La lutte contre la dilapidation des deniers publics conditionnée par une nouvelle gouvernance: Quelles missions pour la Cour des comptes ?

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National flag of the Algeria. Vector illustration.

Après une longue léthargie, la Cour des comptes vient de publier un rapport mettant en relief plusieurs anomalies dans la gestion des deniers publics, Il ya lieu de ne pas confondre acte de gestion afin de ne pas démobiliser les managers et acte de corruption, la Cour des comptes , selon ses statuts étant dans l’obligation en cas de malversations de transmettre le dossier au ministère de la Justice.

Par le Professeur expert international Dr Abderrahmane Mebtoul

Le président de la République, en novembre 2021, avait annoncé, lors d’une interview au quotidien allemand Der Spiegel un plan de réorganisation de la Cour des comptes, afin de favoriser le système de contrôle et de suivi des finances publiques, conformément aux dispositions de la nouvelle Constitution, qui a élargi ses prérogatives, mais devant éviter le télescopage avec d’autres institutions de contrôle. L’on ne doit pas se focaliser uniquement sur quelques cas qui gangrènent la société, tant civile que militaire, car, reconnaissons-le, la majorité, tant au niveau de l’ANP que des forces de sécurité et de la société civile, vit de son travail. Je considère que la mission essentielle de la Cour des comptes est de s’attaquer à l’essence de ce mal qui menace la sécurité nationale, en faisant plus de la prévention que de la coercition.

1- La Cour des comptes est régie par l’ordonnance du 17 juillet 1995, modifiée et complétée par l’ordonnance du 26 août 2010 ayant été consacrée dans la nouvelle Constitution, parue au Journal officiel du 30 décembre 2020, portant révision constitutionnelle. Ainsi, l’article 199 stipule que la Cour des comptes est une institution supérieure de contrôle du patrimoine et des fonds publics, contribuant au développement de la bonne gouvernance, à la transparence dans la gestion des finances publiques et à la reddition des comptes. Le président de la République nomme le président de la Cour des comptes pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois qui lui adresse un rapport annuel. Dans le cadre de ses prérogatives, la loi détermine les attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Cour des comptes et la sanction de ses investigations, ainsi que ses relations avec les autres structures de l’État chargées du contrôle et de l’inspection. Institution supérieure du contrôle a posteriori des finances de l’État à compétence administrative et juridictionnelle, la Cour des comptes assiste le gouvernement et les deux chambres législatives (APN et Sénat) dans l’exécution des lois de finance, pouvant être saisie par le président de la République, le chef du gouvernement (actuellement le Premier ministre) ou tout président de groupe parlementaire pour étudier des dossiers d’importance nationale. Elle exerce un contrôle sur la gestion des sociétés, entreprises et organismes, quel que soit leur statut juridique, dans lesquels l’État, les collectivités locales, les établissements, les entreprises ou autres organismes publics détiennent, conjointement ou séparément, une participation majoritaire au capital ou un pouvoir prépondérant de décision. Ainsi, la Cour des comptes s’assurera de l’existence, de la pertinence et de l’effectivité des mécanismes et procédures de contrôle et d’audit interne, chargés de garantir la régularité de la gestion des ressources, la protection du patrimoine et des intérêts de l’entreprise, ainsi que la traçabilité des opérations financières, comptables et patrimoniales réalisées. Il est prévu la consultation de la Cour des comptes dans l’élaboration des avant-projets annuels de loi et de règlement budgétaire, et cette révision confère au président de la République l’attribution de saisir la Cour des comptes pour tout dossier d’importance nationale, dont le renforcement de la prévention et de la lutte contre les diverses formes de fraude, de pratiques illégales ou illicites, portant atteinte au patrimoine et aux deniers publics. Cependant, il existe différentes institutions de contrôle, outre l’urgence de la modernisation des outils d’information maîtrisant les nouvelles technologies, comme l’IGF, dépendante du ministère des Finances, ou d’autres institutions dépendantes du ministère de la Justice, donc de l’Exécutif étant juge et partie, ne pouvant être impartial, sans compter l’organe de lutte contre la corruption, d’où l’importance d’une coordination sans faille, évitant les télescopages, produit de rapport de forces contradictoires, qui ont nui par le passé au contrôle transparent et qui explique les nombreuses dérives. Se pose cette question : les procédures de la Cour des comptes en Algérie répondent-elles aux normes internationales ? Dans un rapport publié en octobre 2013 par l’UE, les pairs encouragent la Cour des comptes algérienne à résoudre certains problèmes identifiés lors de la revue, notamment la longueur des procédures et des délais relatifs à certaines prises de décision ; la couverture limitée des contrôles ; le manque de standardisation des méthodes de travail ; la non-publication et la diffusion restreinte des rapports de la Cour. Et pourtant les procédures de contrôle et d’investigation sont inspirées des normes internationales, notamment celles élaborées par l’Intosai, dont l’apurement des comptes des comptables publics est un acte juridictionnel portant sur l’exactitude matérielle des opérations de recettes et de dépenses portées au compte du comptable public, ainsi que leur conformité avec les lois et règlements en vigueur, la reddition des comptes. Selon les normes internationales, qui devraient s’appliquer en Algérie, le contrôle de la qualité de gestion a pour finalité d’apprécier les conditions d’utilisation et de gestion des fonds et valeurs gérés par les services de l’État, les établissements et organismes publics et, enfin, l’évaluation des projets, programmes et politiques publiques, la Cour des comptes participant à l’évaluation, au plan économique et financier, de l’efficacité des actions, plans, programmes et mesures initiées par les pouvoirs publics en vue de la réalisation d’objectifs d’intérêt national et engagés directement ou indirectement par les institutions de l’État ou des organismes publics soumis à son contrôle. Il s’agit de poser les véritables problèmes, pour une application efficace sur le terrain.

