Par Ahmed Guitt
La poète s’en va à travers champs ; elle admire, elle adore, elle écoute en elle-même une lyre. En la voyant venir, les fleurs, toutes les fleurs cessent de danser, éberluées. Elles lui font de grands saluts et courbent leur tête jusqu’à terre et murmurent tout bas ; «c’est elle la poète». Obliger Keltoum Deffous à ne pas écrire ou ne pas s’exprimer en vers pour toucher à sa manière, la sensibilité des femmes et des hommes, c’est la priver d’oxygène ou la condamner à vivre une vie morne et sans intérêt. Elle désire évoluer en toute dignité. L’obliger également à ne pas militer en s’arrêtant de porter sa poésie dans toutes les contrées du pays et dans les arènes culturelles internationales c’est la condamner à mourir atrocement et à petit feu. En parlant d’elle, toujours avec une sensible modestie, la poète se compare à une balle perdue et d’affirmer : «Je dis toujours que je suis une balle perdue, tirée dans un champ de bataille d’une sale guerre et je porte en moi des entailles profondes. J’ai aussi des devoirs à accomplir. Mes aînées ne savaient ni lire, ni écrire. Ces braves femmes vaillantes gardiennes de notre culture orale, qu’elles ont transmise, ont tout fait pour libérer notre Algérie.» Keltoum est cette poète, cette femme rayonnante à l’esprit ouvert et révolutionnaire qui regarde vers le progrès et vers l’avenir pour un monde libre et équilibré et où une justice sociale doit s’instaurer en toute impartialité. Elle est originaire d’un hameau où tous les hommes de sa famille furent fusillés devant leurs femmes et leurs enfants un matin du 2 juillet 1956 par les soldats français. C’était aussi ses parents partis pour que vive l’Algérie libre et indépendante.
«Je dis toujours, dit-elle, que je suis une balle perdue, tirée dans un champ de bataille d’une sale guerre». La poète qui fait de son œuvre, le jardin aux mille fleurs, le défenseur des causes justes. Elle est l’auteure de plus d’une dizaine d’ouvrages où elle s’exprime à cor et à cri pour que la femme puisse prendre son rôle positif et sa place librement consentie par la société et la loi de son pays. Elle milite à l’aide de sa poésie en tant qu’auteure engagée pour libérer la femme des contraintes sociales qui font d’elle un frein d’une société qui se veut moderne. Elle n’est pas féministe, elle est une femme et elle engage l’homme à l’aider dans son œuvre pour atteindre ce but que Dieu lui a aussi assigné. Elle précise sans ambages ni quiproquos, sa position vis-à-vis de l’homme dans son combat :
«Je suis une révoltée, une rebelle, je dénonce toutes les injustices subies par les femmes, mais jamais je ne peux me passer de mon frère, ma moitié. L’homme respectueux des droits des femmes. Il n’y a aucune idée de rivalité, ni de vengeance, ni de haine contre les hommes machos, mais plutôt des prières, des appels et des injonctions pour lui faire prendre conscience du rôle de sa femme, de sa sœur et de sa mère.» Elle voit en la femme le synonyme des qualités humaines et l’éducatrice des futures générations. Elle ne pense pas que la modernité de la femme algérienne en particulier, de la femme en général, passe par les modes vestimentaires et la singerie des femmes occidentales, des sociétés en voie de disparition, condamnées à mourir parce n’ayant rien à transmettre à l’homme de demain. Keltoum est née dans le terroir, dans un tout petit village où étaient nés ses grands-parents qu’elle avait perdus pour le pays au cours de la Guerre de Libération nationale. Ils étaient fauchés très jeunes par l’armée coloniale en toute impunité et sans pitié envers les militants, les hommes et les femmes qui ont choisi de vivre libres ou prêts à mourir pour le principe. C’est une militante et une fille de chouhada (martyrs) et les gènes qui circulent dans son corps sont les gènes de ceux qui condamnent l’injustice et qui ne courbent pas l’échine devant l’imposteur et le colon inculte. Elle parle des grands thèmes libérateurs. «Ma plume, souligne-t-elle, est celle d’une Algérienne qui se bat contre l’oubli, qui glorifie le passé de ses martyrs et qui vénère toute goutte de sang donnée pour mon pays qui est : «Mon grand amour». Je me bats au quotidien pour dénoncer les injustices, me libérer de la chape sociétale et faire ressortir les interdits qui accablent la femme dans le monde. Après avoir tué mes mots, cassé ma voix, il fallait garder juste, leurs souvenirs en moi. Le silence était mon maître. Ai-je le choix ? Douleur, es-tu chemin du mal ou de la foi ? La mort des mots ensevelis par le regard florissant, renaissent en beauté pour le savoir, ai-je continué à chuchoter».
