d’Alger, le Pr Mansouri a fait remarquer que la victime d’un rayonnement ionisant est très particulière, citant, à ce propos, une étude sur la génétique selon laquelle l’impact des rayons ionisants s’étale sur 22 générations. «En général, il s’agit de l’apparition de plusieurs pathologies comme le cancer, les malformations, les cécités, les maladies cardio-vasculaires, les surdités et la stérilité, en plus des retombées psychologiques induites par le fait de vivre dans un environnement pollué. «Il faut savoir que lorsqu’une bombe nucléaire explose, elle propulse des produits déficients comme le plutonium et le césium qui sont des éléments extrêmement nocifs pour l’être humain et l’environnement», a-t-il expliqué. D’autre part, le Pr Mansouri affirme que la France est entièrement responsable de ces explosions, mais elle refuse de reconnaître ses crimes et cherche plutôt à gagner du temps sur ce dossier plus précisément. À ce propos, il rappelle qu’en quittant, en 1967, le Sud algérien, en vertu des Accords d’Evian, la France «n’avait pas pris la peine d’avertir les Algériens sur les dangers nucléaires et avait pris le soin d’emporter toutes les archives liées à ce dossier». «Aujourd’hui, il est du devoir de la France d’indemniser les victimes de ces explosions et leurs descendants parmi les mobilisés du programme nucléaire français, appelés à l’époque -les populations laborieuses des oasis- (PLO) et les -populations laborieuses du bas du Touat- (PLBT)», a-t-il mentionné. S’insurgeant contre la politique du «deux poids, deux mesures» pratiquée par l’ancien colonisateur, le Pr Mansouri a appelé la France à reconnaitre ses crimes coloniaux et à procéder à l’indemnisation des victimes et au nettoyage total des sites infectés comme elle l’a fait en Polynésie. «Il existe plusieurs mécanismes pour régler ce contentieux, soit dans un cadre bilatéral ou par le biais de la justice internationale», relève le même intervenant qui suggère l’organisation, sous l’égide de l’ONU, d’une conférence internationale sur cette question.
Synthese Ahmed Itchiran /Ag.