Lors de plusieurs Conseil des ministres entre 2021 et 2023, le président de la République a ordonné au gouvernement d’accélérer l’ouverture du capital des banques publiques, après des études sérieuses, dans l’objectif de relancer l’investissement et mettre fin au terrorisme bureaucratique en libérant les énergies créatrices.
Depuis de longues décennies, combien de codes d’investissements, de réunions, de commissions ont eu lieu pour relancer le tissu économique sans résultats palpables. En ce mois de juillet 2023, 98% des recettes en devises du pays proviennent toujours de Sonatrach, y compris les dérivés inclus dans la rubrique hors hydrocarbures, ce qui prouve que le blocage est d’ordre systémique. L’ouverture du capital des entreprise publiques y compris les banques est une mesure salutaire, car selon plusieurs rapports du premier ministère entre 2020/2022 (source APS) l’assainissement des entreprises publiques a coûté au Trésor public entre 2000/2020 plus de 2050 milliards de dollars et uniquement les réévaluations durant les dix dernières années plus de 63 milliards de dollars. Mais nous devons le bradage du patrimoine public et nous orienter, comme en Chine, vers une économie de marché à finalité sociale maitrisée. Il existe un théorème universel en sciences politiques, 80% d’actions mal ciblées ont un impact sur seulement 20% de l’activité économique et sociale avec un gaspillage des ressources financières et 20% d’actions bien ciblées ont un impact de 80%. L’enseignement majeur des expériences par le monde est qu’il n’y a pas de modèle universel.
1 – D’une manière générale je recense cinq conditions de la réussite du processus de privatisation totale et de l’ouverture partielle du capital des entreprises publiques pour éviter les erreurs du passé (Interview au quotidien El Moudjahid 12/12/2020 Mebtoul à propos des privatisations : définir clairement les moyens et les objectifs) : Premièrement : éviter des filialisations non opérantes dont l’objectif était la sauvegarde du pouvoir bureaucratique. Or, c’est le fondement de la réussite tant de l’ouverture partielle du capital que d’une privatisation totale. Deuxièmement : le patrimoine doit être clairement défini, où actuellement il y a absence de cadastre réactualisé, numérisé posant la problématique de l’inexistence des titres de propriété fiables sans lesquels aucun transfert de propriété ne peut se réaliser. Troisièmement; avoir des comptabilités claires pour déterminer exactement les centres de coûts par sections répondant pas aux normes internationales, donc posant la problématique de la transparence condition fondamentale de l’adhésion tant de la population que des travailleurs à l’esprit des réformes. Quatrièmement : le grand problème est la résolution des dettes et créances douteuses, les banques publiques croulant sous le poids des créances douteuses et la majorité des entreprises publiques étant en déficit structurel, endettées, surtout pour la partie libellée en devises sans un mécanisme transparent en cas de fluctuation du taux de change. Pour ce cas précis, l’instabilité monétaire ne peut encourager ni l’investissement productif ni le processus de privatisation qu’il soit total ou partiel. Cinquièmement : raccourcir les délais et éviter chevauchements de différents organes institutionnels entre le moment de sélection de l’entreprise, les évaluations, les avis d’appel d’offres, le transfert, pour décision au gouvernement et la délivrance du titre final de propriété, afin d’éviter de décourager tout repreneur, car en ce monde, les capitaux mobiles vont s’investir. Aussi, les répartitions de compétences devront être précisées où il est nécessaire de déterminer qui a le pouvoir de demander l’engagement d’une opération de privatisation, de préparer la transaction, d’organiser la sélection de l’acquéreur, d’autoriser la conclusion de l’opération, de signer les accords pertinents et, enfin, de s’assurer de leur bonne exécution. Il ne faut pas confondre la privatisation totale ou partielle, la démonopolisation et l’encouragement du partenariat public-privé étant sur le plan opérationnel, complémentaires d’un pays en transition d’une économie étatisée vers l’économie de marché à finalité sociale. Pour ce qui est de la privatisation, nous avons les privatisations