Le grand problème de l’Algérie est la maîtrise des projets où selon les données officielles du Premier ministère fin 2021, les assainissements des entreprises publiques ont coûté au Trésor public les trente dernières années 250 milliards de dollars (dinars plus devises) et les différentes réévaluations durant les dix dernières années entre 60/70 milliards de dollars selon les fluctuations des cours avec un impact sur les coûts, donc sur le processus inflationniste et les sorties de devises avec une croissance dérisoire par rapport aux dépenses.
Pour une autoroute Est-Ouest, comment ne pas rappeler que l’Armée nationale populaire a pu réaliser, au moment où j’ai eu l’honneur d’être l’officier d’administration de la route de l’Unité africaine axe Ghardaïa-Aïn Salah via El Goléa des réalisations aux normes internationales avec des coûts compétitifs. Comment, dès lors, expliquer le coût de cet axe qui est passé d’un coût initial prévu de 7 milliards de dollars, à plus de 15 milliards de dollars en 2015 selon la déclaration du Premier ministre de l’époque et qui se terminerait avec toutes les annexes à environ 20 milliards de dollars renvoyant à la faiblesse du management stratégique qui concerne bon nombre de secteurs ?
1-Le Premier ministre a présidé, le 15 février 2023, une réunion du gouvernement où le ministre des travaux publics, de l’hydraulique et des infrastructures de base a présenté une communication portant sur la situation des projets autoroutiers, l’état d’exécution, les conditions d’achèvement et de mise en service des stations de péage de l’autoroute Est Ouest. En rappelant qu’après de vifs débats le gouvernement vers les années 2000, a opté pour le financement intégral par l’Etat pour l’autoroute Est-Ouest ayant écarté la formule du BOT où, après plusieurs années, il a été constaté plusieurs dépassements, des comportements frauduleux et des pratiques malsaines. A l’avenir, les responsables doivent mentionner le coût final du projet de l’autoroute Est-Ouest en distinguant la partie devises et la partie dinars en référence aux normes internationales comparables, pour éviter toutes supputations nuisibles au pays, les responsables devant donner le coût exact de fin 2022 à fin 2023. Ayant eu à analyser ce dossier, je n’ai pas attendu ces constats récents où en 2008, (voir – A. Mebtoul www.google.com 2008- 2010 ), où j’avais attiré l’attention des pouvoirs publics sur les coûts exorbitants. Concernant le péage selon différents ministres (source APS), il devait se faire en 2015, puis en 2018, puis en 2020, puis en avril 2022, puis en juin 2023 et maintenant selon l’agence APS, les travaux vont être finalisés au début de 2024 Quant à la réalisation de 24 liaisons autoroutières permettant de relier les chefs-lieux de wilayas et les ports, totalisant environ 3.249 km, des dispositions vont être prises pour la priorisation de chaque pénétrante de manière à les livrer le plus tôt possible, et de mettre à disposition les fonds nécessaires pour les finaliser et les livrer. Cependant, il faudra répondre à trois questions pour le péage : faut-il instaurer sur les 1 216 km de l’autoroute ou sur les tronçons les plus usités; faut-il confier l’exploitation de l’AEO à une entreprise étrangère combinée avec des opérateurs algériens et à quel montant fixer le péage ? Certaines études penchent pour un tarif de 1,2 DA du kilomètre qui financerait uniquement l’entretien courant et la sécurité de l’ouvrage. Mais ce tarif serait faible si l’on prend l’amortissement de l’autoroute, certains préconisent 2 DA le kilomètre.
