Forum d’El Moudjahid consacré aux moudjahidate condamnées à mort: La mort ne leur faisait pas peur

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C’était  une rencontre rare, ponctuée par les témoignages poignants des moudjahidate, Zohra Drif Bitat et Zahia Kherfallah, ainsi que les éclairages documentés d’Amar Belkhodja, journaliste et historien, qui œuvre depuis des décennies à restituer la mémoire de ces combattantes de l’ombre.

C’est donc dans une atmosphère chargée d’émotion et de recueillement que le journal El Moudjahid et l’association Machaâl Echahid  avaient organisé, hier  un forum consacré aux moudjahidate condamnées à mort durant la Guerre de Libération nationale. Dès l’ouverture, Amar Belkhodja dresse un tableau bouleversant de ces femmes militantes, souvent oubliées de l’Histoire, qui ont été guillotinées, condamnées à mort ou emprisonnées pour leur engagement indéfectible en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Auteur de plusieurs ouvrages sur la Guerre de Libération, il a recueilli les témoignages de six femmes condamnées à mort par le pouvoir colonial. Il s’agit de Baya Hocine, Djamila Bouhired, Djamila Bouazza, Jacqueline Guerroudj, Djoher Akrour et Zahia Kherfallah. «Elles n’avaient pas peur de mourir. Elles portaient la dignité de l’Algérie enchaînée, mais jamais soumise», déclare l’historien. Belkhodja plaide pour une mémoire humanisée, ancrée dans la douleur, le silence et le courage quotidien, loin des récits officiels trop souvent édulcorés ou incomplètement genrés. Moment fort de la rencontre, l’intervention de Mme Zahia Kherfallah qui honorée lors de ce forum, a profondément marqué l’assistance. Arrêtée en décembre 1957 alors qu’elle militait dans la Zone autonome d’Alger, elle fut condamnée à mort en 1958 par un tribunal militaire français. Dans son témoignage, elle a rappelé avoir écrit à son avocat pour lui refuser toute demande de recours en grâce, affirmant que c’était un droit qu’elle préférait ne pas utiliser, par fidélité à son engagement. «Je n’ai jamais demandé la grâce. J’étais prête à mourir pour l’Algérie libre», confie-t-elle. A l’appui de ses paroles, Amar Belkhodja a lu une lettre authentique qu’elle avait adressée à son avocat à l’époque, dans laquelle elle refusait catégoriquement de solliciter un recours en grâce. Une lettre d’une rare intensité morale : « Cher maître, je m’excuse si mon ton vous parait un peu grave, mais la question pour moi à son importance: Ma grâce. N’y réfléchissez plus. Je ne veux pas la solliciter personnellement et n’aimerais pas que vous la demandiez pour moi. Je ne me sens, en effet, ni vaincue ni coupable. Je suis une prisonnière de guerre et l’armée à laquelle j’appartiens est déjà victorieuse. C’est elle qui doit me libérer ou me venger si je meurs assassinée». Elle y écrivait encore avec calme et fermeté: «Il s’agit de leur honneur, après tout, il n y va que de ma vie». Dans cette lettre, tout comme sa prise de parole, Zahia Kharfallah réaffirme une posture de dignité farouche face à l’occupant. Elle ne quémande ni pardon ni clémence, seulement que la vérité de leur combat soit connue et transmise. Elle résume à elle seule, la grandeur silencieuse de toutes les moudjahidate condamnées à mort. Autre voix essentielle de ce forum, celle de Zohra Drif Bitat, figure historique de la Bataille d’Alger, veuve du défunt président Rabah Bitat. Elle fut arrêtée en septembre 1957 et jugée par un tribunal militaire en 1958. Condamnée à vingt ans de travaux forcés, elle a raconté avec force le climat d’humiliation, de torture et de silence qui a accompagné son incarcération et celle de ses compagnes de cellule, à l’instar et de Djamila Bouhired, figure de résistance devenue universelle. «Nous avons été condamnées, torturées, traînées devant les tribunaux, mais jamais nous n’avons trahi notre serment», lance-t-elle, sous les regards admirateurs. Dans ses écrits publiés depuis la prison, notamment La Mort de mes frères, elle affirme avec clarté: «Nous avons pris les armes pour combattre un système. La sentence ne changeait rien à notre foi en la liberté». En évoquant ses compagnes de détention, à l’exemple de Djamila Bouhired, condamnées à mort pour avoir participé aux attentats de 1956-1957, Zohra Drif Bitat rappelle que ces femmes ont porté la Révolution, non pas par goût de la lutte, mais «par devoir, dans une société qui les condamnait doublement, comme militantes et comme femmes». Pour que nul ne soit oublié, ce forum, au-delà de l’hommage, constitue un acte de réparation symbolique. À travers les voix de Zohra Drif Bitat, Zahia Kherfallah et Amar Belkhodja, il rappelle que la Guerre de Libération fut aussi féminine, discrète, courageuse. Et que désormais, il revient aux institutions, aux historiens, aux enseignants et aux journalistes de faire vivre cette mémoire, non pas pour figer le passé, mais pour nourrir les consciences des générations à venir.

T.M

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