Egypte : Sécurité renforcée par crainte de manifestations

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Les forces de sécurité égyptiennes étaient fortement déployées ce vendredi matin dans les rues du Caire, par ailleurs désertes, par crainte de manifestations contre la dégradation de la situation économique et des conditions de vie.

Les Égyptiens pauvres, une immense majorité de la population, subissent de plein fouet les effets de la forte dévaluation de la monnaie nationale, à laquelle les autorités se sont résignées devant l’épuisement de leurs réserves de devises étrangères. La forte inflation fait déjà flamber les prix des produits de première nécessité et ceux de l’essence viennent aussi d’augmenter sur fond de refroidissement des relations entre le Président Abdel Fattah al Sissi et l’Arabie saoudite, son principal bailleur de fonds, qui a suspendu brutalement et sine die ses livraisons de pétrole à l’Egypte. L’appel à manifester ce vendredi a été lancé en août par un groupe peu connu, le Mouvement des pauvres, qui entend dénoncer la hausse des prix et le renforcement des mesures d’austérité dicté par l’assèchement des finances publiques et les conditions posées par le Fonds monétaire international (FMI) pour octroyer un prêt de 12 milliards de dollars à l’Egypte. Cet appel a pris de l’ampleur cette semaine sur les réseaux sociaux après la dévaluation choc de la livre égyptienne. Il n’a pas été relayé par les principaux groupes de jeunes à l’origine de la «révolution du 25 janvier» 2011, mais a été soutenu par le mouvement interdit des Frères musulmans, qualifié de terroriste par les autorités.

LA PLACE TAHRIR BOUCLÉE

Au Caire, la place Tahrir, épicentre des soulèvements contre les anciens présidents Hosni Moubarak et Mohamed Morsi, était totalement vide dans la matinée, à l’exception de véhicules blindés et de dizaines de policiers anti-émeute. La station de métro desservant la place était fermée pour prévenir un hypothétique afflux de protestataires, jugé peu probable par de nombreux Égyptiens en raison de la répression brutale des précédents rassemblements contre le gouvernement d’Abdel Fattah al Sissi et de l’épuisement de la population après cinq années de chaos et de difficultés quotidiennes. La présence policière était également très visible dans d’autres quartiers du Caire et dans certaines villes de province. «Entre vous et moi, c’est une bonne chose», a déclaré à Reuters Chenouda Ichak, un chauffeur de taxi dans le quartier populaire de Choubra. «Je ne pense pas qu’il va se passer quoi que ce soit, mais cette démonstration de force fait peur aux gens et garantit que ça n’arrivera pas». Abdel Fattah al Sissi a multiplié ces dernières semaines les appels à ne pas manifester en prévenant ses compatriotes qu’il ne renoncerait pas aux réformes quel que soit le fardeau qu’ils auraient à porter. Les médias officiels ont fait monter la tension à la veille de la journée de rassemblement en évoquant les efforts des forces de sécurité pour empêcher «l’infiltration de terroristes» ou la découverte de caches d’armes et de munitions au domicile de membres des Frères musulmans qui auraient, selon la police, eu l’intention de s’en servir pour attaquer des postes de contrôle routiers.

AUSTÉRITÉ DOULOUREUSE

Reuters a interrogé cinq activistes de la mouvance révolutionnaire, qui avaient manifesté contre Hosni Moubarak et Mohamed Morsi et dénoncent aujourd’hui l’autoritarisme d’Abdel Fattah al Sissi. Tous les cinq ont dit que les manifestations ne mèneraient cette fois à rien et ont dit craindre des violences si elles ont lieu. «Nous savons désormais que les manifestations de rue se terminent dans le sang. On ne peut rien obtenir de ce régime», a résumé Malek Adli, un avocat des Droits de l’Homme. Les autorités se sont efforcées d’apaiser la grogne contre l’austérité en lançant une grande campagne de communication par panneaux géants et dans les médias, promettant notamment un renforcement des programmes d’aide destinés aux plus pauvres. Mais nombre d’Égyptiens qui ne bénéficient pas de ces programmes se plaignent de ne plus pouvoir acheter de viande, tandis qu’une récente pénurie de sucre a réveillé les craintes d’une crise alimentaire durable, rappelant la «crise du pain» qui avait précédé le soulèvement de 2011. Les maux des Égyptiens sont loin d’être terminés : les impôts augmentent, les subventions des produits de première nécessité diminuent et l’inflation approche 15%, à son plus haut niveau depuis huit ans. Les prix de l’électricité ont bondi de 25 à 40% en août, avant ceux de l’essence, et le Parlement a voté dans la foulée la création d’une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 13%. Dans ses discours, Abdel Fattah al Sissi répète que les Égyptiens doivent consentir à faire un sacrifice collectif pour éviter au pays la ruine financière. Le président égyptien a même appelé ses compatriotes à donner à l’Etat la petite monnaie qu’ils auraient en trop, une suggestion qui a été tournée en dérision sur les réseaux sociaux. Mais il aussi prévenu que l’armée pourrait être déployée en six heures si son pouvoir est contesté.