2-L’autoroute Est-Ouest n’a pas modifié le paysage routier national puisqu’elle a pour l’essentiel suivi le tracé des nationales 4 et 5, qui rallient Alger à Oran et Alger Constantine. En revanche, elle a bouleversé la vie économique des 19 wilayas directement traversées et des 24 desservies. Onze tunnels devaient être percés sur deux fois trois voies et 390 ouvrages d’art réalisés, dont 25 viaducs, pour joindre les frontières tunisiennes, à l’Est, et marocaines, à l’Ouest, et réaliser l’autoroute transmaghrébine. Suite à de nombreuses observations, en sus des automobilistes, qui s’étonnaient de voir un tel mégaprojet livré parcimonieusement et de surcroît dépourvu d’équipements annexes comme les aires de repos, les stations-service et les stations de péage, le programme d’équipement consistait en la réalisation de 42 stations-service, 76 aires de repos (motels, aires de stationnement, aires de jeux…), 57 gares de péage, 70 échangeurs et 22 postes de garde de la gendarmerie et autant de points de garde de la Protection civile. On oublie souvent qu’une route s’entretient et selon les normes internationales, cela varie entre 80.000 à 120. 000 dollars. De 7 milliards au début du projet, puis à 9 milliards de dollars, selon les données reprises par l’APS, selon le ministre du secteur (source APS) , la construction de l’autoroute Est-Ouest a été achevée à 85% en 2013 avec un coût fin 2013 de 11 milliards de dollars, puis autre déclaration du ministre du secteur fin 2015, le coût a été arrêté à 14 milliards de dollars. Un Conseil interministériel présidé par le Premier ministre le 24 août 2019 accroît encore le montant à plus de 15 milliards de dollars, montrant la non-maîtrise de la gestion de ce projet et selon certaines estimations internationales, pour fin 2022, le coût du projet serait d’environ de 20 milliards de dollars. C’est que les sous-traitants qui se sont engagés à finaliser certains tronçons n’ont pas terminé dans les délais terminer leur travail, bien qu’ils aient été payés, avant le contrôle final, avec des malfaçons, où aux premières pluies, nous avons assisté à des le délabrements avec du bitume qui se détache, des nids-de-poule qui se creusent et des glissements de terrain qui obstruent les routes. La corruption entachant l’autoroute Est-Ouest a été à l’origine de son état de délabrement avancé. Que l’on visite l’axe d’Est à l’Ouest et l’on constatera des dégradations sur plusieurs dizaines de km et à quel coût ces travaux additionnels ? Ainsi le coût moyen d’un kilomètre de l’autoroute Est-Ouest pour un coût respectif de 7 milliards de dollars, puis 11, puis de 20 milliards de dollars, serait passé en moyenne de 6 millions de dollars le kilomètre, à 9, puis à 16 millions de dollars ? Loin des normes internationales contraintes comprises. En Espagne, au Portugal, au Danemark et en Suède, le coût au kilomètre varie entre 2 et 3 millions de dollars, selon certaines études publiées par des États européens, alors que le coût de revient en France et en Allemagne se situe dans une fourchette intermédiaire de 4 à 6 millions de dollars pour le kilomètre, contraintes comprises. Mais pour des comparaisons, il faut comparer le comptable. En Algérie, tous les facteurs sont favorables. La main-d’œuvre est au moins 10 fois moins chère qu’en Europe ; il n’y a relativement presque pas d’intempéries ; les matériaux utilisés en grande quantité, les agrégats (tuf, sables et graviers) ne coûtent pratiquement que leurs frais d’extraction et le concassage, le carburant est 5 à 7 fois moins onéreux, les loyers, l’électricité et le gaz aussi, les occupations temporaires de terrains qui coûtent des fortunes en Europe ne sont même pas payantes en Algérie lorsqu’il s’agit de terrains relevant du domaine public. Mais il y a des problèmes administratifs et des procédures bureaucratiques sans compter les expropriations et les démolitions qui sont sources de surcoûts. Le guide de management des grands projets d’infrastructures économiques et sociales élaboré par la Caisse nationale d’équipement pour le développement (Cned) et la soumission de toute réévaluation des projets au-delà de 15%, à l’aval du Conseil des ministres, a-t-il contribué à affiner l’action des pouvoirs publics en matière d’efficience des dépenses publiques ?
