Examen de l’avant-projet du code des investissements en Conseil des ministres le 8 mai 2022: Son opérationnalité implique des changements de l’écosystème, évitant le terrorisme bureaucratique et le changement périodique de cadres juridiques, afin de libérer les énergies créatrices

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Dans l’attente de nombreux investisseurs, après avoir été rejeté plusieurs fois par le président de la République, demandant de lever les verrous bureaucratiques et d’assurer la stabilité juridique, le code des investissements a été réétudié par le Conseil des ministres le 8 mai 2022. Mais, pour qu’il soit vraiment efficace, c’est tout l’écosystème éco-social du pays qu’il faudrait revoir.

Par Abderrahmane Mebtoul Professeur des universités, expert international docteur d Etat 1974

Car depuis de longues décennies, combien de codes d’investissements, de réunions, de commissions ont eu lieu pour relancer le tissu économique. Pourtant, jusqu’à présent, 98% des recettes en devises proviennent toujours de Sonatrach, ce qui prouve que ces différentes rencontres n’ont eu aucun impact sur le terrain et que le blocage est d’ordre systémique. C’est l’entreprise libérée des entraves et un Etat régulateur qui peuvent créer une économie productive à forte valeur ajoutée. Il faut donc bien cerner les causes du blocage car si les investissements algériens ne trouvent pas intérêt à aller vers la production nationale, vers la création de l’emploi, faut-il s’étonner, ou encore moins, s’attendre à ce que les investisseurs étrangers, qu’il y ait la règle du 51/49 ou même l’inverse, fassent preuve de plus d’engagement ?

1. L’attrait de l’investissement à forte valeur ajoutée ne saurait résulter de lois mais d’une réelle volonté politique allant vers de profondes réformes, une stabilité du cadre juridique et monétaire permettant la visibilité, et les pays qui attirent le plus les IDE n’ont pas de codes d’investissement, mais une bonne gouvernance (notre interview au quotidien gouvernemental Horizon du 07/05/2022). Mon expérience et mes contacts internationaux aux plus hauts niveaux montrent : que le temps est terminé, des relations personnalisées entre chefs d’État ou de ministres à ministres dans les relations internationales où dominent désormais les réseaux décentralisés ; que dans la pratique des affaires n’existent pas de sentiments mais uniquement des intérêts, et que tout investisseur est attiré par le profit, qu’il soit américain, chinois, russe, turc ou européen. Il appartient ainsi à l’État régulateur, dont le rôle stratégique en économie de marché s’apparente à celui d’un chef d’orchestre, de concilier les coûts privés et les coûts sociaux. C’est par la méconnaissance des nouvelles règles qui régissent le commerce international que s’expliquent les nombreux litiges internationaux, avec des pertes se chiffrant en dizaines de millions de dollars. C’est que depuis plus de 60 ans nous avons assisté à bon nombre de codes d’investissement et des changements de l’écosystème des entreprises publiques avec un impact mitigé. Avant 1965, la forme d’autogestion était privilégiée ; de 1965 à 1980, nous avons eu de grandes sociétés nationales et de 1980 à 1988, il y a eu leur restructuration et découpage des grandes sociétés nationales. Comme conséquence de la crise de 1986 qui a vu le cours du pétrole s’effondrer, des réformes timides sont entamées en 1988 : l’État crée 8 fonds de participation, chargés de gérer les portefeuilles de l’Etat. En 1996, l’État crée 11 holdings en plus des 5 régionaux, avec un Conseil national des privatisations dissous fin 1999; en 2000, nous assistons à leur fusion en 5 méga holdings ; en 2001, nouvelle organisation : on crée 28 sociétés de gestion des participations de l’État (SGP), en plus des grandes entreprises considérées comme stratégiques; en 2004, ces SGP sont regroupées en 11 et 4 régionaux.

En 2007, une nouvelle organisation est à nouveau proposée par le ministère de l’Industrie et de la Promotion des investissements, articulée autour de quatre grands segments : des sociétés de développement économique qui relèvent de la gestion exclusive de l’État gestionnaire; des sociétés de promotion et de développement en favorisant le partenariat avec le secteur privé international et national; des sociétés de participation de l’État appelées à être privatisées à terme et, enfin, une société chargée de la liquidation des entreprises structurellement déficitaires. Cependant, en 2008, cette proposition d’organisation est abandonnée et est émise en 2009 l’idée de groupes industriels. Aujourd’hui, depuis 2018-2021, on semble revenir aux tutelles ministérielles laissant peu d’autonomie aux entreprises, montrant clairement la dominance de la démarche administrative et bureaucratique au détriment de la démarche opérationnelle économique, ces changements périodiques d’organisation démobilisent les cadres du secteur économique public, les investisseurs locaux et étrangers avec le renforcement de la dynamique rentière, et cela bloque tout transfert de technologique et managérial.

