En ces moments de tensions géostratégiques pour le redressement national: Méditons l’action du défunt Ferhat Abbas

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Ferhat Abbas
Ferhat Abbas (1899-1985) de son vrai nom Ferhat Mekki Abbas est né à Taher dans la wilaya de Jijel, le 24 août 1899

Par Pr Abderahmane Mebtoul

Ferhat Abbas (1899-1985) de son vrai nom Ferhat Mekki Abbas est né à Taher dans la wilaya de Jijel, le 24 août 1899. Le riche parcours du défunt, le militant de la première heure, le militant, le politique et l’intellectuel Ferhat Abbas, est à méditer en ces moments de tensions géostratégiques, où un large front national tenant compte de toutes les sensibilités s’impose pour le redressement national, personne n’ayant le monopole du patriotisme.

1- Dans ses différents écrits, pour ce grand militant de la cause nationale, le monde, et pas seulement l’Algérie, traverse une crise multidimensionnelle politique, économique, sociale et culturelle, qui rend urgent un nouvel ordre international. Comme stratégie d’adaptation au plan interne, il préconisait la refondation de l’Etat, à ne pas confondre avec le concept de régime, n’existant pas d’État standard, mais que des équipements anthropologiques qui le façonnent largement influencés depuis les années par les nouvelles mutations mondiales et ce, afin de  concilier la modernité et notre authenticité, l’efficacité économique et une profonde justice sociale, afin de redonner confiance, condition de la symbiose, entre l’Etat et les citoyens grâce au dialogue fécond et productif.

Dès lors, des stratégies d’adaptation politique, militaire, sociale, culturelle et économique doivent tenir compte de l’innovation destructrice, en ce monde turbulent et instable pour reprendre l’expression du grand économiste Joseph Schumpeter dans son ouvrage universel «Réformes et démocratie». D’où l’urgence de restructurer tant le système partisan, que la société civile loin de toute action autoritaire. Car lorsqu’un pouvoir émet des lois qui ne correspondent pas à l’État de la société, celle-ci émet ses propres lois qui lui permettent de fonctionner accentuant le divorce Etat-citoyen par la dominance de l’informel, à tous les niveaux politique, économique, social et culturel. Tout pouvoir a besoin d’une opposition forte organisée avec des propositions productives pour se corriger, devant l’associer dans les grandes décisions qui engagent l’avenir du pays.

L’Algérie a besoin pour éviter la léthargie et la stérilité que tous ses enfants, dans leur diversité, par la tolérance des idées d’autrui, se regroupent au sein d’un même objectif, à savoir le développement économique et social tenant compte de la dure réalité mondiale où toute Nation qui n’avance pas, recule forcément. L’Algérie a besoin d’un consensus minimum qui ne saurait signifier unanimisme signe de la décadence de toute société. Il faut revenir aux fondamentaux de la démocratie. Nous devons apprendre à nous respecter, personne n’ayant le monopole du patriotisme, devant tolérer les idées d’autrui.

2- Dans ce cadre, comme je l’ai souligné depuis des années dans plusieurs contributions nationales et internationales, j’estime que les analyses et propositions du défunt Ferhat Abbas sont d’une brûlante actualité. En cette année 2022 où l’Algérie se cherche pour une sortie de crise, la relecture de son action militante et de ses Mémoires peut être très instructive à la fois pour le pouvoir et l’opposition. C’est un militant de la première heure de la cause nationale.

Diplômé docteur en pharmacie en 1933, il s’établit à Sétif où il devient rapidement une importante figure politique de par son statut de conseiller général en 1934, conseiller municipal en 1935 puis délégué financier. Il adhère à la «Fédération des élus des musulmans du département de Constantine» en tant que journaliste au sein de son organe de presse, L’hebdomadaire. Il devient le promoteur de l’Amicale des étudiants musulmans d’Afrique du Nord, dont il est vice-président en 1926-1927, puis président de 1927 à 1931, date à laquelle il transforme l’Amicale en association. Il est également élu vice-président de l’Unef lors du congrès d’Alger de 1930. Le 14 mars 1944 il crée l’Association des Amis du manifeste de la liberté (AML) soutenu par le cheikh El Ibrahimi de l’Association des oulémas et Messali Hadj.

En septembre 1944, il crée l’hebdomadaire Égalité (avec pour sous-titre Egalité des hommes -Égalité des races- Égalité des peuples). Au lendemain des émeutes de Sétif de mai 1945, tenu pour responsable, il est arrêté et l’AML est dissoute. Libéré en 1946, Ferhat Abbas fonde l’Union démocratique du manifeste algérien (Udma).