avec transfert de propriété, où on peut recenser six méthodes qui ne sont pas une liste exhaustive, qui souvent dans la pratique connaissent des combinaisons par des études au cas par cas. Il s’agit de : a) l’offre publique de vente d’actions mais qui se heurte à une difficulté: l’absence de marché de capitaux; b) vente privée d’actions; l’apport d’investisseurs privés dans une entreprise publique après apurement du passif ; c) découpage, segmentation ou restructuration de l’entreprise en plusieurs de ses composantes qui sont vendues séparément ; d) distribution de bons vendus à l’ensemble de la société permettant la création de fonds d’investissement : la méthode de vente de bons d’échange, chaque citoyen recevant des bons de privatisation d’une certaine valeur moyennant une redevance d’enregistrement permet l’adhésion populaire sous réserve de bien organiser ces fonds d’investissement par des comités de surveillance; e) une toute autre solution de privatisation avec transfert de propriété est la privatisation de l’entreprise par voie de reprise totale par les salariés. Elle est satisfaisante théoriquement plus que pratiquement. Pour la réussite d’une privatisation partielle ou totale, c’est tout l’écosystème éco-social du pays qu’il faudrait revoir (Abderrahmane Mebtoul 2 volumes 500 pages réformes et privatisation – Office des publications universitaires OPU 1983- reproduit dans Amazon Paris 2018 et le programme de l’Association nationale de développement de l’économie de marché (ADEM) en arabe-anglais-français, en 1992 sous ma présidence). Environ 83% du tissu économique étant représenté par le commerce et les services de très faibles dimensions, le taux de croissance officiel hors hydrocarbures est artificiel, 80% du PIB est issu de la dépense publique alimentée par les revenus hydrocarbures. Selon les données officielles, plus de 90% des entreprises privées algériennes sont de type familial sans aucun management stratégique, et que 85% d’entreprises publiques et privées ne maîtrisent pas les nouvelles technologies et la majorité des segments privés et publics vivent grâce aux marchés publics octroyés par l’Etat. C’est l’entreprise libérée des entraves bureaucratiques et un Etat régulateur qui peuvent créer une économie productive à forte valeur ajoutée. Il est donc nécessaire de cerner les causes du blocage car si les investisseurs algériens ne trouvent pas intérêt à aller vers la production nationale, vers la création de l’emploi, faut-il s’étonner, ou encore moins, s’attendre à ce que les investisseurs étrangers, qu’il y ait la règle du 49/51% ou pas, fassent preuve de plus d’engagement. L’attrait de l’investissement à forte valeur ajoutée ne saurait résulter de lois, mais d’une réelle volonté politique allant vers de profondes réformes, une stabilité du cadre juridique et monétaire permettant la visibilité, et les pays qui attirent le plus les IDE n’ont pas de codes d’investissement, mais une bonne gouvernance. Mon expérience et mes contacts internationaux aux plus hauts niveaux montrent que les temps ont changé les relations internationales dominent désormais les réseaux décentralisés; dans la pratique des affaires n’existent pas de sentiments, mais uniquement des intérêts, et que tout investisseur est attiré par le profit, qu’il soit américain, chinois, russe, turc ou européen. Il appartient ainsi à l’État régulateur, dont le rôle stratégique en économie de marché s’apparente à celui d’un chef d’orchestre, de concilier les coûts privés et les coûts sociaux. C’est par la méconnaissance des nouvelles règles qui régissent le commerce international que s’expliquent les nombreux litiges internationaux, avec des pertes se chiffrant en dizaines de millions de dollars. C’est que depuis des décennies, nous avons assisté à bon nombre de codes d’investissement et des changements de l’écosystème des entreprises publiques avec un impact mitigé, montrant clairement la dominance de la démarche administrative et bureaucratique au détriment de la démarche opérationnelle économique. Ces changements périodiques d’organisation démobilisent les cadres du secteur économique public, et même les investisseurs locaux et étrangers avec le renforcement de la dynamique rentière, et cela bloque tout transfert de technologie et managérial.
