La corruption, un frein au développement et une atteinte à la sécurité nationale

0
557

Un des volets du  Conseil des ministres du 2 janvier 2022 a été consacré particulièrement à la lutte contre la corruption. Il est évident que la corruption  constitue une atteinte à la sécurité nationale et bloque tout processus de développement.

Cependant, le contrôle ne saurait se limiter à des actions conjoncturelles mais devra s’inscrire dans le cadre d’une vision stratégique, car les mêmes causes reproduisent les mêmes erreurs. Si la Cour de comptes, que le président de la République, dans une récente interview au quotidien allemand Spiegel, avait promis de dynamiser, organe suprême de contrôle consacrée par les anciens et la nouvelle Constitution avait joué son rôle, ayant été gelé pour des considérations d’intérêts, on ne serait arrivé à créer bon nombre d’autres organes, l’objectif, éviter que de telles pratiques ne se renouvellent, devant prévenir avant de punir, la coercition bloquant toutes les initiatives créatrices surtout des agents relevant du secteur d’Etat, amplifiant le poids de la bureaucratie et de la sphère informelle

1.- Qu’en est-il du classement sur la corruption de l’Algérie de 2003 à 2020 selon Transparency International ? 2003 : 2,6 sur 10 et 88e place sur 133 pays-2004 : 2,7 sur 10 et 97e place sur 146 pays-2005 : 2,8 sur 10 et 97e place sur 159 pays-2006 : 3,1 sur 10 et 84e place sur 163 pays -2007 : 3 sur 10 et la 99e place sur 179 pays 2008 : 3,2 sur 10 et -92e place sur 180 pays 2009 : 2,8 sur 10 et 111e place sur 180 pays 2010 : 2,9 sur 10 et -105e place sur 178 pays -2011 : 2,9 sur 10 et 112e place 183 pays -2012 : 3,4 sur 10 et 105e place sur 176 pays -2013 -105 rangs sur 107 pays 2014 – note 3,6 et 100e sur -115 pays -2015 –note, 3,6 et 88e sur 168 pays -2016 –note 3,4 et 108e sur 168 pays -2017 -note 3,3 et 112e place sur 168 pays -2018- note 3,5 et 105e place sur 168 pays – 2019, 106e place, après avoir perdu une place comparé à l’année 2018, – 2020, 36 points sur 100 et se place 104e sur 180 pays. -Selon cette institution, internationale, pour l’Algérie, la majorité des institutions administratives et économiques sont concernées par ce cancer de la corruption. L’on sait que les auteurs de l’IPC considèrent qu’une note inférieure à 3 signifie l’existence d’un «haut niveau de corruption, entre 3 et 4 un niveau de corruption élevé. Cependant, le fléau de la corruption dépasse le cadre national, devant le relier également aux réseaux internationaux. Les différents trafics sont liés à l’importance de la sphère informelle représentant plus de 50% de la superficie économique hors hydrocarbures et selon le président de la République canalisant entre 6.000 et 10.000 milliards de dinars, produit du poids de la bureaucratie qui entretient des relations diffuses avec cette sphère et des distorsions des taux de change, devant différencier pour les calculs soit la référence au PIB, à l’emploi ou à la masse monétaire en circulation, devant préciser qu’existe plusieurs méthodes de calcul donnant des quantifications différentes entre 10/20% (voir Pr Abderrahmane Mebtoul Institut français des relations internationales Paris décembre 2013, les enjeux géostratégiques de la sphère informelle au Maghreb). Dans le cadre du crime organisé, je recense sept actes de trafics aux frontières. Premièrement, nous avons le trafic de marchandises. Pour l’Algérie, existent des trafics de différentes marchandises subventionnées comme le lait et la farine achetés en devises fortes, le trafic de carburant représenterait un manque à gagner de plusieurs centaines de millions de dollars pour le Trésor public, c’est énorme. Cela est lié globalement à la politique des subventions généralisées sans ciblage et à la distorsion des taux de change par rapport aux pays voisins. Deuxièmement, nous avons le trafic d’armes. Le marché «noir» des armes et de leurs munitions, issu nécessairement du marché «blanc» puisque, rappelons-le, chaque arme est fabriquée dans une usine légale, une thématique qui permet de comprendre les volontés de puissance des divers acteurs géopolitiques à travers le monde. Tandis que le trafic de drogues est réprimé internationalement, le trafic d’armes est réglé par les Etats qui en font leurs bénéfices. La vente d’armes s’effectue régulièrement entre plusieurs partenaires privés et publics. Troisièmement, nous avons le trafic de drogue. La montée en puissance du trafic de drogue au niveau de la région sahélienne a des implications sur toute l’Afrique du Nord où nous pouvons identifier les acteurs avec des implications géostratégiques où les narcotrafiquants créent de nouveaux marchés nationaux et régionaux pour acheminer leurs produits. Afin de sécuriser le transit de leurs marchandises, ces narcotrafiquants recourent à la protection que peuvent apporter, par leur parfaite connaissance du terrain, les groupes terroristes et les différentes dissidences, concourant ainsi à leur financement. Quatrièmement, nous avons la traite des êtres humains. C’est une activité criminelle internationale dans laquelle des hommes, des femmes et des enfants sont soumis à l’exploitation sexuelle ou à l’exploitation par le travail. Nous avons le trafic de migrants qui est une activité bien organisée dans laquelle des personnes sont déplacées dans le monde en utilisant des réseaux criminels, des groupes et des itinéraires. Cinquièmement, nous avons le trafic de ressources naturelles qui inclut la contrebande de matières premières telles que diamants et métaux rares (provenant souvent de zones de conflit) et la vente de médicaments frauduleux potentiellement mortelle pour les consommateurs. Sixièmement, nous avons la cybercriminalité. Elle est liée à la révolution dans le domaine des systèmes d’information et peut déstabiliser tout un pays tant sur le plan militaire, sécuritaire qu’économique. Il englobe plusieurs domaines exploitant notamment de plus en plus internet pour dérober des données privées, accéder à des comptes bancaires et obtenir frauduleusement parfois des données stratégiques pour le pays.

