Face aux nouveaux enjeux mondiaux et aux tensions internes budgétaires et sociales, s’impose un discours de vérité l, évitant des modèles de politique économiques périmés des années 1970/1980/2000. Souhaitons pour le devenir de l’Algérie, pays, à fortes potentialités une adaption aux nouvelles mutations en évitant cinq mythes, pratiques du passé.
Premier mythe : Un développement sans bonne gouvernance
Le fondement du développement au XXIe siècle repose essentiellement sur la bonne gouvernance, donc la moralisation de ceux qui dirigent la cité et la valorisation du savoir. Les scandales financiers mis en plein jour, ayant existé par le passé mais de moindres dimensions, relatés ces dernières années, montrent clairement que certains dirigeants n’étaient pas mus par les intérêts supérieurs du pays. Or, sans un retour à la confiance et la moralité des dirigeants, cette société anémique comme l’a mis en relief le grand sociologue maghrébin Ibn Khaldoun, il est illusoire de parler de développement et d’un Front intérieur poudrant indispensable en faveur des réformes qui seront douloureuses à court terme mais porteuses d’espoir à moyen terme afin d’éviter des incidences négatives politiques, économiques, sociales et sécuritaires.
Les recettes en devises entre 2000/2021 ont dépassé les 1100 milliards de dollars avec une sortie de devises en biens et services de plus de 1050 (le solde étant les réserves de change) avec un taux de croissance dérisoire qui a fluctué entre 2/3% alors qu’il aurait dû être de 9/10%. Avec la pression démographique, il faudra créer 350 000/400 000 emplois par an (productifs non dans l’administration) qui s’ajoute au taux de chômage actuel, (plus de 14%).
Le dernier recensement du ministère du travail fin 2022 pour les moins de 40 ans donne 2 millions inscrits au chômage, soit pour une population active en 2022 d’environ 12,5 millions, ce taux est de 16% et si on ajoute la tranche 40/60 ans ce taux va vers 20% sans compter les sureffectifs dans les administrations et les entreprises publiques. Oui, il faut dire la vérité la situation sociale est préoccupante à l’instar de bon nombre de pays dans le monde du fait de la crise actuelle. La croissance se calculent par rapport à la période précédente, un taux de croissance négatif en To par rapport à un taux de croissance positif en T1 donne une croissance cumulé faible. En ce mois de janvier 2022, nous avons un tissu productif interne privé et public, peu performant, le taux d’intégration ne dépassant pas 15% où selon l’ONS plus de 80% du tissu économique est constitué d’unités personnelles ou de petites SARL peu innovantes. Il est utopique de créer comme annoncé par certains responsables 2 millions d’entreprises par décrets, soit pour dix emplois par entreprises la création entre 10 et 20 millions d’emplois, une chimère. Comme ces déclarations, démontrant une communication institutionnelle non adaptée des années 1970/1980 avec l’effritement du système d’information, accentuant le divorce Etat-citoyens, que les réformes auraient commencé alors que la majorité des experts sérieux s’accordent à dire que les véritables réformes sont encore en chantier.
Deuxième mythe : le retour au monopole
Le monopole qu’il soit public ou privé, beaucoup plus néfaste et c‘est une loi économique est source de surcoûts et d’inefficience économique favorisant les relations de clientèles et la corruption, une saine concurrence permettant de libérer les énergies créatrices renvoyant au concept de liberté économique. Certains responsables formatés par l’ancienne culture bureaucratique rentière veulent revenir au monopole, confondant régulation avec restriction aveugle des importations, créant des pénuries et donc favorisant l’extension de la sphère informelle qui s’adapte à une demande comprimée, l’amélioration de la balance commerciale, pour 2021 /2022 ne relèvent pas toujours d’une bonne gestion mais de la réduction drastique des importations qui ont paralysé bon nombre de secteurs. C’est comme dans un ménage où la réduction de la nourriture entraîne des maladies sur le corps social. Le taux de croissance du produit intérieur brut PIB algérien dépend fondamentalement via la dépense publique de l’évolution du cours des hydrocarbures qui détermine à la fois le taux de croissance, le taux d’emploi et les réserves de change. L’Algérie ne peut continuer à fonctionner sur la base d’un cours supérieur à 100 dollars le baril, où selon le FMI le cours budgétaire inscrit dans les différentes lois de finances 40, 50 dollars ou 60 étant un artifice comptable, le prix d’équilibre était estimé de 104,6 dollars en 2019 et à plus de 110 dollars pour les lois de finances 2021/2023. Malgré ces tensions, le gouvernement a maintenu les transferts sociaux budgétisés, comme acte de solidarité, la loi de finances 2022 ayant affecté 1942 milliards de dinars, ce qui représente 1/5 du budget de l’État, soit 19,7% du budget, et l’ensemble des transferts sociaux sont estimés par la loi de finances 2023 à plus de 5000 milliards de dinars soit au cours de 137 dinars un dollar plus de 36 milliards de dollars. Ces transferts, à l’avenir devant être ciblés pour les plus démunis, mais devant reposer sur un système d’information fiable tenant compte de la sphère informelle
