Les incidences géostratégiques sur l’Algérie du gazoduc Nigeria/Europe, de la stratégie chinoise de la route de la Soie et les enjeux sécuritaires des cyberattaques et de la guerre de l’eau

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Par le Professeur des universités, expert international – Docteur d’Etat 1974 – Abderrahmane Mebtoul

1.- Dans une déclaration en date du 5 mai 2022, déclaration reprise par la majorité des médias internationaux, (AFP-Reuters, le monde.fr) le ministre de l’Energie nigérien a déclaré que le Nigeria et le Maroc sont à la recherche de fonds pour financer le mégaprojet de gazoduc visant à acheminer le gaz nigérian vers l’Europe qui prévoit de se libérer à terme du gaz russe dont la part est à plus de 40%. Le gazoduc Nigeria-Maroc dont le coût est estimé par l’IRIS entre 25 à 30 milliards de dollars, 5 à 10 milliards de dollars de plus que celui passant par l’Algérie, dont la durée de réalisation varierait entre 8 à 10 ans et dont la longueur serait d’environ 5660 km. Il longerait la côte ouest-africaine en traversant ainsi 14 pays : Nigeria, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone, les trois Guinée, la Gambie, le Sénégal, la Mauritanie et le Maroc. Ce projet a été annoncé en décembre 2016, lors de la visite d’Etat du souverain marocain au Nigeria.

Ce projet a pour but de connecter les ressources gazières nigérianes à différents pays africains, où il existe déjà deux gazoducs dans la zone Afrique du Nord-Ouest, le «West African Gas Pipeline», qui relie le Nigeria au Ghana, en passant par le Bénin et le Togo, et le gazoduc Maghreb-Europe (également nommé «Pedro Duran Farell») qui relie l’Algérie à l’Europe via l’Espagne (Cordoue) en passant par le Détroit de Gibraltar et le Maroc. Totale confusion, le 21 septembre 2021, le ministre nigérian de l’Energie a déclaré dans une interview accordée à la chaîne de télévision CNBC Arabia, en marge de la conférence Gastech, que son pays a commencé à mettre en œuvre la construction d’un gazoduc pour transporter du gaz vers l’Algérie et le ministre de l’Energie algérien en mars 2022, a déclaré (source APS) que ce projet passera par l’Algérie. Le gazoduc Nigeria-Algérie long de 4128 km, le coût est estimé par la Commission européenne à 19-20 milliards de dollars pour une durée de réalisation minimum de 5 à 7 années après son lancement et sera d’une capacité annuelle de trente milliards de mètres cubes. Il devrait partir de Warri au Nigeria pour aboutir à Hassi R’mel, en passant par le Niger dont l’idée a germé dans les années 1980, l’accord d’entente ayant été signé le 3 juillet 2009».

Ce projet est stratégique pour l’Algérie, selon différents rapports du ministère de l’Energie afin de pouvoir honorer ses engagements internationaux en matière d’exportation de gaz où les exportations en 2021 n’ont représenté que 43 milliards de mètres cubes gazeux contre plus de 65 entre 2006/2007 du fait de la forte consommation intérieure (presque l’équivalent des exportations) et du désinvestissement, tout en n’oubliant pas l’Algérie est concurrencée même en Afrique, avec l’entrée en jeu de la Libye et ses réserves d’environ 1500 milliards de mètres cubes non exploitées, et plus de 42 milliards de barils de pétrole de réserve léger, comme l’Algérie est proche de l’Europe expliquant les tensions actuelles, les grands gisements en Méditerranée (plus de 20 000 milliards de mètres cubes gazeux) au Mozambique (plus de 4500 milliards de mètres cubes gazeux, sans compter la concurrence des plus grandes réserves du monde à bas coût (plus de 60%) situées en Russie, en Iran et au Qatar.. Avec les tensions budgétaires, il y a lieu de ne pas renouveler l’expérience malheureuse du projet GALSI, Gazoduc Algérie-Sardaigne-Italie, gelé par l’Italie, à cette époque ayant privilégié le gaz russe, qui devait être mis en service en 2012, d’un coût initial de 3 milliards de dollars et d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux, devant approvisionner également la Corse. Les autorités nigérianes et l’Europe, principal client, notamment la France qui doit autoriser le passage à travers les Pyrénées via l’Espagne, pour alimenter l’Europe, doivent avoir une position claire concernant le gazoduc : soit l’Algérie, soit le Maroc, évitant des discours contradictoires.

