Par Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités
La population algérienne a assisté à de nombreuses promesses de ministres, sans concrétisation depuis des années où les prix des voitures d’occasion ont plus que doublé avec une pénurie de pièces détachées dont le prix a plus que triplé. Face à cette situation, je constate depuis quelque temps beaucoup de discours et de fausses analyses, s’assimilant à des slogans, sur les importations de voitures d’occasion de moins de trois ans dont il faudra attendre les modalités de la loi de finances 2023, pour une appréciation objective, notamment l’importation au cours officiel du dinar ou au cours sur le marché parallèle, qui risque de flamber et quelles seront par catégories les taxes à la douane.
Selon nos calculs au cours du marché parallèle, 214,5 dinars un euro, cours vente le 15/10/2022, avec le coût du transport, et les taxes douanières qui s’appliquent à la valeur dinar au port, une bonne voiture d’occasion, moyenne, pas moins de 15.000 euros, dépassera les 400 millions de centimes en dinars, pour 20.000 euros 500 millions de centimes, donc inabordable pour la majorité des Algériens, plus de 80% : donc attention à l’euphorie. Quant à l’éventualité d’installation d’usines de voitures en Algérie par des groupes étrangers, en vue de l’exportation et pas seulement pour le marché intérieur afin de couvrir les sorties de devises des composants, notamment la signature du protocole d’accord entre le groupe Stellantis pour des voitures Fiat, le 12 octobre 2022, il y a lieu d’abord de voir si le prix s’adapte au pouvoir d’achat de la majorité des Algériens et surtout de ne pas renouveler les erreurs du passé, les scandales financiers où ces usines de montage de faibles capacités, sans véritable intégration, servaient de boîtes de transferts illicites de devises.
1.- Il y aurait entre 2020/2021, plus de 1,4 milliard de véhicules à moteur et à quatre roues ou plus, en circulation dans le monde et selon les estimations du cabinet Inovev, il se serait vendu environ 78,837 millions de voitures dans le monde en 2021. Qu’en est-il de la production auto mondiale pour 2020 ? La Chine s’est classée premier pays producteur d’automobiles au monde avec plus de 25 millions d’unités produites de janvier à décembre 2020. Les États-Unis et le Japon sont les deux suivants, avec respectivement 19 et 16,7 %. L’Union européenne dans son ensemble a réalisé 18 % de la production mondiale en 2020, contre 20 % en 2019. L’Allemagne se plaçant quatrième du classement des plus gros producteurs au monde, la France se classant 12e du classement et la Grande-Bretagne à la 16e place. La Corée du Sud se retrouve au cinquième plus grand constructeur d’automobiles au monde, cinq ans après l’avoir cédée à l’Inde. Voici quelques indications pour l’année 2021 des ventes de voitures au niveau mondial. La marque Audi a vendu 1. 68 millions livraisons dans le monde ; BMW a terminé sur le nombre de 2,21 millions de modèles livrés , Citroën a produit en 2,02 millions ; le groupe Renault a commercialisé 2, 69 millions (VP + VUL), dont 1 428 426 unités en Europe ; Hyundai, selon ses résultats commerciaux, a immatriculé 3, 89 millions dans le monde en 2021 ; les ventes mondiales de Kia ont atteint 2,78 millions d’unités vendues ayant prévu de vendre plus de 3,15 millions de modèles dans le monde en 2022. Mercedes-Benz a comptabilisé 2,10 millions 093 476 voitures vendues en 2021 ; le constructeur japonais Nissan a écoulé 4, 06 millions dans le monde ; Seat a vendu 470 500 en augmentation de 10,3 % par rapport à 2020 avec un accroissement de voitures électriques et hybrides La firme tchèque Skoda du groupe Volkswagen a livré 878 200 véhicules dans le monde en 2021. Tesla a vendu 936 172 unités, soit une hausse de 87 % comparé à 2020. Le constructeur japonais Toyota a immatriculé 10, 49 millions véhicules dans le monde, un chiffre en hausse de 10,1 % par rapport à l’exercice 2020. Selon ses résultats commerciaux annuels, Volvo Cars a vendu de 661 713 ; Volkswagen a terminé l’exercice 2021 sur un volume mondial de 8,9 millions de véhicules. Les ventes totales de véhicules aux États-Unis devraient s’élever à 14,9 millions en 2021, en hausse d’environ 2,5 % par rapport à 2020, General Motors le premier constructeur aux ayant vendu 2,2 millions d’unités. En Chine, on enregistre une hausse de 3,8% en glissement annuel, à 26,28 millions d’unités, selon l’Association chinoise des constructeurs automobiles (CAAM), les ventes de véhicules légers devant atteindre 27,5 millions d’unités en 2022. Pour la Russie qui a importé près de 200 000 voitures en 2021, Lada entreprise russe demeure la première marque locale avec 251 660 immatriculations cumulées en 2021, un volume en progression de 31 %.
