Une certaine appréhension entourait ce sixième vendredi de contestation. L’irruption dans le débat de la grande muette, avec la proposition du chef d’état-major de recourir à l’application de l’article 102, avait laissé une marge au doute quant à la poursuite de la mobilisation avec la même ampleur que les semaines précédentes, étant donné que la démission ou la destitution du président contesté pouvait être perçue au moins comme une demi-victoire.
Beaucoup d’internautes avaient répondu ces trois derniers jours que c’était là un non-événement et le peuple l’a confirmé ce vendredi 29 mars en sortant par millions dans la rue pour signifier à Ahmed Gaïd-Salah que sa proposition arrive un peu trop tard pour contenter. Les Algériens ont franchi bien des étapes dans leurs revendications depuis le 22 février pour en arriver à exiger le départ de tout le système. À Alger, il y avait au moins autant de marcheurs sinon plus que vendredi passé. Au centre-ville, les mêmes images impressionnantes avec toutes les artères principales noires de monde, des jeunes et des femmes faisant la fête, brandissant et scandant des slogans rivalisant de génie. Les autres villes du pays ont vécu la même ambiance, cette fois partagée pendant toute la journée et en direct non pas sur les réseaux sociaux ou les chaînes de télé privées, mais par la télévision nationale qui, le 22 février, n’avait même pas fait état de marches ou de contestation dans ses journaux télévisés. Incontestablement, le mouvement gagne en ampleur et en organisation et fait désormais l’unanimité. Surtout, il a fait bouger les lignes. Chaque vendredi, les manifestants ajustent et adaptent leurs mots d’ordre en fonction des événements politiques de la semaine. Cette fois, c’est donc sans surprise que la proposition du chef de l’armée s’est retrouvée en bonne place sur les pancartes et banderoles. Retenez bien cette boutade d’un internaute : « Le numéro que vous avez demandé (102 : article d la Constitution) n’est plus en service. Nous vous prions de contacter le peuple source de tout pouvoir ». Il s’agit de l’article 7 de la Constitution. Donc les jours passent, approfondissent et aiguisent de plus en plus les volontés du Peuple qui demande « la fin du régime ». Les premiers groupes de manifestants ont commencé tôt hier matin à affluer vers l’esplanade de la Grande poste et la Place Maurice-Audin, pour être rejoints par d’autres avant de sillonner, en début d’après-midi, les principales artères de la capitale, dans un climat serein. Les manifestants, drapés de l’emblème national et brandissant des banderoles, ont scandé notamment des slogans exprimant leur attachement à l’unité nationale et à l’édification d’un Etat de droit, et rendu hommage à l’Armée Nationale Populaire, entonnant comme à l’accoutumée “djeich-chaâb khaoua khaoua” (Armée et peuple sont frères). Sur ces banderoles et pancartes, on pouvait lire aussi “Non aux forces extra-constitutionnelles”, “Pacifique, pacifique”, “Jusqu’à l’instauration d’un Etat de droit, de justice et de savoir”, et “Le peuple, source de pouvoir”. Ces marches qui ont drainé des foules nombreuses, constituées de jeunes et de moins jeunes, des familles et des personnes âgées, étaient encadrées par les services d’ordre pour éviter d’éventuels dérapages. Même constant dans les autres wilayas où des marches similaires ont été organisées avec les mêmes slogans, à l’instar de Constantine, Annaba, Sétif, Jijel, Skikda, Oran, Sidi Bel Abbés, Ain Témouchent, Saida, Béjaia, Tizi Ouzou, Laghouat, Djelfa, Ghardaïa, Ouargla et El Oued. Pour la première, la télévision nationale Algérienne a créé la surprise. Son nouveau directeur a annoncé que la chaîne publique diffusera pour la première fois en direct les manifestations contre le pouvoir en Algérie. Les manifestants déploraient leur faible couverture médiatique.
M.M