Le numérique a transformé à peu près tous les aspects de notre vie, notamment la notion de risque et la criminalité, de sorte que l’activité criminelle est plus efficace, moins risquée, plus rentable et plus facile que jamais. Septièmement, nous avons le blanchiment d’argent.

C’est un processus durant lequel l’argent gagné par un crime ou par un acte illégal est lavé. Il s’agit en fait de voiler l’origine de l’argent pour s’en servir après légalement. Les multiples paradis fiscaux, des sociétés de clearing (aussi Offshore) permettent de cacher l’origine de l’argent. (Tous ces axes ont été longuement développés dans mon voir intervention «L’Algérie face aux trafics et au terrorisme au niveau de la région sahélienne»- Ministère de la Défense nationale -Institut de documentation, d’évaluation et de prospective trafic des frontières et la sécurité au Sahel 27 mars 2018-)

2.-La corruption trouve fondamentalement son essence dans les dysfonctionnements des appareils de l’Etat. Devant différencier acte de gestion pratiques normales de la corruption, afin d’éviter la démobilisation des managers, les services de sécurité et les différents organismes de contrôle devant vérifier l’origine de ces montants de transferts illicites de devises saisissent régulièrement des importantes sommes de sorties de devises aux frontières, l’objectif stratégique est d’établir la connexion entre ceux qui opèrent dans le commerce extérieur soit légalement ou à travers les surfacturations et les montants provenant essentiellement d’agents possédant des sommes en dinars au niveau local légalement ou illégalement, non connectés aux réseaux internationaux. Il ne faut pas se tromper de cibles, devant différencier stratégie et tactiques pour paraphraser le langage des stratèges militaires. Il s’agit de différencier les surfacturations en dinars (pour des projets ne nécessitant pas ou peu de devises) des surfacturations en devises, existant deux sphères d’agents ceux reliés uniquement au marché interne (dinars) et ceux opérant dans le commerce extérieur (devises), ce processus se faisant en complicité avec les étrangers, bien que certains agents économiques opèrent sur ces deux sphères. Il existe souvent une confusion entre les sorties de devises résultant des entrées en devises. Il faut différencier les dépenses en dinars où existent la corruption avec des travaux mal faits souvent dans le BTPH de la partie devises. Pour la partie devises, les entrées en devises entre 2000/2020, 97/98% provenant de Sonatrach y compris les dérivées ont été de 1.200 milliards de dollars et les des importations de biens et services ( souvent oubliées dans les statistiques douanières, 10/11 milliards de dollars/an entre 2010/2019) d’environ 972 milliards de dollars, le solde étant les réserves de change au 31/12/2020 de 48 milliards de dollars données officielles de la banque d’Algérie. Prenons l’hypothèse un taux entre 10/15% de surfacturation, ce n’est qu’une hypothèse, étant plus facile pour les services où certaines surfacturations peuvent atteindre plus de 20%, les sorties illégales de devises fluctuent entre 97 et 145 milliards de dollars entre 2000/2020. De plus, selon la majorité des experts juristes, il est difficile sinon pratiquement impossible de récupérer des capitaux placés dans des paradis fiscaux, en actions ou obligations anonymes. Par ailleurs, ce ne sont pas seulement les entreprises publiques qui gèrent mal, accaparant une partie importante du financement public, mais également l’administration et les services collectifs. S’est-on interrogé une seule fois sur le prix de revient des services de la présidence, du chef du gouvernement, des différents ministères, des wilayas et des APC, de nos ambassades ? Du coût des différents séminaires, réceptions et commissions par rapport aux services rendus à la population algérienne. A ce titre, il convient, de se poser la question sur l’efficacité des transferts sociaux, souvent mal gérés et mal ciblés, ne s’adressant pas toujours aux plus démunis et en raison de la faiblesse du système d’information le système algérien tant salarial que celui de la protection sociale est diffus, ne cernant pas clairement les liens entre les perspectives futures de l’économie algérienne et les mécanismes de redistribution devant assurer la cohésion sociale, à travers une redistribution passive de la rente des hydrocarbures sans vision stratégique. Cela explique que selon plusieurs rapports internationaux l’Algérie dépense deux fois plus pour avoir deux fois moins de résultats que certains pays de la région MENA.