2.- Dans cette conjoncture, nous assistons à des restructurations importantes de cette filière avec une concurrence vivace et des ententes entre grands groupes pour contrôler des espaces régionaux, pour atteindre le seuil de rentabilité, il faut au minimum une production entre 250 000 et 300 000 unités par an, avec les actuelles restructurations s’orientant vers de 400 000-500 000 unités /an pour les voitures individuelles et plus de 150 000 -200 000 par an pour les camions/bus. Par ailleurs, pour pouvoir exporter il faut s’adapter aux nouvelles mutations technologiques mondiales devant favoriser les voitures hybrides ou solaire, sinon c’était à terme la faillite. Aucun pays dans le monde n’a dix à vingt constructeurs c’est une aberration unique dans l’histoire, les USA ou les pays européens et asiatiques entre trois et cinq constructeurs. La situation du marché mondial de voitures est évolutive, ce marché étant un marché oligopolistique, fonction du pouvoir d’achat, des infrastructures et de la possibilité de substitution d’autres modes de transport notamment le collectif spécifique à chaque pays selon sa politique de transport, ayant connu depuis la crise d’octobre 2008 d’importants bouleversements, les fusions succédant aux rachats et aux prises de participation diverses. Nous observons deux tendances opposées qui sont en train de se produire en même temps : la localisation de la production sur certaines zones géographiques et sur certains pays et la délocalisation ; et pour ce qui est de la localisation de la production automobile mondiale, elle se concentre régionalement sur trois zones : l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie. De plus, sur chacune d’entre elles, la fabrication est localisée sur certains pays. Ainsi, en Europe, les principaux fabricants sont l’Allemagne, la France, le RoyaumeUni et l’Italie. En Amérique du Nord, la production se concentre majoritairement sur les Etats-Unis, et en Asie. Elle se trouve au Japon et en Corée du Sud. Pour les exportations mondiales d’automobiles, la concentration est encore plus élevée, puisqu’elle est limitée principalement à deux zones : l’Europe et l’Asie. Et que dans un futur proche avec la perte de compétitivité de certains pays au profit de certains pays émergents (Russie, Inde, Chine, Brésil), nous devrions assister à la réorganisation de la production mondiale de véhicules et de toute évidence, les usines qui se maintiendront sur chaque pays seront les plus compétitives, les priorités des dirigeants étant donc : technologie, innovation (robotisation) approche collaborative, meilleures stratégies de succès et environnement.
3.-Précisons que l’Algérie a fait un accord avec un groupe de renom mondial, Stellantis, pour la production de la marque italienne Fiat, qui est le quatrième producteur au niveau mondial, numéro un en Europe, mi-européen (Peugeot, Citroën, Opel, Vauxhall, Fiat, Alfa Romeo, Maserati…), mi- américain (Dodge, Ram, Jeep, Chrysler), avec 408 000 salariés, ayant triplé ses bénéfices environ 13,4 milliards d’euros avec un chiffre d’affaire de 154 milliards d’euros, 6,1 millions de véhicules (1,7 million de moins que prévu, du fait de la pénurie de semi-conducteurs). Cependant, pour le segment de l’accord avec Algérie, selon la Fédération italienne des métallurgistes (FIM-CISL) la production des usines italiennes du groupe Stellantis (ex-PSA et FCA) a baissé pour la quatrième année consécutive en 2021, ayant fabriqué 673 574 véhicules en 2021, contre 717 636 unités en 2020, soit une baisse de 6,1 %, principalement à cause des pénuries de semi-conducteurs. Le parc voitures en Algérie au 1er janvier 2020 avec un vieillissement accéléré du parc, selon l’ONS totalise 6 577 188 avec 18,52% Peugeot, 17,45% Renault 98% Volkswagen, 4,81% Toyota, 3,81% Hyundai et 3,74% Dacia. La structure d’âge est la suivante : les moins de 5 ans représentent 19,32%, entre 5/9 ans 22,08%, les 10/14 ans , 17,22% , les 15/19 ans 22,08% et les 20 ans et plus 19,31%. Donc le parc de voitures en Algérie entre 5/9 ans et 20 ans et plus représente 80,69% et entre 10/14 ans et 20 ans et plus, donc des voitures qui doivent être réformées 58,61%. La répartition est la suivante : voiture touriste 64,55% – camion, 6,46%, camionnette 18,54%, autocar-autobus 1,35%, tracteur routier 1,34%, tracteur agricole 2,52%, véhicule spécial 0,11%, remorque 2,37% et moto 2,76%. Pour les voitures touristes, la moyenne d’âge est de 21,97% entre 15/19 ans et 19,83% 20 ans et plus, les camions respectivement pour la même période 20,39% et 17,40%, les camionnettes 26,15% et 14,43%, autocar –autobus, 22,37% et 13,60% tracteur routier 20,02% et 21,74%, tracteur agricole 20,52% et 21,74%, véhicule spécial 19,12% et 17,05%, remorque 20,26% et 20,29% et moto 5,19% et 44,42%. Aussi, tenant compte du constat que la majorité de la société algérienne est irriguée par la rente des hydrocarbures dont l’évolution des cours détermine fondamentalement le pouvoir d’achat des Algériens. L’on devra répondre à six questions reposant sur