2.-La règle des 51/49 instaurée en 2009, dont j’avais demandé l’abrogation (voir Mebtoul- Paris Africapresse et aux USA par American Herald Tribune www.google 2009/2010) et que le gouvernement actuel a décidé d’assouplir, n’a pas permis de freiner les importations, ni de réaliser le transfert technologique et managérial, ayant favorisé les délits d’initiés de certains oligarques. Un bilan serein s’impose avec une réponse précise : dans quels secteurs les quelques participations sont-elles eu lieu et ont- elles permis l’accroissement de la valeur ajoutée, sachant que la croissance de par le monde repose sur l’entreprise initiée aux nouvelles technologies, se fondant sur l’économie de la connaissance à travers des réseaux décentralisés. Quel est le gain en devises, ou alors quel est le montant des surcoûts supportés par l’Algérie ? Car l’évolution des relations économiques internationales montre que ce qui était stratégique hier peut ne pas l’être aujourd’hui, ni demain – exemple: les télécommunications, l’observation des grands espaces mondiaux montrant clairement que seules quelques grandes firmes contrôlent les circuits du commerce mondial, étant impossible aux opérateurs algériens de pénétrer le marché sans un partenariat gagnant/gagnant. L’essentiel, ce ne sont donc pas les lois, mais de s’attaquer au fonctionnement du système afin de déterminer les blocages qui freinent l’épanouissement des entreprises créatrices de richesses, qu’elles soient publiques, privées locales ou internationales. L’investissement hors hydrocarbures en Algérie, porteur de croissance et créateur d’emplois, est victime de nombreux freins dont les principaux restent l’omniprésence de la bureaucratie et la corruption qui freinent la mise en œuvre d’affaires, ainsi que l’extension de la sphère informelle qui contrôle plus de 40% de la masse monétaire en circulation. Le terrorisme bureaucratique représente à lui seul plus de 50 % des freins à l’investissement, son élimination implique l’amélioration de la gouvernance et une plus grande visibilité et cohérence dans la démarche de la politique socio-économique. Enjeu politique majeur s’impose la réforme du système financier, puisque les banques publiques, qui continuent à accaparer 90 % des crédits octroyés, ont carrément été saignées par les entreprises publiques du fait d’un assainissement qui, selon les données récentes (2021), a coûté au Trésor public du Premier ministère ces trente dernières années environ 250 milliards de dollars, sans compter les réévaluations répétées durant les dix dernières années de plus de 65 milliards de dollars, entraînant des recapitalisations répétées des banques malades de leurs clients. Enfin comme frein à l’investissement hors hydrocarbures, l’absence d’un marché foncier où la majorité des wilayas livrent des terrains à des prix exorbitants, souvent sans utilités (routes, téléphone, électricité/gaz, assainissements, etc.) et l’inadaptation du marché du travail à la demande, renvoyant à la réforme du système socio-éducatif et de la formation professionnelle, si l’on veut éviter des usines à fabriquer de futurs chômeurs.

3.-Aussi évitons de fausses promesses à court terme car si les projets du fer de Gara Djebilet et du phosphate de Tébessa commencent leur production fin 2022, pour l’instant pas de concrétisation mais que des lettres d’intention, l’investissement de ces deux projets étant estimé à environ 15 milliards de dollars, tandis que le coût du projet du gazoduc Nigeria/Algérie est estimé à plus de 20 milliards de dollars par l’Europe, la rentabilité ne se fera pas avant 2027/2030. La dévaluation du dinar coté en avril 2022 plus de 140 DA un dollar contre 5 DA pour un dollar en 1970), et selon les prévisions de l’exécutif, le taux de change du dinar sera de 149,3 DA pour un dollar l’an prochain, de 156,8 DA/dollar en 2023 et 164,6 DA/dollar en 2024, malgré cette dévaluation, contrairement à l’illusion monétaire, cela n’a pas permis de dynamiser les exportations, dont 97-98 % des recettes en devises proviennent toujours de Sonatrach, sur les 34,5 milliards de dollars de recettes de Sonatrach en 2021, plus de 2,5 milliards de dollars de recettes comptabilisées dans la rubrique hors hydrocarbures. Ce dérapage du dinar permet d’atténuer artificiellement le montant de ce déficit budgétaire prévu par la loi de finances 2022 est d’environ 4175 milliards de dinars (au cours de 137 dinars un dollar au moment de l’élaboration de cette loi ), soit 30,50 milliards de dollars, 8 milliards de dollars de plus qu’en 2021, par une épargne forcée accélérant l’inflation qui risque avec l’inflation importée d’avoir un taux à deux chiffres en 2022, où la majorité des prix des produits non subventionnés ont plus que doublé, avec des incidences négatives sur le pouvoir d’achat. Comment ne pas rappeler que l’Algérie a engrangé plus de 1100 milliards de dollars en devises entre 2000 et 2021, avec une importation de biens et services, toujours en devises, de plus de de plus de 1050 ( le solde étant els réserves de change clôturé à 44 milliards de dollars au 31/12/2021) pour un taux de croissance dérisoire de 2-3 % en moyenne, alors qu’il aurait dû se situer entre 9-10 % durant cette période, excepté l’année 2020 du fait de l’impact du coronavirus qui a vu un taux de croissance négatif de 5%.