Troisième mythe : des solutions monétaristes par la dévaluation du dinar pour dynamiser les exportations hors hydrocarbures
La théorie économique classique, démentie par la réalité de bon nombre de pays du tiers-monde, enseigne que toute dévaluation d’une monnaie encourage les exportations. Or, le cours du dinar est passé à 5 dinars un dollar vers les années 1970 à 116 dinars un dollars en 2019, approchant les 145 dinars un dollar depuis le
1er mars 2023, avec un cours sur le marché parallèle de 224 dinars un euro, et toujours directement et indirectement avec les dérivées inclus dans la rubrique hors hydrocarbures, les exportations 98% des entrées en devises, montrant que le blocage est d’ordre systémique. La dépréciation du dinar par rapport au dollar et l’ euro a eu pour but essentiel de combler artificiellement le déficit budgétaire, non articulé à un véritable plan de relance économique et donc assimilable à un impôt indirect que supporteront les consommateurs algériens. Cette cotation du dinar est donc fortement corrélée au niveau de production et productivité et dans une économie rentière aux réserves de change qui ont évolué du 1er janvier 2014 à 194 milliards, 62 au 31/12/2019 à 48 au 31/12/2020 et à environ 60 au 31/12/2022. Dans ce cadre, il s’agira d’éviter d’appliquer des schémas de pays développés comme le financement non conventionnel où les recettes keynésiennes de relance de la demande globale applicables à une économie productive structurée, alors que l’Algérie souffre de rigidités structurelles et de la faiblesse de l’offre. En Algérie domine la sphère informelle qui contrôle plus de 50% de l’activité économique, hors hydrocarbures et plus de 6000 milliards de dinars circulant hors banques où faute de la compréhension du fonctionnement de cette sphère claire l’on croit combattre par des actions bureaucratiques, expliquant tous les échecs de cette intégration (voir le poids de la sphère informelle et ses incidences géostratégiques au Maghreb étude du professeur Abderrahmane Mebtoul réalisée pour l’Institut français des relations internationales IFRI-Paris décembre 2013 et revue stratégie du Ministère de la défense nationale IMDEP octobre 2019).
Quatrième mythe : l’exportation des matières premières brutes comme facteur de développement
Aucun pays ne s’est développé grâce aux matières premières y compris l’or, mais grâce au savoir, une diplomatie n’étant forte que si l’économie est forte, ce qui explique le succès au XXIe siècle de la Chine. Après avoir épuisé ses stocks d’or, avec la découverte de Christophe Colomb, l’Espagne a périclité pendant plusieurs siècles où en 1962, l’Algérie était plus développée. Et c’est ce qui attend les pays producteurs d’hydrocarbures qui ne vivent que grâce à cette rente, où actuellement, les recettes additionnelles surtout pour les pays à fortes populations suffiront à peine pour importer les biens alimentaires dont les prix risquent de doubler, voire de tripler. Aussi se pose le seuil de rentabilité où les responsables doivent maîtriser la gestion des projets évitant de livrer des données contradictoires, sur les capacités, le montant en dinars et en devises de tout projet, et la rentabilité effective. Un seul exemple à travers les annonces de l’APS concernant bon nombre d’autres départements ministériels, l’exploitation du fer de la mine de Gara Djebilet, projet datant de 1974, des dizaines d’études réalisés ayant coûté des dizaines de millions de dollars sans résultats pour l’instant, où les réserves sont estimées à 3,5 milliards de tonnes, dont 1,7 milliard de tonnes sont exploitables avec une teneur de 58,57% de fer mais ne devant pas pas confondre les réserves prouvées de fer avec les gisements exploitables rentables, selon les vecteurs coûts/prix et la concurrence internationale. Des responsable :du ministère de l’Industrie en février 2008 à la télévision algérienne repris par l’APS annonce que le coût du projet de Gara Djebilet avec toutes les annexes est de 15/16 milliards de dollars.