des études de marché sérieuses, afin d’éviter le gaspillage des ressources financières. Premièrement, avec le retour de l’inflation qui sera de longue durée par rapport au pouvoir d’achat réel, (alimentaires, habillement notamment plus les frais de loyer et téléphone) et avec le nivellement par le bas des couches moyennes, principaux clients que restera-t-il pour acheter une voiture? Deuxièmement, comment ne pas renouveler les erreurs du passé avec les risques de surfacturation et de transfert indirect de devises, le marché local a-t-il les capacités d’absorption et ces opérateurs, seront-ils capables d’exporter pour couvrir la partie sortie de devises et donc quelle sera la balance devises des unités projetées ? D’autant plus que la majorité des inputs (coûtant plus cher avec le dérapage du dinar officiel tant par rapport à l’euro que du dollar entre 2000/2021, plus de 100% selon l’indice de l’ONS) avec une accélération entre 2022/2024 selon le projet de la loi de finances 2022, seront presque importés devant inclure le coût de transport, également la formation adaptée aux nouvelles technologies et les coûts salariaux. Troisièmement, la comptabilité analytique distingue les coûts fixes des coûts variables quel est donc le seuil de rentabilité pour avoir un coût compétitif par rapport aux normes internationales et aux nouvelles mutations de cette filière ? La carcasse représentant moins de 20/30% du coût total c’est comme un ordinateur, le coût ce n’est pas la carcasse (vision mécanique du passé), les logiciels représentant 70/80%, ces mini-projets seront-ils concurrentiels dans le cadre de la logique des valeurs internationales. On construit actuellement une usine de voitures non pour un marché local, l’objectif du management stratégique de toute entreprise est régional et mondial afin de garantir la rentabilité financière cette filière étant internationalisée avec des sous segments s’imbriquent au niveau mondial où le taux d’intégration local varie entre 30/50%? Quatrièmement, quelle est la situation de la sous-traitance en Algérie pour réaliser un taux d’intégration acceptable qui puisse réduire les coûts où la part du secteur industriel représente moins de 6% du PIB en 2021 dont plus de 95% des micro unités familiales ou Sarl peu innovantes et comment dès lors ces micro-unités souvent orientés vers le marché intérieur, réaliseront le taux d’intégration prévue de 40/50% au bout d’environ trois à cinq années ? Cinquièmement, selon une vision cohérente de la politique industrielle, ne faut-il pas par commencer de sélectionner deux au maximum trois constructeurs avec un partenariat étranger gagnant/gagnant maîtrisant les circuits internationaux avec un cahier des charges précis leur donnant des avantages fiscaux et financiers en fonction de leur capacité, devant leur fixer un seuil de production afin d’éviter que durant cette période certains opérateurs soient tentés dans une logique de rente, d’accroître là, la facture d’importation en devises des composants. Sixièmement, selon une étude de Transport et Environnement (T&E) publiée en 2020 le marché du véhicule électrique en Europe devrait progresser jusqu’à atteindre la moitié de la production automobile totale à l’horizon 2030. Aussi, ces voitures fonctionnent-elles à l’essence, au diesel, au GPLC, au Bupro, hybride ou au solaire, renvoyant d’ailleurs à la politique des subventions généralisées dans les carburants qui faussent l’allocation optimale des ressources. Les nanotechnologies (la recherche dans l’infiniment petit) pouvant révolutionner le stockage de l’énergie, l’avenir appartenant au moteur alimenté par de l’hydrogène gazeux. En conclusion, selon la majorité des experts, étant un marché oligopolistique, le seuil de rentabilité implique une production entre 250 000/300 000 voitures par an pour tenir compte de la forte concurrence. Je ne rappellerai jamais assez que le moteur de tout processus de développement réside dans la recherche développement, que le capital argent n’est qu’un moyen et que sans bonne gouvernance centrale et locale, l’intégration de l’économie de la connaissance, aucune politique économique n’a d’avenir. C’est l’entreprise sans aucune distinction, entreprises publiques, privées nationales et internationales dans le cadre des valeurs internationales, épaulée par le savoir permettant l’innovation permanente, qui crée la richesse. L’industrie automobile doit s’inscrire dans le cadre d’une véritable planification stratégique où cette filière connaît une profonde restructuration au niveau mondial, où les exportations dominantes entre 2025/ 2030 seront les voitures hybrides et électriques, et au-delà de 2030 fonctionnant à l’hydrogène, où les nouvelles technologies influent sur les chaînes de production, les tours à programmation numérique éliminant les emplois intermédiaires où le nombre d’emplois directs et indirects créés devient marginal. Aussi, le gouvernement devra éviter de perpétuer un modèle périmé des années 1980/2010, largement déconnectées des réalités mondiales.
A. M