3.-La lutte contre la corruption n’est pas une question de lois ou de commissions (l’Algérie ayant les meilleurs textes du monde). Ce sont les pratiques d’une culture dépassée, l’expérience en Algérie montrant clairement que les pratiques sociales quotidiennement contredisent le juridisme. Il s’agira de quantifier sérieusement ces transferts illicites de devises qui portent atteinte à la sécurité nationale, d’où l’urgence de cerner l’essence de le terrorisme bureaucratique qui produit la sphère informelle et la corruption. Comment mobiliser les citoyens au moment où certains responsables au plus haut niveau ou leurs proches sont impliqués ou supposés impliqués dans les scandales financiers et peuvent-ils avoir l’autorité morale auprès tant de leurs collaborateurs que de la population algérienne ? En fait, la lutte efficace contre la corruption implique d’avoir un système judiciaire indépendant avec une moralité sans faille des juges, d’éviter les luttes d’influence des différentes institutions de contrôle tant techniques que politiques concernant l’utilisation des deniers publics. La mise en place du contrôle est tributaire d’un management efficace des institutions, des comptabilités publiques claires et transparentes pour la rationalisation des choix budgétaires afin d’optimiser l’effet de la dépense publique, les universités et les centres de recherche étant interpellés pour produire des instruments de calculs adéquats.

La pleine réussite de cette entreprise qui dépasse largement le cadre strictement technique, restera tributaire largement d’un certain nombre de conditions dont le fondement est la refonte de l’Etat au sein d’une économie mondiale de plus en plus globalisée et des grands espaces, et une concertation permanente entre les différentes forces sociales politiques, économiques et sociales. En fait, la lutte contre la corruption implique un véritable Etat de droit une nouvelle gouvernance si l’on veut combattre efficacement la corruption qui gangrène le corps social. Sans l’amélioration de la gouvernance locale et centrale comme j’ai eu à le démontrer dans une récente interview à l’American Herald Tribune(1), où une question m’a été posée sur la corruption en Algérie, cela suppose une grande moralité de ceux qui dirigent la Cité, sinon les discours équivalent à des slogans creux et il ne faut pas s’attendre à une dynamisation de la production et des exportations hors hydrocarbures. Cela ne date pas d’aujourd’hui car ayant eu à diriger en tant que directeur général des études économiques et haut magistrat comme premier conseiller à la Cour des comptes, pour la présidence de l’époque le dossier du bilan de l’industrialisation entre 1965 et 1978 du programme de l’habitat en relations avec le ministère de l’Intérieur et tous les walis nous avons constaté d’importants surcoûts par rapport aux normes internationales. Il en est de même du dossier des surestaries en relation avec le ministère du Commerce. J’avais conseillé à la Présidence de l’époque d’établir un tableau de la valeur en temps réel, reliant toutes les institutions concernées aux réseaux internationaux (prix, poids, qualité) , tableau qui malheureusement n’a jamais vu le jour du fait que la transparence des comptes s’attaquait à de puissants intérêts occultes. En résumé, l’Algérie sera ce que les Algériennes et les Algériens voudront qu’elle soit. Avec la corruption combinée à la détérioration du climat des affaires, selon la majorité des rapports internationaux, il est utopique de parler d’une véritable relance économique. Au sein d’un monde turbulent et instable préfigurant d’importants bouleversements géostratégiques, le futur défi de l’Algérie, -elle a les potentialités de sortie de crise, et elles sont énormes-, sera d’avoir une nouvelle gouvernance, une visibilité dans la démarche des réformes structurelles indispensables conciliant efficacité économique, une très profonde justice sociale et une nouvelle architecture institutionnelle reposant sur une réelle décentralisation et le retour à la confiance, sans laquelle aucun développement n’est possible, devant s’éloigner de la mentalité rentière et de réhabiliter le travail et l’intelligence.

rofesseur et expert international Dr Abderrahmane Mebtoul

(ademmebtoul@gmail.com)