Elections du 14 mai 2023: Face aux tensions géostratégiques et à la situation économique, quelles perspectives pour la Turquie ?

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Le 14 mai, 60 millions de Turcs sont appelés à voter pour élire le président de la République et les 600 députés, la  Turquie comptant  87 circonscriptions électorales, réparties dans 81 provinces. Les législatives se déroulent en un seul tour avec  un parlement de type monocaméral (à une seule chambre). 

Sur le plan géostratégique  comme le note une étude du FMES (institut de réflexion stratégie) en date du 27 août 2021, la Turquie, dans un environnement très instable avec la volonté d’étendre son influence pour devenir l’acteur de référence dans le jeu de puissance régional, par exemple en Afrique où la  valeur cumulée des projets turcs a atteint 71,1 milliards de dollars  à fin 2021, a pris  conscience  que nous vivons une ère de changement stratégique, le  monde du XXe siècle s’étant  progressivement structuré autour de l’Occident ayant été  bouleversé par un mouvement brutal des plaques tectoniques géopolitiques qui redessine un nouvel équilibre encore incertain. 

Cette présente contribution est un essai sur la situation de l’économie turque entre 2021 /2022.

1 – Le territoire de la République de Turquie se répartit entre l’Asie occidentale soit 97 % de la superficie totale et 83 % de la population, et l’Europe du Sud où la  partie européenne de la située à l’ouest du détroit du Bosphore et du détroit des Dardanelles correspond à 3 % de la superficie totale de la Turquie, mais regroupe 17 % de sa population.  Entourée par l’eau de trois côtés et protégé par de hautes montagnes le long de sa frontière orientale, la Turquie est bordée par huit pays : Bulgarie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, Iran et Syrie lui conférant une position stratégique. Depuis sa fondation, la population de la Turquie est passée de 13,5 millions d’habitants lors du premier recensement de 1927 à 84,7 millions en 2021 et en 2023 la population  augmentera 1 485 230 personnes et à la fin de l’année elle sera 89 681 782 personnes. Avec une structure de 49,9% masculin et 50,1% masculin selon cette enquête, les jeunes âgés de 15 à 24 ans en Turquie représentent 15,6% de la population. Selon le scénario principal des projections démographiques officielles (TURKSTAT, 2022), le taux de croissance de la population continuera à diminuer, avec une population totale qui devrait se stabiliser juste au-dessus de 100 millions vers 2060 et pour la partie jeunes, la tendance au cours des prochaines décennies, serait de 14,8% en 2023, 13,4% en 2040, 11,8% en 2060 et 11,1% en 2080, contre 19,4% en 2000 et 17% en 2010.

2 – Concernant la structure du PIB, entre 2021/2022, la valeur ajoutée de l’industrie turque représente 26,6 % du PIB, contre 63,7 % pour les services, 9,6 % pour l’agriculture, l’économie turque étant  une économie  de marché ouverte à la concurrence internationale. La Turquie enregistre un produit intérieur brut extrapolé pour 2023 à 941 milliards de dollars selon les estimations du FMI. Le taux de croissance a été estimé à 5,3% en 2022 en diminution par rapport à 2021 où ce taux avait atteint 11%. Cette croissance du PIB s’explique pour bon nombre d’experts,  essentiellement par la politique de taux de la Banque centrale qui a soutenu le crédit bancaire. Le principal taux turc a notamment été ramené à 9% en novembre 2022 contre 10,5% précédemment, tandis que la Banque centrale européenne a augmenté ses taux de 2,5 points de pourcentage et la Réserve fédérale américaine de 3,5 points, depuis le printemps 2022. Mais ce choix de politique monétaire a contribué à faire chuter la livre turque de 31,91% depuis le 1er janvier 2022, sachant que la devise avait déjà dévissé de 44% en 2021. Cette politique  de privilégier la croissance au détriment de la stabilité monétaire  semble être révisée où le 24 novembre 2022, le Conseil de la Banque centrale turque a estimé que le taux directeur était arrivé «à un niveau suffisant  et a décidé de mettre fin au cycle de baisse des taux d’intérêt». 