4.- L’Algérie, pays à fortes potentialités, acteur stratégique de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine, n’a pas besoin de louanges mais d’un langage de la vérité afin de ne pas renouveler les erreurs du passé et redresser l’économie nationale. Tous les gouvernements depuis des décennies ont généralisé les emplois rentes improductifs, les subventions, source de gaspillage croissant des ressources financières du pays, où selon les prévisions pour 2022, les subventions implicites, constituées notamment de subventions aux produits énergétiques et des subventions de nature fiscale, représentent environ 80 % du total des subventions, étant prévu 1942 milliards de dinars, 19,7 % du budget de l’État en 2022. C’est là un dossier très complexe que le gouvernement a décidé de revoir. Mais sans maîtrise du système d’information et la quantification de la sphère informelle, la réforme risque d’avoir des effets pervers. C’est dans ce cadre que j’ai adressé une correspondance aux responsables de la région MENA du FMI et de la Banque mondiale, à Washington, en tant qu’expert international sur le rapport du FMI d’avril 2022 sur l’Algérie demandant des éclaircissements sur la méthodologie et les hypothèses de calcul notamment du calcul du taux de chômage : a-t-on inclus les emplois rente improductifs, les emplois temporaires non productifs et la sphère informelle spéculative, en précisant qu’ un taux de croissance se calcule par rapport à la période précédente : un taux élevé en T2 par rapport à un taux faible en T1 donne un taux relativement faible. Comment peut-on annoncer une baisse du taux de chômage avec une croissance si faible en 2022 de 2,4% approchant le taux de croissance démographique, selon l’ONS entre 1,8 et 2% et que plus de 70% des unités initiées par l’ex ANSEJ sont en difficultés, ne pouvant rembourser leurs dettes? Car, uniquement dans le BTPH en 2021, il y a eu destruction selon les organisations patronales de plus de 500 000 sans compter la léthargie de bon nombre de PMI/PME fonctionnant en sous capacités, qu’il faille un taux de croissance sur plusieurs années de 8/9% pour absorber le flux additionnel annuel de 350 000/400 000 emplois qui s’ajoute au taux de chômage actuel. La réponse que je viens de recevoir des experts internationaux est que tous les rapports du FMI reprennent dans leurs lignes directrices, les rapports transmis par les gouvernements respectifs dont celui de l’Algérie par le ministère des Finances algérien au FMI , ce qui montre comme l’a maintes fois dénoncé le président de la république l’effritement du système d’information en Algérie. Mais cela ne dédouane pas le FMI qui aurait dû procéder à des tests de cohérence au vu des indicateurs macroéconomiques et macro-sociaux transmis.En résumé, il faut mettre fin à ces longs circuits bureaucratiques où c’est le bureaucrate qui décide de la fiabilité du projet lieu du véritable investisseur renforçant la corruption et la confiance, sans laquelle aucun développement n’est possible. Un nouveau code d’investissement en Algérie, sans vision stratégique, une nouvelle gouvernance, conciliant efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale – supposant une profonde moralité de ceux qui dirigent la Cité – aura un impact mitigé. Le dépassement de l’entropie actuelle, les tensions géostratégiques à nos frontières, où de nouvelles reconfigurations se dessinent, surtout avec les tensions en Ukraine où le monde ne sera plus jamais comme avant, pose la problématique de la sécurité nationale.

A. M.

(ademmebtoul@gmail.com)