La pause du weekend devrait permettre aux marchés de reprendre leur souffle, mais l’onde de choc provoquée par la chute brutale vendredi 11 août de la livre turque, alimentée par la crise entre Ankara et Washington, suscite l’inquiétude internationale, notamment dans le secteur bancaire.
Le président Recep Tayyip Erdogan a affirmé qu’il sortirait vainqueur de cette « guerre économique », en réaction à l’annonce de son homologue américain Donald Trump de la hausse des taxes à l’importation sur l’acier et l’aluminium turcs, désormais de 50% et 20% respectivement. La devise turque, qui a perdu près de la moitié de sa valeur face au billet vert depuis le début de l’année, a enregistré une baisse vertigineuse jusqu’à des plus bas historiques. Elle s’échangeait à 6,43 livres pour un dollar à la clôture vendredi de Wall Street, soit une baisse de 13,7% après avoir perdu jusqu’à 24% au cours de la journée. La crise turque a envoyé une onde de choc planétaire, entraînant dans son sillage les principales Bourses européennes qui ont toutes clôturé dans le rouge, touchant particulièrement le secteur bancaire.
La crainte d’une « crise des devises émergentes »
La chute de la livre « montre que les investisseurs sont de plus en plus inquiets de l’imminence d’une crise monétaire totale », a souligné dans une note David Cheetham, analyste chez XTB. « Les préoccupations du marché à l’égard de la livre sont liées aux inquiétudes quant à un possible effet de contagion, en d’autres termes une crise des devises émergentes », a expliqué de son côté Patrick O’Hare, de Briefing. »Il y a des craintes que les marchés européens soient plus exposés que prévu au choc turc », a observé pour sa part Jameel Ahmad, analyste pour FXTM. Mais pour Christopher Dembik, responsable de la recherche économique chez Saxo Banque, « il n’y a pas de risque systémique ». « J’ai vu quelques commentaires soulignant que l’on commence à avoir aujourd’hui des tensions sur les monnaies émergentes, mais soyons francs: c’est anecdotique », a-t-il affirmé à l’AFP.
Erdogan appelle à la « lutte nationale »
« La dynamique est propre à la Turquie », a jugé de son côté William De Wijlder, chef économiste chez BNP Paribas, interrogé par l’AFP. « Ici, c’est propre à un pays individuel, ce qui veut aussi que cela peut se calmer, pour autant que le pays finisse par prendre les mesures qui s’imposent ». Face à cette déroute, M. Erdogan, qui fait face à l’un de ses plus difficiles défis économiques depuis son arrivée au pouvoir en 2003, a appelé ses concitoyens à la « lutte nationale » en échangeant leurs devises étrangères pour soutenir leur monnaie. »Si vous avez des dollars, des euros ou de l’or sous votre oreiller, allez dans les banques pour les échanger contre des livres turques. C’est une lutte nationale », a exhorté M. Erdogan dans un discours à Bayburt (nord-est).
La politique économique d’Erdogan dans le viseur
Les marchés s’inquiètent des orientations de la politique économique de M. Erdogan, la banque centrale turque rechignant à relever ses taux pour soutenir la livre et réguler une inflation qui a pourtant atteint près de 16% en juillet en rythme annuel. Nombre d’économistes estiment qu’une hausse massive des taux est incontournable, mais M. Erdogan, qui a un jour qualifié les taux d’intérêt de « père et mère de tous les maux », y est fortement hostile. Visiblement soucieux d’envoyer des signaux positifs aux marchés, le nouveau ministre des Finances Berat Albayrak, qui est également le gendre du chef de l’Etat turc, a insisté sur l' »importance » selon lui de l' »indépendance de la banque centrale » turque.
Contre Trump, le resserrement Turquie-Russie
Cet effondrement qui pousse la Turquie vers une crise monétaire survient sur fond de fortes tensions diplomatiques entre Ankara et Washington. Ankara a ainsi averti que « le seul résultat » des sanctions américaines « est d’affecter nos relations d’alliés », selon un communiqué du ministère des Affaires étrangères. « Comme toutes les mesures prises contre la Turquie, elles trouveront leur réponse », a ajouté le ministère, précisant que la décision « ignorait » les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La devise turque connaît une érosion inexorable depuis plusieurs années, mais l’hémorragie s’est aggravée ces derniers jours en raison de la grave crise diplomatique avec les Etats-Unis, liée à la détention en Turquie d’un pasteur américain accusé d’espionnage. Comme un symbole, la présidence turque a annoncé peu après l’annonce de Donald Trump que M. Erdogan avait eu un entretien téléphonique avec son homologue russe Vladimir Poutine, ajoutant que les deux dirigeants avaient notamment parlé Syrie et échanges commerciaux.