La Cour des comptes, qui doit éviter cette vision répressive, mais être un garde-fou, une autorité morale par des contrôles réguliers et des propositions, peut jouer son rôle de lutte contre la mauvaise gestion et la corruption qui touchent tant les entreprises que les services collectifs et les administrations Cependant, il est utile de signaler qu’uniquement pour le contrôle de Sonatrach, il faudrait plus de 200 magistrats avec un niveau de qualification élevé, sans compter toutes les autres entreprises publiques, les banques et les administrations centrales et locales.

2.- C’est que la corruption et le crime économique organisés, avec des connexions d’acteurs internes et externes qui, d’ailleurs, touche la majorité des pays,  mais avec des intensités différentes liées à la gouvernance, pour l’Algérie est une menace pour la sécurité nationale. Le commandement de la Gendarmerie nationale sous l’égide du ministère de la Défense nationale – organisera une importante rencontre les 23/24 février 2022 sur le crime organisé sous ses différentes facettes où il m’a été fait l’honneur d’ouvrir ce séminaire où j’interviendrai par le thème «sphère informelle, évasion fiscale, trafics aux frontières, fuite des capitaux et corruption : quelques recommandations… C’est une heureuse initiative qui rentre dans le cadre de la défense des intérêts supérieurs du pays et des réformes que les autorités entendent mener pour plus de moralisation. Vient de paraître, le rapport Global Initiative Against Transnational Organized Crime 2021, dans le cadre de la mesure du crime organisé, définissant la «résilience»  comme la capacité de résister et de perturber les activités criminelles organisées dans leur ensemble, plutôt que des marchés individuels, par le biais de mesures politiques, économiques, juridiques et sociales. Ce rapport évalue 193 États membres de l’ONU à la fois en fonction de leur niveau de criminalité, selon un score de 1 à 10 (du niveau le plus bas au niveau le plus élevé de criminalité organisée) et de leur résilience face au crime organisé, selon un score de 1 à 10 (du niveau le plus bas au niveau le plus élevé de résilience). Pour le cas Algérie, le classement et les scores sont les suivants. Pour les scores des marchés criminels, l’Algérie arrive à la 99e positon, une position très honorable, avec une moyenne de 4,65 décomposée comme suit : traite de personnes 4,4 -trafic d’êtres humains 6,5 -trafic d’armes 5,0 -trafic lié à la fore 2,0 -trafic lié à la faune 4,5, criminalité liée aux produits non renouvelables, 6,5- commerce d’héroïne, 2,0 – commerce de cocaïne 3,5 ; -commerce de cannabis 6,5 et comme synthèse de toutes les drogues, la moyenne est de 5,5. Concernant la rubrique des acteurs de la criminalité (moyenne), elle arrive à la 128e position, avec une moyenne générale 4,38, décomposée comme suit ; -groupe de types mafieux 1,0 réseaux criminels 5,0 -acteurs étrangers 4,5. Enfin la synthèse pour les scores de résilience elle est honorable, médiane, honorable elle est classée 104e, une position médiane honorable avec une moyenne de 4,63, décomposée comme suit : leadership politique et gouvernance 4,5 -transparence et responsabilité gouvernementale 4,0 -coopération internationale 5,0 -politique et législation nationale 6,0 -système judicaire et détention 4,0 -force de l’ordre 6,0 -Intégrité territoriale 6,5 -lutte contre le blanchiment d’argent 4,5 -capacité de réglementation économique 4,5 – soutien aux victimes et aux témoins 3,0 -préventions 4,0 -acteurs non étatiques 3,5.

