Madrid a planché, hier, sur les mesures à adopter en cas de suspension partielle de l’autonomie de la Catalogne pour répondre au défi indépendantiste, un plan qui pourrait prévoir des élections régionales dès janvier. «Nous avons atteint une situation limite» en Catalogne, a déclaré, ce vendredi, le chef du gouvernement Mariano Rajoy, à l’issue d’un sommet de l’Union européenne à Bruxelles où il a précisé que les mesures seraient annoncées, aujourd’hui, après avoir assuré que son cabinet avait tout fait «pour ne pas arriver à une situation difficile».
Quelques heures plus tôt, des centaines de Catalans avaient imaginé une nouvelle manière de protester : retirer de l’argent. Objectif, selon eux, dénoncer la «répression» de Madrid et le transfert de sièges sociaux de banques hors de la région que le gouvernement a facilité en faisant en masse des retraits symboliques ou importants. Grâce à l’article 155 de la Constitution, Madrid pourrait assumer directement des compétences dévolues à la région, un sujet très sensible en Catalogne, où une grande partie des 7,5 millions d’habitants tient beaucoup à l’autonomie. En cas de nécessité la liste des mesures sera votée au Sénat fin octobre avec le soutien du Parti socialiste et des libéraux, au nom d’un «pacte national pour l’unité». Le Parti socialiste (PSOE) souhaite limiter au maximum l’intervention de l’Etat. «Le prestige de notre Etat de droit est en jeu», a déclaré la responsable socialiste Carmen Calvo, associée aux travaux sur le sujet. D’autre part, le gouvernement et les socialistes ont confirmé qu’en tête des priorités figurait l’organisation d’élections en Catalogne, en principe une compétence du président régional, qui serait alors reprise par l’Etat.
«La logique veut que ce processus débouche sur des élections», a déclaré le porte parole du gouvernement Inigo Mendez de Vigo
Ces élections anticipées pour renouveler le Parlement régional -dominé depuis septembre 2015 par les indépendantistes qui avaient obtenu 47,8% des suffrages permettraient de laisser les Catalans s’exprimer. Selon le quotidien en ligne eldiario.es, l’idée est qu’elles se tiennent en janvier. Calvo a confirmé cette information d’un simple «oui». Les élections semblent dans tous les cas la voie privilégiée pour mettre fin à une crise qui divise aussi profondément les Catalans. Des sources gouvernementales avaient déclaré mercredi que si Puigdemont acceptait de convoquer ces élections lui-même, Madrid renoncerait à l’application de l’article 155. Le numéro trois du parti conservateur au pouvoir, Fernando Martinez-Maillo, a insisté, hier, sur le fait que jusqu’à la dernière minute il restait «une marge» pour éviter la mise sous tutelle de la Catalogne. Les indépendantistes accusent l’Etat espagnol de bafouer leurs droits, en premier lieu «le droit de vote», alors qu’ils réclament depuis 2012 la tenue d’un référendum d’autodétermination. Le 1er octobre, ils ont organisé un référendum, interdit par Madrid, qu’ils disent avoir emporté avec 90% des voix et une participation de 43%. Lundi, deux figures de l’indépendantisme en Catalogne, Jordi Cuixart et Jordi Sanchez, les dirigeants d’Omnium et de l’ANC, ont été placées en détention pour sédition. La perspective d’une sécession inquiète cependant les milieux d’affaires, qui font aussi pression sur Puigdemont. L’inquiétude pousse 1200 sociétés a transféré leur siège social. Le gouvernement espagnol a tenté une proposition de dernière minute, mercredi, pour surmonter la crise avec les dirigeants séparatistes catalans, laissant entendre qu’il renoncerait à sa menace de suspendre l’autonomie de la région si des élections régionales étaient convoquées. Alors que les heures filaient à vive allure vers la fin de l’ultime délai laissé au président séparatiste catalan Carles Puigdemont pour renoncer à toute velléité d’indépendance. Puigdemont a rencontré dans la soirée la direction de son parti, le PdeCat et celui-ci l’a encouragé à déclarer l’indépendance en cas de refus de dialogue de Madrid, selon Marta Pascal, sa coordinatrice générale.
Le gouvernement espagnol de son côté a laissé entendre un peu plus tôt sa disposition à accepter une solution qui permettrait au président séparatiste de sortir la tête haute du conflit qui semble être devenu inextricable
«S’il (Carles Puigdemont), convoque des élections, et selon les modalités envisagées, cela pourrait être considéré comme un retour à la légalité», a déclaré une source gouvernementale. Ainsi, les Catalans pourraient s’exprimer dans les urnes et renouveler leur Parlement, où les indépendantistes ont 72 députés sur 135. Dans la soirée, le club par excellence des Catalans, le FC Barcelone avait déployé au Camp Nou une grande banderole, appelant «au respect et au dialogue». Auparavant, le gouvernement avait brandi la menace d’une suspension de l’autonomie de la Catalogne. Faute de réponse satisfaisante «Puigdemont provoquera l’application de l’article 155 de la Constitution» qui permet de suspendre l’autonomie, a assuré la numéro deux du gouvernement espagnol, Soraya Saenz de Santamaria, tandis que Rajoy l’a invité à se montré «censé».
La plus grave crise politique en Espagne depuis que le pays est redevenu démocratique en 1977 pourrait donc déboucher sur une reprise en main par le gouvernement central d’une de ses plus riches régions, où vivent 16% des Espagnols, pour éviter une déclaration d’indépendance risquant de déstabiliser l’Europe
Mais la mesure pourrait aussi provoquer une vive agitation dans la région, où les manifestations se succèdent depuis plusieurs semaines et certains à Madrid craignent même que les indépendantistes radicaux ne cherchent à «paralyser la Catalogne», représentant 20% du PIB de l’Espagne. Une enquête effectuée par le syndicat patronal Pimec, dédié aux PME, montre qu’environ 1300 entreprises de moins de 250 employés ont décidé de déménager leur siège social, sans avoir encore forcément lancé les formalités administratives. Près de 35% des entreprises interrogées estiment que la crise actuelle leur nuit économiquement et 19% assurent avoir gelé leurs investissements ou avoir l’intention de le faire. Environ 2% des sociétés, soit 2600 entreprises, expliquent aussi avoir changé de banque ces dernières semaines, sans qu’il soit précisé s’il s’agit d’un transfert d’une banque catalane vers une banque située ailleurs en Espagne. «La Catalogne fournit l’Espagne, mais l’Espagne achète aussi, ou vend à la Catalogne. Dans les produits fabriqués en Catalogne, un bon pourcentage (des ingrédients) est acheté dans d’autres régions d’Espagne. Si on entre dans une dynamique de boycottage, cela nous fera du mal à tous», a-t-il prévenu. Le gouvernement espagnol a revu ses prévisions de croissance pour 2018, à 2,3% au lieu de 2,6%, prévoyant une baisse de la demande entraînée par l’incertitude générée par la crise.