2 – L’investissement hors hydrocarbures en Algérie, porteur de croissance et créateur d’emplois, est victime de nombreux freins dont les principaux restent l’omniprésence du terrorisme bureaucratique qui représente à lui seul plus de 50% des freins à l’investissement. Enjeu politique majeur de la réforme du système financier s’impose pour attirer l’investisseur, les banques publiques, continuant à accaparer plus de 85% des crédits octroyés, avec la dominance de la BEA, communément appelé la banque de la Sonatrach. Des banques malades de leurs clients, la majorité des entreprises publiques en déficit structurel. Ce qui entraîne des recapitalisations répétées des banques. Comprendre le blocage du développement implique de saisir les liens dialectiques entre la production de la rente -Sonatrach et sa distribution à travers le système financier notamment les banques publiques. Sans de profondes réformes institutionnelles, une véritable décentralisation autour de grands pôles régionaux, il est utopique d’aller vers un développement hors hydrocarbures dans le cadre des valeurs internationales. Les petites et moyennes entreprises (PME) jouant un rôle vital dans le développement économique sont souvent confrontées à plusieurs défis en matière de croissance, le plus grand obstacle demeurant leurs capacités limitées à avoir accès aux services financiers. Les financements bancaires à long terme habituels sont généralement inaccessibles pour les PME, faute de garanties, ce qui rend les actifs mobiliers peu sûrs pour l’accès au crédit. Cette situation, ajoutée au niveau élevé des coûts de transaction liés à l’obligation de vigilance, amène les banques commerciales à continuer de privilégier les prêts aux entreprises bien établies. Dès lors, le crédit-bail pourrait être un complément comme moyen de financement pour certains biens d’équipements en particulier pour les entreprises qui n’ont pas une tradition de crédit ou qui ne disposent pas des garanties requises. Mais le plus grand obstacle, c’est la bureaucratie centrale et locale néfaste renvoyant au climat des affaires en Algérie où le pouvoir bureaucratique décourage les véritables investisseurs. Aussi, outre les réformes institutionnelles dans le cadre d’une vision claire et datée des réformes structurelles, renvoyant à la refonte de l’Etat pour de nouvelles missions adaptées des relations dialectiques Etat-Marché, pour l’Algérie, enjeu énorme de pouvoir, les grand défis du gouvernement 2023/2025 sont la réforme de Sonatrach lieu de la production de la rente et le système financier dans son ensemble (douane, fiscalité, domaine, banques) lieu de distribution de la rente, afin de s’autonomiser et l’affranchir des sphères de clientèles. Il est nécessaire de s’attaquer à l’essence du blocage du développement et non à des actions conjoncturelles ou demain les mêmes causes produiront les mêmes effets (voir A. Mebtoul www.google 2009, démocratisation et l’impérieuse réforme du système financier algérien). La réforme urgente, étant une question de sécurité nationale, doit toucher toutes les structures du ministère des Finances, les banques, à travers la récente décision du président de la République d’ouvrir le capital des banques publiques : les directions et sous-directions de crédit; les Caisses de garanties octroyant parfois des garanties de complaisance comme cela a été constaté récemment; la DG de la fiscalité avec des non-recouvrements faramineux inexplicables les seuls pénalisés étant les salariés et fonctionnaires dont la retenue est à la source; les domaines incapables d’avoir un registre cadastre transparent. Une réforme nécessaire pour éviter le bradage du patrimoine national. Combien d’habitations ont des titres de propriété et : allez demander un livret foncier avec des marchandages que vivent dramatiquement des millions de citoyens confrontés à une bureaucratie néfaste. Imaginez que seulement 5 millions d’unités payent seulement 10.000 DA par an d’impôts fonciers. Une réforme des douanes sans tableaux de la valeur reliés aux réseaux tant nationaux internationaux, est nécessaire comme je l’ai préconisée entre 1982/ 1983 en tant que haut magistrat et DG des études économiques à la Cour des comptes. Dans le contexte