3-À l’origine de ces surcoûts figurent des études techniques non maîtrisées, des retards nécessitant des réévaluations excessives des coûts, un mode de financement favorisant le gaspillage des deniers publics et la corruption. Cela montre la non-maîtrise du suivi des projets et de la gestion de la dépense publique. Or, tout projet doit montrer clairement la hiérarchie des objectifs, les résultats escomptés par secteur, ainsi que la portée, les indicateurs de performance, les indicateurs des objectifs et des échéanciers précis et enfin l’hypothèse de risques. Or, le contrôle de la qualité de gestion doit avoir pour finalité l’appréciation des conditions d’utilisation et de gestion des fonds gérés par les services de l’Etat, les établissements et organismes publics et, enfin, l’évaluation des projets, programmes et politiques publics où souvent on constate l’absence de maîtrise dans la gestion des projets qui font l’objet de surcoûts et de réévaluations permanentes, d’où la faiblesse de l’impact de ces projets en termes de rentabilité et de retour d’investissements. Les déficiences observées dans le processus budgétaire et les goulets d’étranglement institutionnels ont entraîné systématiquement une mauvaise exécution des programmes d’investissement. Toutes ces insuffisances ont abouti à une mauvaise programmation, à la surestimation des dépenses et à de longs retards dans la réalisation Parmi les carences importantes observées dans ce registre, le décalage entre la planification budgétaire et les priorités sectorielles, l’absence d’interventions efficaces dues à un morcellement du budget résultant de la séparation entre le budget d’investissement et celui de fonctionnement et les écarts considérables entre les budgets d’investissement approuvés et les budgets exécutés. Ce qui témoigne de la faiblesse de la capacité d’exécution des organismes concernés. L’expérience récente de premiers ministres, d’un ministre de la Justice et des finances en prison pour corruption, qui donnaient des leçons de patriotisme à la population en lui demandant de serrer la ceinture, montrent, outre que la Cour des comptes n’a pas rempli son rôle entre 2000/2020 dans le contrôle des deniers publics, sa principale mission, que des institutions dépendant de l’ exécutif, étant juge et partie sont inefficaces. Sans une gouvernance rénovée, une visibilité et cohérence de la politique socioéconomique, le contrôle budgétaire sera un vœu pieux avec un impact limité. Les nombreuses faiblesses trouvent leur origine dans la faiblesse de la préparation technique du personnel d’exécution et la qualité des projets qui sont généralement faibles et inégales et le chevauchement des responsabilités entre les diverses autorités et parties prenantes. Si l’on veut lutter contre les surfacturations, les transferts illégaux de capitaux, rendre le contrôle plus efficient, il y a urgence de revoir le système d’information qui s’est totalement écroulé posant la problématique de la transparence des comptes, car sans une information interne fiable, tout contrôle externe est difficile et dans ce cas, les analyses des institutions de contrôle se trouvent biaisées. Dans les administrations, c’est encore plus grave reposant sur une comptabilité publique des années 1970, où on ignore les principes élémentaires de la rationalisation des choix budgétaires. Un contrôle doit être global devant concerner en plus du contrôle routinier des services de sécurité, l’ensemble de la société supposant un Etat de droit et la réhabilitation du contrôle de la société civile, du Parlement, de la Cour des comptes, institution dépendante de la présidence de la République, devant éviter de créer d’autres institutions de contrôle qui se télescopent.
En conclusion, tout processus de développement fiable repose sur deux fondamentaux, à savoir la bonne gouvernance et l’économie de la connaissance. Ne devant pas assimiler mauvaise gestion qui peut être excusable et corruption, le problème posé de ces surcoûts exorbitants ne concerne pas seulement la route Est-Ouest, mais la majorité, avec de rares exceptions, des projets sectoriels (habitat, transport, industrie, énergie, prestations de services, etc.), renvoie à l’urgence d’une planification stratégique reposant sur un véritable management stratégique.
- M.