3 – Mais  d’autres facteurs ont contribué à la croissance du PIB : le tourisme, la logistique, et les activités des centres commerciaux, jusqu’alors durement pénalisés par les mesures de restriction décidées pour freiner la pandémie du coronavirus. Le PIB a également été soutenu par le secteur du tourisme : le nombre de touristes a été multiplié par 4. Sur un an au cours du 2e trimestre 2022 pour atteindre presque 12 millions soit quasiment le niveau pré-crise sanitaire, et les recettes touristiques ont progressé de 190,2 %. sur la même période ainsi que le dynamisme d’autres secteurs. Selon les données officiels du gouvernement pour 2022, sans compter le dynamisme dans le BTPH,  les exportations pour le secteur manufacturier ont  atteint 254,2 milliards de dollars  soit une hausse de 13% par rapport à 2021 représentant 25% du PIB et 80% des exportations se classant  à la 11e  en termes de valeur ajoutée derrière la Pologne et  la 6e pour les exportations. Pour l’agriculture, totalisant environ 3 millions de personnes (3076 entreprises agricoles) jouissant de 5,1 millions d’hectares arables, toujours selon les  données gouvernementales,  la part de l’agriculture dans le  PIB  représente 2 milliards de dollars  et pour un volume d’échange  d’environ 30,5 milliards de dollars, les exportations ont été de 17,7 milliards de dollars étant le 2e pays d’Europe, le 9e en termes d’économie agricole et  le premier exportateur de farine au monde. Avec la croissance du PIB, nous avons assisté à une  relative  amélioration du marché de l’emploi sur la période  où le  taux de chômage a poursuivi sa baisse au premier semestre 2022 : de 13,0 % fin 2020, il est passé à 11,2 % fin 2021 puis à 9,8 % en août 2022. Celui des 15-24 ans a suivi la même tendance avec respectivement,

27,0 % puis 22,7 % et enfin 17,3 %. Cependant, au troisième trimestre 2022,  les indicateurs du marché de l’emploi montrent que le taux de chômage augmente en septembre 2022  à 10,1 % contre 9,8 % le mois précédent. Le taux de chômage des 15-24 ans enregistre quant à lui une plus forte augmentation, à 18,9 % en septembre contre 17,3 % en août.

4 – Toutefois, cette orientation de politique monétaire  a induit parallèlement un glissement de la monnaie et partant, de façon directe ou indirecte, une exacerbation des tensions inflationnistes. Selon la Banque mondiale, au cours des 61 dernières années; à fin,  le taux d’inflation des biens de consommation en Turquie a oscillé entre 1,1% et 105,2%.  Au cours de la période d’observation de 1960 à 2021, le taux d’inflation moyen était de 32,0 % par an et au  total, la hausse des prix sur cette période a été de 616,54 millions de pour cent. Un  article qui coûtait 100 livres en 1960 était donc facturé 616,54 millions début 2022. Face aux tensions inflationnistes, le gouvernement turc a décidé de relever le  salaire minimum  au 1er janvier 2023 à 8.500 livres turques net (environ 455 euros), pour la troisième fois en un an.  Autres impacts,  une déplétion des réserves et un dérapage des finances publiques, où  la livre turque a été dépréciée, de 44,0 % par rapport au dollar en 2021 et de 39,8 % depuis le début de 2022, tensions  accentuées par  le conflit en Ukraine, qui a  engendré une hausse des cours internationaux de matières premières, e +85,5 % en octobre pour les prix à la consommation et +157,7 % pour les prix à la production. Avec la hausse  des cours internationaux de matières

premières, et en particulier du gaz et du pétrole dont la Turquie est presque entièrement dépendante, le déficit courant s’est creusé à 39,1 Mds USD en septembre 2022 (4,7 % du PIB) contre 14,0 Mds USD fin 2021 (1,7 % du PIB) avec un impact sur les réserves de change, environ 14,6 Mds USD début novembre 2022  représentant moins d’un demi-mois d’importations. Dans ces conditions, Moody’s et Standard & Poor’s ont dégradé la note de la Turquie. Certes, contrairement à d’autres pays européens avec la récession qui s’annonce pour 2023, connaît une croissance mais avec une inflation à deux chiffres qui paupérise une large fraction de la société. Bien qu’en 2021, le montant de la dette publique est évalué à  221,96 milliards d’euros, montant le plus élevé des 23 dernières années,  avec un déficit budgétaire d’environ TRL 280 mds, soit seulement 2,5% du PIB projeté pour 2022 grâce à une révision en hausse des recettes fiscales, encore que le déficit budgétaire s’est creusé en mars 2023 en raison des tremblements de terre qui ont frappé le pays, ayant atteint 250 milliards de livres turques (près de 13 milliards de dollars) au premier trimestre 2023, ce déficit  et cette dette semblent être maîtrisables étant estimée à 36% du PIB, un taux relativement  faible comparé  à l’importante dette mondiale estimée fin 2022 à 300.000 milliards de dollars  soit 300% du PIB et pour l’Union européenne approchant les 100% contre  86,4% en 2021.

En conclusion,  les élections du 14 mai sont importantes pour l’avenir de la Turquie où en fonction des résultats, elles détermineront les changements et les réformes politiques et économiques, ainsi que les rapports de force au niveau de la société entre les deux visions sur le plan   sociétal  et économique  des deux principaux candidats. Encore que selon bon nombre d’observateurs, quel que soit le résultat, devant tenir compte de la  nouvelle composition du parlement,  il est peu probable un changement notable, du moins  à court terme,  sur  le plan géostratégique.

A. M.