2.- Autre projet ayant des incidences géostratégiques sur l’Algérie est la route de la Soi initiée par la Chine. Le PIB de la Chine en 2021,est évalué à 18 460 milliards de dollars, étant, de loin, le pays qui possède le plus de réserves de change avec plus de 3200 milliards de dollars, fin 2021 avec une population de 1,4126 milliard d’habitants, étant la deuxième puissance économique mondiale, avec une économie diversifiée et pourrait devenir prochainement la première économie mondiale avant les USA. Le projet chinois de la route de la Soie auquel ont adhéré, le Maroc en 2017 et l’Algérie en 2018, vise à améliorer les liaisons commerciales entre l’Asie, l’Europe et l’Afrique, passant par la construction de ports, de voies ferrées, d’aéroports ou de parcs industriels, expliquant la relative neutralité de la Chine dans le conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine, même attitude de neutralité de l’Algérie réaffirmé, récemment par le chef d’état-major de l’ANP, où la majorité des échanges économiques de la Chine se fait avec l’Occident, USA/Europe, plus de 60%, la Russie représentant moins de 15%. C’est que l’on observe un changement dans les relations qu’entretient la RPC avec les pays du Maghreb et de l’Afrique, où si elles étaient jusqu’à il y a environ deux décennies centrées sur une proximité idéologique, donc très peu de nature économique, le pragmatisme a pris le dessus et la balance s’inverse, accélérant les échanges commerciaux. Au carrefour de l’Europe et de l’Afrique, possédant une place stratégique au cœur de la méditerranée, disposant de réserve en matière première conséquente, se trouve le Maghreb, composé de l’Algérie, du Maroc, de la Tunisie, de la Libye et de la Mauritanie qui se situe ainsi aux croisements des intérêts stratégiques, économiques et politiques de demain. Selon une étude de l’’École de guerre économique française 2020, deux routes pour la route de la Soie sont envisagées par la Chine : une première, en partance d’Alger, traversant Alger-Tamanrasset et finissant sa course à Lagos d’où l’importance du port de Cherchell, en gestation devant être réalisé en partenariat avec les Chinois, ; la deuxième suivrait les côtes méditerranéennes jusqu’au port de Tanger, se servant du couloir mauritanien pour atteindre l’Afrique. Pour l’instant la Chine n’a pas fait un choix définitif pour le passage, devant insister que dans le cadre des relations internationales n’existant pas de sentiments, et l’Algérie devra être attentive à cette nouvelle stratégie chinoise qui risque de modifier l’équilibre des rapports géostratégiques au niveau de la région. Force est de reconnaître que la dimension économique n’est pas en corrélation avec les relations excellentes sur le plan politique, idem avec la Russie allié stratégique, où les exportations algériennes n’ont pas dépassé, les 200 millions de dollars, l’Algérie et la Chine entretenant des relations solides où avant même l’indépendance de l’Algérie en 1962, Pékin ayant été l’un des premiers à reconnaître le gouvernement provisoire, ayant financé et armé pendant des années le FLN via l’Egypte de Nasser. Sur le plan international, la Chine et l’Algérie ont des positions complémentaires concernant le règlement des conflits régionaux et les enjeux internationaux.