En Conseil des ministres courant 2011 on annonce entre 8/9 milliards de dollars; en date du 11 juin 2020, le ministre de l’Industrie avec le projet du phosphate donne le montant de 16 milliards de dollars. Seulement pour le fer de Gara Djebilet, il faudra tenir compte du fort taux de phosphore 0,8% alors les normes internationales donnent 0,1% pour pouvoir être commercialisé, du coût et du vecteur prix au niveau international. Le 04 mars 2023 , le cours moyen du fer, très fluctuant en Bourse, est en moyenne à 100 dollars la tonne . Si on prend ce montant, en se limitant à l’exportation du fer brut, pour une exportation brute de 30 millions de tonnes, prévu par le gouvernement en 2025, nous aurons un chiffre d’affaires de 3 milliard de dollars. Ce montant c’est le chiffre d’affaire et non le profit net auquel on doit soustraire les coûts très élevés représentant environ 50% du chiffre d’affaires, soit 1,50 milliards de dollars, à se partager, selon la règle 51/49, avec le partenaire étranger restant à l’Algérie pour le profit net 750 millions de dollars. Pour avoir une plus grande valeur ajoutée, il faut produire l’acier et l’inox par exemple où le cours de l’acier est de 750 dollars la tonne et l’inox 3400 dollars la tonne. Il faut donc descendre à l’aval de la filière, mais nécessitant des investissements lourds et à rentabilité à moyen terme. En se limitant aux exportations de matières premières brute sous et mi brutes, il n’ y a pas de rente et donc, seule la transformation en produits nobles peut procurer une valeur ajoutée plus importante à l’exportation, mais nécessitant d’importants investissements et des partenaires étrangers, un contrat définitif et non des lettres d’intention qui n’engagent nullement les étrangers. C’est que l’exploitation du fer de Gara Djebilet dont les études datent depuis 1970/1974 au moment où j’étais jeune conseiller du ministre de l’Industrie et de l’Énergie de 1973/1979, nécessitera de grands investissements des réseaux de transport, dont le ferroviaire , une utilisation rationnelle de l’eau, avec des besoins de 3 millions de mètres cubes par an, celle de l’énergie en mobilisant le gaz naturel et comme pour les unités sidérurgiques en général, résoudre le problème du prix de cession du gaz qui est cédé au niveau local à environ 10% du prix international, constituant une subvention et donc une perte pour le Trésor public et des réseaux de distribution qui fait défaut du fait l’éloignement des sources d’approvisionnement, tout en évitant la détérioration de l’environnement, les unités comme pour le phosphate étant très polluantes.
Cinquième mythe : le développement des stars-up sans base économique, la privatisation, la démonopolisation et le partenariat public privé PPP, facteur de développement, sans visions stratégique
L’expérience des pays développés montre que la rentabilité des star-up est fonction d’institutions et d’entreprises performantes et sans cela certains génies algériens vendront leurs découvertes à l’étranger. Car, le tissu économique algérien est composé selon l’ONS à plus de 80% d’entreprises familiales, de petites SARL, peu innovantes. Évitons de renouveler les expériences négatives de l’ANSEJ que selon un rapport officiel 2022, plus de 70% des projets, des jeunes promoteurs, sont en difficultés ou en faillite, ne pouvant pas rembourser les emprunts bancaires. Comme le développement des start-up nécessite un fort débit d’internet qui fait cruellement défaut et leur succès dépend de la 5G afin de maîtriser de l’intelligence artificielle, non encore mise en place.
Par ailleurs, existent une confusion entre privatisation totale, partielle, démonopolisation et partenariat public privé. La privatisation est une cession d’actifs; la démonopolisation est l’investissement du secteur privé national et étranger dans des projets nouveaux et le partenariat public-privé PPP s’appliquant surtout aux infrastructures, où l’Etat reste le maître d’œuvre. Ces trois processus complémentaires, éminemment politiques afin que l’Etat se consacre à son rôle de régulateur ne peuvent avoir des chances de succès que s’ ils s’insère dans le cadre d’une cohérence et visibilité de la politique socio-économique globale, que si elle s’accompagne d’un univers concurrentiel et un dialogue soutenu entre les partenaires sociaux. Pour les PMI/PME si le projet entre en production en 2022, la rentabilité ne se fera qu’au bout de deux à trois ans et projets hautement capitalistiques, sous réserve de la résolution des problèmes techniques de financement, le seuil de rentabilité ne se fera pas avant trois ans soit 2027/2028, le retour de l’investissement dépendant du coût final du projet et de sa capacité à exporter du fait du marché étroit de l’Algérie.
En résumé, la situation actuelle au niveau mondial préfigure d’importantes mutations géostratégiques mondiales, politiques, économiques, sociales et sécuritaires où le monde ne sera plus jamais comme avant. Mais cette situation n’est rien face aux impacts du réchauffement climatique qui risque de bouleverser toute la planète avec la guerre pour l’eau donc posant le problème de la sécurité alimentaire, et la nécessaire adaptation à la transition numérique et énergétique. Pourtant en ce mois de mars 2023, malgré les discours de sinistrose, l’Algérie, n’est pas en faillite, car elle a plus de 60 milliards de dollars de réserves de change qu’il s’agit de transformer en richesses réelles. C’est un pays à fortes potentialités et acteur stratégique de la stabilité du bassin méditerranéen et africain qui est encore debout grâce aux patriotes honnêtes qui constituent l’immense majorité des entrepreneurs, des travailleurs et des cadres dirigeants, mais devant éviter les errements du passé par la mobilisation de toutes les énergies créatrices sous-tendue par une nouvelle gouvernance et la valorisation du savoir.
- M.