En juin, le parti obtient 11 des 13 sièges du deuxième collège à la seconde Assemblée constituante et Ferhat Abbas est élu député de Sétif. Après le refus à deux reprises de son projet sur le statut de l’Algérie, il démissionne de l’Assemblée en 1947». Dès le 20-Août 1956, à l’issue du congrès de la Soummam, il devient membre titulaire du CNRA (Conseil national de la Révolution algérienne), puis entre au CCE (Comité de coordination et d’exécution) en 1957.

Ferhat Abbas devient ensuite président du 1er Gouvernement provisoire de la République algérienne (Gpra) à sa création le 19 septembre 1958, puis du second Gpra, élu par le Cnra en janvier 1960 et démissionne le 15 septembre 1963 pour essentiellement des raisons d’option à la fois politique et économique.

3- C’était un intellectuel de haut niveau, dont les écrits et prises de position lui vaudront un emprisonnement à Adrar entre 1963 et mai 1965 ; assigné à résidence entre mars 1976 et le 13 juin 1978. Il publie en 1980 ses mémoires dans Autopsie d’une guerre puis en 1984, dans L’indépendance confisquée, il dénonce la bureaucratisation de la société et la corruption.

Or, nous sommes en 2016 et ce sont toujours ces problèmes qui font l’actualité en Algérie. Il croyait fermement au primat de la connaissance sur la distribution de la rente, auteur de nombreux ouvrages et publications nationales et internationales dont Le Jeune Algérien dans lequel il dénonce notamment 100 ans de colonisation française où il insiste sur «l’Algérianité».

Je le cite :  «Nous sommes chez nous. Nous ne pouvons aller ailleurs. C’est cette terre qui a nourri nos ancêtres, c’est cette terre qui nourrira nos enfants. Libres ou esclaves, elle nous appartient, nous lui appartenons et elle ne voudra pas nous laisser périr. L’Algérie ne peut vivre sans nous. Nous ne pouvons vivre sans elle. Celui qui rêve à notre avenir comme à celui des Peaux-Rouges d’Amérique se trompe. Ce sont les Arabo-Berbères qui ont fixé, il y a 14 siècles, le destin de l’Algérie. Ce destin ne pourra pas demain s’accomplir sans eux (La nuit coloniale Julliard, Paris, 1962).» Mais en homme politique, tout en préservant les intérêts supérieurs du pays, il préconisait pour l’Algérie la nécessité de s’adapter aux nouvelles mutations mondiales.

4- Lors d’une large tournée dans les universités algériennes, aux Etats-Unis d’Amérique et en Europe  lors de différentes conférences internationales, j’ai tenu à lui rendre un vibrant hommage étant un défenseur de l’économie de marché à vocation sociale, en fait un social-démocrate, étant contre l’étatisme bureaucratique et un capitalisme sauvage et ce, grâce à un Etat puissant régulateur mais fort que par sa moralité, l’Etat de droit et la démocratie tenant compte de notre anthropologie culturelle. Pour cela, il préconisait le dialogue permanent entre les différentes forces politiques, sociales et économiques sans exclusive condamnant toute forme d’extrémisme en insistant sur la participation citoyenne, dont la femme à la gestion de la Cité. Pour ce politique et intellectuel, le contrat social, privilégiant avant tout les intérêts supérieurs de l’Algérie. Il a mis en exergue la nécessité de lutter contre la corruption, les responsables devant donner l’exemple, qui selon lui constitue le plus grave danger qui menacerait le devenir du pays mettant fin aux actions autoritaires bureaucratiques qui produisent cette corruption et freinentla prospérité de l’Algérie. Dans son programme largement publié au niveau national et international en arabe, anglais, français, l’Association nationale de développement de l’économie de marché (ADEM) (Agrément 63/92 du ministère de l’Intérieur) dont j’ai eu l’honneur d’être son président de 1992 à 2016, qui avait regroupé cadres, entrepreneurs publics/privés créateur de richesses et non des prédateurs, universitaires, différents segment de la  société civile de toutes les régions du pays avait tenu en 1992 lui rendre hommage, dans sa préface, reprenant les axes directeurs de ses écrits : LES LIBERTÉS ET TOUTES LES LIBERTÉS (politique, économique, sociale et culturelle, existant des liens dialectiques entre les libertés politiques, économiques et sociales. Ce que l’on appelle aujourd’hui bonne gouvernance. Espérons que son action soit longuement méditée au profit exclusif du devenir de l’Algérie.