3.- Autres enjeux majeurs pour l’Algérie, ayant des impacts sécuritaires, les cyberattaques et la maîtrise de la gestion de l’eau car le XXIe siècle sera caractérisé par une profonde reconfiguration géostratégique tant dans le domaine militaire, sécuritaire, social, culturel et surtout économique. A ce sujet une intéressante étude réalisée par jeanne Mercier de la société BBI du 4 mai 2022 sur plus de 100 entreprises, les cyberattaques concernant l’État et les entreprises qui note qu’au moment les cyberattaques se multiplient, le gouvernement et les entreprises françaises commencent à prendre conscience de l’ampleur du phénomène et des risques encourus. La sensibilisation des employés, la formation universitaire et plus de moyens financiers au niveau étatique sont des solutions mises en œuvre pour lutter contre cette menace. Cette enquête arrive à huit constats : progression des cyberattaques entre 2019/2020 de 255% ; durant le confinement les tentatives de phishing ont augmenté de 400% ; en 2021, 54% des entreprises ont subi des cyberattaques ; 20% ont été touchées par un ransomware, le coût médian d’une cyberattaque étant évalué à environ 50.000 € ; les pertes subies par les PMI/PME, les plus vulnérables ont été de 27% ; 47% des télétravailleurs considèrent qu’ils se sont fait piéger par un phishing ; les entreprises ayant déclaré le phishing comme vecteur d’entrée principal pour les attaques subies ont été de 73% et enfin 55% des entreprises considèrent que le niveau d’attaque est élevé, mais seulement 40% ont investi pour se protéger. A ce titre l’état-major de l’ANP dans ses différentes interventions a mis en relief pour l’Algérie, l’importance de ces attaques menaçant la sécurité nationale (voir nos différentes interventions entre 2020/2021 à l’Institut militaire de documentation, d’évaluation et de prospective du ministère de la Défense nationale (IMDEP). Mais cela ne concerne pas seulement les cyberattaques expliquant l’importante rencontre organisée par le l’état-major de l’ANP ministère de la Défense nationale le 6 mai 2022, sur la problématique de l’eau (l’or bleu) ayant un impact sur la sécurité alimentaire. C’est que l’eau au XXIe siècle est devenue un enjeu stratégique et sécuritaire, un milliard d’individus vivant dans des zones soumises à pénurie avec une prévision de 3.4 milliards en 2030,150 millions de Sahéliens ayant vu diminuer de 40% leurs ressources en eau depuis 2000, l’ONU prévoyant une sécheresses sans pareille qui frappera l’horizon 2025/2030 , l’Afrique du Nord et l’Afrique noire. Cela pourrait provoquer des conflits voire des guerres, comme en témoigne le conflit entre L’Égypte et l’Éthiopie qui prend sa source en Éthiopie, et concentre 85% du volume du fleuve. Entre la Syrie et la Turquie aussi, le Tigre et l’Euphrate concentrent les tensions, en dépit d’un accord de partage en 1987, tout comme entre la Chine, l’Inde et le Bangladesh autour du fleuve Brahmapoutre (voir Franck Galland, auteur de Guerre et eau, aux éditions Robert Laffont). Selon l’Unesco, «les pénuries et les problèmes d’accès à l’eau sont susceptibles de limiter la croissance économique, surtout, près de 700 millions de personnes n’ont pas accès à une eau propre et salubre et 2 milliards auraient besoin d’accéder à un assainissement amélioré».

En conclusion, un discours de vérité et des planifications stratégiques doivent animer les principaux responsables pour éviter les erreurs du passé, car gouverner, c’est prévoir sur le moyen et long terme. L’objectif pour l’Algérie est d’arriver à se libérer de la dépendance des hydrocarbures qui représentent avec les dérivées 98% de ses recettes en devises et devant éviter l’utopie, la pénétration du marché arabe et africain supposant des entreprises publiques et privées compétitives en termes de coût/qualité. Les échanges de l’Algérie avec le reste du monde représentant, selon les statistiques douanières en 2020. pour 2020 nous avons la ventilation suivante par grandes zones : l’Europe 48,45% d’importation ; l’Afrique, malgré des discours, un montant insignifiant, importation 3,27% et exportation 6,58% ; Amérique 15,55% importation et 8,41% d’exportation ; Asie et Océanie 32,73% d’importation et 28,71% d’exportation , pour ce dernier cas la dominance de la Chine avec 35,50% des importations principal fournisseur suivi de la Turquie 18,04% et de l’Inde 6,76%. Pour la zone de libre-échange entre l’Algérie et le monde arabe GZALE , les échanges sont dérisoires , environ 1,20 milliard de dollars en 2020 contre 1,33 en 2019 soit une baisse de 9,61%. C’est qu’entre 2020/2021, selon les données du registre du commerce, le tissu économique est constitué à plus de 95% de petites entreprises peu innovantes (petites SARL et unités unipersonnelles). Le temps est terminé des relations personnalisées entre chefs d’Etat ou de ministres à ministres dans les relations internationales où dominent les réseaux décentralisés. Certains responsables algériens, à mentalité étatiste rentière, doivent changer de paradigme, Dans les économies où domine le secteur privé, étant impossible aux politiques de donner ordre aux entrepreneurs pour aller vers tel ou tel pays, ces derniers ne venant que si le climat des affaires est propice, à moins que le pays d’accueil pour des raisons de prestige ne supporte les surcoûts. Car, dans la pratique des affaires n’existent pas de sentiments, mais que des intérêts et que tout pays et investisseur sont animés par leurs propres intérêts et l’Algérie, pouvant devenir un pays pivot au niveau de la région, sous réserve de l’amélioration de sa gouvernance, doit défendre avant tout ses propres intérêts.

A. M.

(ademmebtoul@gmail.com)