Qu’en est-il du classement sur la corruption de l’Algérie de 2010 à 2020 selon Transparency International ? 2003 : 2,6 2010 : 2,9 sur 10 et -105e place sur 178 pays -2011 : 2,9 sur 10 et 112e place 183 pays -2012 : 3,4 sur 10 et 105e place sur 176 pays -2013 -105 rangs sur 107 pays 2014 – note 3,6 et 100e sur -115 pays -2015 –note, 3,6 et 88e sur 168 pays -2016 –note 3,4 et 108esur 168 pays -2017 -note 3,3 et 112e place sur 168 pays -2018- note 3,5 et 105e place sur 168 pays – 2019, 106e place, après avoir perdu une place comparé à l’année 2018, – 2020, 36 points sur 100 et se place 104e sur 180 pays. – Selon cette institution internationale pour l’Algérie, la majorité des institutions administratives et économiques sont concernés par ce cancer de la corruption. L’on sait que les auteurs de l’IPC considèrent qu’une note inférieure à 3 signifie l’existence d’un «haut niveau de corruption, entre 3 et 4 un niveau de corruption élevé.

Devant différencier l’acte de gestion des pratiques normales de la corruption, l’objectif stratégique est d’établir la connexion entre ceux qui opèrent dans le commerce extérieur soit légalement ou à travers les surfacturations et les montants provenant essentiellement d’agents possédant des sommes en dinars au niveau local légalement ou illégalement, non connectés aux réseaux internationauxb(Pr Abderrahmane Mebtoul Institut français des relations internationales Paris – décembre 2013, les enjeux géostratégiques de la sphère informelle au Maghreb).

 Il s’agit de différencier les surfacturations en dinars (pour des projets ne nécessitant pas ou peu de devises), des surfacturations en devises, existant deux sphères d’agents, ceux reliés uniquement au marché interne (dinars) et ceux opérant dans le commerce extérieur (devises), ce processus se faisant en complicité avec les étrangers, bien que certains agents économiques opèrent sur ces deux sphères. De plus, selon la majorité des experts juristes, il est difficile, sinon pratiquement impossible de récupérer des capitaux placés dans des paradis fiscaux, en actions ou obligations anonymes. Par ailleurs, ce ne sont pas seulement les entreprises publiques qui gèrent mal, accaparant une partie importante du financement public, mais également l’administration et les services collectifs.

 À ce titre, il convient, de se poser la question sur l’efficacité des transferts sociaux, souvent mal gérés et mal ciblés, ne s’adressant pas toujours aux plus démunis et en raison de la faiblesse du système d’information, le système algérien tant salarial que celui de la protection sociale est diffus, ne cernant pas clairement les liens entre les perspectives futures de l’économie algérienne et les mécanismes de redistribution devant assurer la cohésion sociale.

Cela explique que, selon plusieurs rapports internationaux l’Algérie dépense deux fois plus pour avoir deux fois moins de résultats que certains pays de la région Mena. La lutte contre la corruption n’est pas une question de lois ou de commissions. Ce sont les pratiques d’une culture dépassée, l’expérience en Algérie montrant clairement que les pratiques sociales quotidiennement contredisent le juridisme.

A. M.

A suivre…