actuel, l’Algérie a une économie de nature publique avec une gestion administrée centralisée, la presque totalité des activités quelle que soit leur nature, y compris, la sphère informelle indirectement, se nourrissent de flux budgétaires c’est-à-dire que l’essence même du financement est liée à la capacité réelle ou supposée du Trésor public via la rente des hydrocarbures. On peut considérer que les conduits d’irrigation, les banques commerciales et d’investissement en Algérie opèrent non plus à partir d’une épargne puisée du marché, éventuellement un reliquat du travail, mais par les avances récurrentes (tirage : réescompte) auprès de la Banque d’Algérie pour les entreprises publiques qui sont ensuite refinancées par le Trésor public sous la forme d’assainissement : rachat des engagements financiers des EPE auprès de la Banque d’Algérie, alors que plus de 70% de ces entreprises sont revenues à la case de départ montrant que ce n’est pas une question de capital argent. C’est que la richesse ne peut apparaître que dans le cadre de la transformation du stock de monnaie en stock de capital, et là est toute la problématique du développement. Puisque pour l’Algérie, cette transformation n’est plus dans le champ de l’entreprise, mais se déplace dans le champ institutionnel (répartition de la rente des hydrocarbures), dans cette relation, le système financier algérien est passif. Comme conséquence, le système financier algérien est actuellement dans l’incapacité de s’autonomiser, la sphère financière étant totalement articulée à la sphère publique.
Le marché bancaire algérien est totalement dominé par les banques publiques, ce qui fait que la crise bancaire mondiale actuelle ne touche pas directement le système financier algérien. Mais nous ne devons pas nous réjouir, parce que nous n’avons pas un véritable système financier relié aux réseaux internationaux comme l’a mis en relief le président de la République mais de simples guichets administratifs. Quant à la finance islamique comme moyen de financement, qui est de promouvoir l’investissement dans des actifs tangibles, il faut éviter l’utopie représentant cumulé entre 2021/2022 moins de 1% du financement global de l’économie mondiale, encore qu’il faille l’encourager, sa réussite impliquant une visibilité, la maîtrise de l’inflation, et la stabilité de la cotation du dinar par rapport aux devises euro et dollar (voir notre interview mensuel Capital Fr/AFP –France 24-11/08/2020). Quant à la bourse d’Alger, l’important pour une bourse est le nombre d’acteurs au niveau de ce marché. Imaginez un très beau stade de football pouvant accueillir plus de 100 000 spectateurs sans une équipe pour disputer la partie.
En résumé, chaque pays, en fonction de ses réalités et de ses contraintes, a mis en place les techniques les plus adaptées à son contexte, les objectifs pouvant varier et être adaptés en fonction de l’activité ou de l’entreprise. Il ne faut pas être utopique, Sonatrach sera encore pour longtemps, la principale société pourvoyeuse de devises ayant permis avec les dérivés en 2022, une recette de 60 milliards de dollars, à ne pas confondre avec le profit, dont 90% dû à des facteurs exogènes, hausse du prix du pétrole et du gaz en 2022, avec une moyenne de plus de 100 dollars le baril pour le pétrole et de 12/13 dollars le MBTU pour le gaz. Pour 2023, nos prévisions, pour une hypothèse de 75/80 dollars le baril et 10/12 dollars le MBTU de gaz les recettes fluctuent entre 45/50 milliards de dollars. D’où l’importance de profondes réformes axées sur plus de cohérence et de visibilité, de la nécessaire transition numérique et énergétique. Le compromis et les objectifs stratégiques des années 2023/2030 devront concilier l’impératif de productivité et la cohérence sociale, les principes d’une société ouverte et le devoir de solidarité, en un mot l’efficacité et l’équité. L’on doit éviter toute ambiguïté : la nécessaire justice sociale ne doit pas se fonder sur le modèle de l963-2023, mais doit recouvrer la nécessité d’une transformation de l’Etat gestionnaire à l’Etat régulateur, par la formulation d’un nouveau contrat social. Afin que l’Algérie devienne un pays pivot et facteur de stabilité de la région méditerranéenne et africaine.
A. M.