Tourisme et environnement en Algérie /  Entre discours et réalité

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Ce weekend, les autorités nationales ont fêté la journée mondiale du tourisme. Du discours à la publicité on ne cesse de vanter nos paysages afin d’appâter les touristes nationaux d’abord,  étrangers ensuite. Hélas, et cela se confirme chaque année : la destination Algérie est boudée.

Cet état de fait, s’il relève partiellement de l’insécurité qui règne encore quelque peu, il est dû essentiellement à une inadéquation totale de nos structures d’hébergement, à la cherté des produits proposés, la médiocrité des services, la saleté de l’environnement et les graves atteintes à la nature, pour ne citer que ces aspects. Lorsqu’on sort des bureaux des décideurs et qu’on prend la peine de séjourner dans nos sites touristiques, les aberrations prennent vite le dessus. Loin de voir dans la rose que ses épines, les actes tendent sur le terrain de tourner le dos aux évidences, et les premiers à enfreindre la loi sont ceux-là même censés veiller à son application. En pleine région algéroise, à Sidi Fredj par exemple, on drague la passe du port et on jette son sable pourri par camions juste à coté en pleine magnifique plage rocheuse, sans vergogne, faisant fi des règles juridiques minimum. Mitoyen à ce même port, sur le sable de la belle plage Est s’érige la carcasse d’un hôtel privé totalement « clandestin », appartenant dit on à un baron. A Jijel par exemple, et à l’image de la fameuse rocade d’El Kala, les passes- droits sont mis en avant. Les pouvoirs publics piétinent les lois qu’ils décrètent et les conventions internationales qu’ils ratifient. Les estivants qui affluent ces jours-ci de partout sur cette côte du saphir, près de la Grotte Merveilleuse, ne se doutent pas du massacre de ce paradis qui se prépare en haut lieu. A travers une forêt peuplée de grands arbres, la rivière de Dar El Oued coule et chantonne sur son large lit. De temps à autre, de petits groupes de jeunes de Bordj Bou Arreridj, d’Alger ou de Constantine – laissant derrière eux pour un moment la vaste plage de sable fin qui s’étale à son embouchure et la grotte touristique qui la surplomb – viennent la longer et gouter à son charme. Dans les années 1980, de nombreux campeurs s’installaient le long de la rivière. Les téméraires la remontaient très loin par les falaises encaissées, jusqu’à la mechta de Chréa. La fraicheur, la végétation fournie, avec des lianes pendantes, et les nombreux animaux, offrent un dépaysement total aux familles qui viennent déambuler en sécurité. Quelques petits vendeurs de friandises bousculent les habitudes de 3 groupes distincts de singes éparpillées sur un kilomètre. Ces primates se laissent approcher sans crainte, tout en transportant leurs nouveaux nés. Comme pour confirmer sa vocation d’unique aire naturelle de peupliers noirs d’Algérie, des sujets se dressent majestueux ça et là. D’autres espèces d’arbres rares comme l’érable optus qui donne de bonnes régénérations, l’aune et l’orme, accentuent l’envoutement en bruissant sous les caresses du vent. Des grenouilles croissent parmi les coups de nageoires de 4 espèces de poissons. Partout où l’on se déplace, la symphonie de cette vallée nous envahit de toutes parts.

Ôtez-moi ce havre que je ne le vois !

Cette zone humide offre un tel intérêt biologique que la direction du parc national de Taza a présenté un dossier pour son classement en tant que site universel protégé. Mais les autorités de Jijel ne l’entendent  pas de cette oreille. Loin de soutenir cette proposition, ils ont préféré plutôt transformer  ou précisément noyer ce joyau pour en faire un barrage ! Et pourtant, l’un des premiers magistrats de cette contrée avait souligné, en présence des représentants étrangers et nationaux chargés de la préservation de la nature « Il n’y a qu’une nature dans le monde. L’être humain n’est qu’un élément pouvant être positif ou négatif. Notre choix est de vivre dans une nature saine et surtout pérenne. Jijel a une biodiversité importante mais fragile, préservons ce qui existe ». Ce discours semble finalement s’adresser à la consommation externe. De gros engins peuvent du jour au lendemain déraciner cette forêt unique au monde, sous les cris des singes et déverser du béton. Auront-ils le dernier mot ?

Une autre épée de Damoclès est également suspendue au dessus de tout le site de Dar El Oued. C’est la programmation d’une zone d’expansion et de site touristique de 88 ha. Elle englobera l’oued et tous ses alentours, les contours de la grotte merveilleuse, l’ensemble de la baie de part et d’autre des deux caps et s’étendra sur la montagne. Du béton et encore du béton en perspective – à l’image de nos complexes touristiques côtiers des années 1970 – dans une contrée féerique protégée par la France coloniale dés 1923 !