Mais cela ne l’empêche pas de parler de l’amour parce qu’elle en est remplie, au sens large du terme. Elle est tendre et sensible. Elle parle de l’amour du pays, l’amour du passé honorable, l’amour de l’autre et l’amour humain. Sinon comment serait-elle devenue la poète ? Elle met en relief dans ses vers pleins de vie, la déception de l’être humain qui fournit un effort considérable pour pleurer et se relever pour relever les défis et continuer sa marche. C’est aussi une auteure et surtout une femme qui sait se donner une énergie positive et très souvent ne voit que le côté positif des choses pour ne pas perdre l’espoir. Elle a lu le verset coranique où Dieu ordonne aux croyants de ne pas se laisser aller au désespoir. Un désespéré est un renégat qui se croise les bras et se laisse aller pour se laisser ensevelir par les problèmes.
De temps en temps, Keltoum regarde dans son rétroviseur, pour ne pas oublier son histoire, le passé de son peuple et arrive à être fière des us et coutumes de sa culture ancestrale. Elle souligne avec force et affirme dans toutes les arènes nationales et internationales : «Qu’il y a des sujets qu’une femme ne peut taire. Les thèmes qui ont prédominé mes dix recueils sont des sujets parfois interdits, dit-elle, souvent cachés par la honte ou la peur des représailles, alors moi je les ai pris comme cheval de bataille : la violence faite aux femmes, surtout. J’ai contribué à l’élaboration d’une anthologie internationale «la poésia contro il Feminicidio», la poésie contre le «feminicide», édité en Italie où on a traduit ma poésie en italien. Les non-dits des femmes.» Elle sait que Dieu est Clément et Miséricordieux et qu’il a mis à l’honneur l’homme et la femme, ensemble. Il leur a donné ordre de vivre dans l’harmonie et l’amour et le respect. Comment peut-elle être pour la violence dont est victime la femme ? Elle condamne toutes formes de violence de toutes ses forces et la dénonce. Elle sait par ses vers, arriver à sensibiliser. Elle fournit des efforts considérables pour persuader les hommes à ne pas violenter leurs femmes et suivre l’exemple de leur prophète, dans le domaine.
Keltoum Deffous est une auteure authentiquement algérienne et engagée. C’est une poétesse algérienne d’expression française, auteure d’une dizaine de recueils de poésie dont quatre primés.
– Prix Blaise Cendrars, section francophonie à Pau 2017
– Lauréate du de Prix de La Paix au jeu floraux méditerranéens de Narbonne en France 2017
– Lauréate du Prix Gênet d’Or aux jeux floraux de Perpignan 2018 Prix Amavica 2018 pour la poésie de l’Amour Keltoum Deffous, épouse Bounah, poétesse algérienne d’expression française.
Lorsqu’on lui pose la question pourquoi elle écrit et se donne tant de mal, elle affirme solennellement: «J’ai fait de ma poésie, un chemin royal. Un sentier à frayer dans tous les interdits et les non-dits vers la dignité et la liberté des femmes. Ce qui fait de mon écriture une fois encore une écriture engagée. Une écriture de combat afin d’extirper des entrailles des femmes, leurs douleurs, leurs inquiétudes, leurs espoirs et désespoirs, leurs frustrations, leurs pleurs, leurs complaintes et combien est grande notre sensibilité de femmes blessées. J’ai envie qu’elles expriment leurs joies au grand jour sans contraintes et sans craintes. Je suis née sur une des collines sur les rives d’une rivière». Toutes les femmes, même celles qui sont heureuses, se reconnaissent en Keltoum et en ses vers qui ne laissent pas insensibles. Nous avons présenté Keltoum dans un article engagé aussi, tout comme son écriture, pour la faire connaitre du grand public en nous éloignant d’une biographie typiquement académique et ennuyeuse. Nous avons compris et senti que les œuvres de Keltoum sont une force permanente et nous espérons qu’on puisse poursuivre son but et suivre son exemple. Keltoum Deffous ne peut vivre que lorsque qu’elle a le dos raide, pour affirmer humblement sa fierté et sa féminité, et les bras ouverts pour accueillir les personnes de bonne volonté. Keltoum prend tes lecteurs et ceux qui croient en toi vers tes champs fleuris et vers ton printemps.
Non ! Mon histoire ne se noie pas
Keltoum Deffous
Mon histoire, sur une toile, accrochée au mur
Elle raconte aux passants amnésiques
D’une main de maître, d’un pinceau magique
La saga d’une résilience et une affliction dure
Histoire vivante, s’écrit dans le ciel, ô bel azur
Sur ses airs, j’ai appris à danser à pas sûrs
Sur le toit de mon âme rouge sang, ma masure
Mes chansons flammes, mes rêves miniatures
À la belle étoile, au zénith, rendez-moi mon futur
Je ne voudrais pas le ramasser en détritures
Mon présent est gémissements de mes écritures
À mon passé, inventrice, mes aînés qui se turent
J’ai pris leurs tourments des losanges sur les murs
Des fils de laines et pinceaux pris de leurs chevelures.