Les prémisses de défiguration du potentiel touristique ont déjà ouvert la brèche. Un pont hideux, reliant le récent tunnel mis en service et dédoublant l’ancien pont artistique de 1905 ont dénaturé le paysage. Les installations en dur (deux annexes du récent tunnel et une station de pompage communale) viennent d’être greffées sur la rive de l’oued, sans tenir compte du minimum d’adaptation au milieu. Souvent ils ronflent d’une manière assourdissante, en accord avec la pollution sonore des hauts parleurs du tunnel qui diffusent de la « musique ». Par ailleurs, des dizaines d’hectares de forêts alentours ont été brulés volontairement, sans que cela n’émeuve. Le monde féerique de Jijel se dégrade ces temps-ci à vive allure. Est-ce la mort programmée de ce site  avec ces jours ci l’interdiction de l’accès à la plage d’El Aouana en shorts et bermuda ?Cette situation fait rappeler les sages réflexions d’Henri Laborit, chirurgien et chercheur en biologie des comportements « Comment peut-on agir sur un mécanisme si on ignore son fonctionnement ? Mais évidemment, ceux qui profitent de cette ignorance, sous tous les régimes, ne sont pas prêts à permettre la diffusion de cette connaissance. Surtout que le déficit informationnel, l’ignorance, sont facteurs d’angoisse et que ceux qui en souffrent sont plus tentés de faire confiance à ceux qui disent qu’ils savent, se prétendent compétents, et les paternalisent, que de faire eux même l’effort de longue haleine de s’informer ».

 Les repères phares du tourisme respectueux mondial

 Il y a plus de 30 ans, l’organisation mondiale du tourisme(OMT) a adopté à Manille, une déclaration spéciale sur le tourisme mondial. Certes, depuis, d’autres déclarations, chartes et codes ont vu le jour ça et là. Mais cette déclaration demeure néanmoins historique. L’OMT, dont l’Algérie est membre auprès de 150 autres pays qui la compose énonce certains principes de base. On y retrouve au premier point, en tant que rôle central et décisif, le principe d’encourager le développement du tourisme durable. En d’autres termes, cette activité lucrative ne doit en aucun cas se développer au détriment des patrimoines naturels des nations. Il est clair que cette déclaration de bonne intention est difficile à se concrétiser face aux appétits commerciaux. D’où la nécessité permanente des luttes pour la concrétiser. Par ailleurs, cette déclaration souligne que le développement de ce tourisme durable doit être accessible à tous. Ainsi, il lui est assigné des objectifs de contribution au développement économique, l’entente internationale, la paix, la prospérité et le respect universel des droits de l’homme et des libertés fondamentales. C’est cet esprit que tente d’insuffler aux quatre coins de la terre – particulièrement les pays en développement – cet organisme, qui est en fait l’un des instruments des nations unis. L’OMT sert également de « catalyseur favorisant les transferts de technologie et la coopération internationale, en stimulant et en développant les partenariats entre les secteurs public et privé et en encourageant la mise en œuvre du Code mondial d’éthique du tourisme, pour que les pays membres, les destinations et les entreprises touristiques maximisent les effets économiques, sociaux et culturels positifs du tourisme et profitent pleinement de ses avantages tout en réduisant au minimum les répercussions négatives sur la société et l’environnement. » Il est judicieux de rappeler que cette organisation – au delà des pays qui la composent et qui sont répartis en sept territoires – compte au sein de ses rangs 300 membres affiliés représentant le secteur privé, établissements d’enseignement, associations de professionnels du tourisme et des autorités touristiques locales.Les dernières plus importantes déclarations des nations unis dans ce domaine, ont mis justement l’accent sur la  nécessité de la sensibilisation à la relation étroite entre le développement du tourisme, la conservation de la biodiversité et la réduction de la pauvreté. Ainsi, M. Zurab, le secrétaire général de l’OMT a comme ses prédécesseurs déclaré « Le tourisme et la diversité biologique  dépendent l’un de l’autre. L’OMT souhaite sensibiliser davantage les acteurs du tourisme et les voyageurs eux-mêmes, et les engager à partager la responsabilité qui incombe au monde entier de sauvegarder le réseau complexe des espèces et écosystèmes uniques qui compose notre planète ».

Exemples et contre-exemples

 Les clubs de vacances en bordure des rivages au Maroc, Tunisie, Espagne, Côte d’Azur, Croatie, Bretagne et Seychelles semblent séduire les magnats de l’argent. Ces modèles touristiques méditerranéens se sont avérés avec le recul, de véritables contre-exemples. Aux positions des environnementalistes et autres défenseurs du développement durable on oppose souvent l’analyse qui considère l’environnement comme un bien de luxe au même titre que le tourisme. De telles répliques ne sont généralement guidées que par le gain qui les sous-tend. Car il a été maintes fois vérifié que les touristes respectueux, ne sont pas en quête de contrées polluées par le béton et autres saletés. L’exemple le plus convaincant en Algérie est celui du Hoggar et du Tassili qui attirent le plus d’étrangers. Finalement, le développement du tourisme mondial, utilisé à bon escient, peut se révéler comme un encouragement à la protection de l’environnement. Les régions touristiques ont donc intérêt à préserver et développer leurs atouts naturels. Cela suppose évidemment que la République donne l’exemple et non pas comme c’est aujourd’hui le cas, excelle dans l’ouverture des brèches en édifiant des installations de dessalement d’eau de mer et de zones d’expansion touristique en plein rivage, avec en sus l’art de contourner l’esprit – si ce n’est pas la lettre – des lois, au nom de « l’urgence et l’utilité publique ».

Rachid Safou.