La date du 19 mars 1962, marquant la fin de 132 ans de la colonisation française, a démontré que l’Algérie n’était pas une «création coloniale», mais bien une réalité «historique et géopolitique», a affirmé l’universitaire Mustapha Sadaoui. Dans un entretien accordé à l’APS à l’occasion de la célébration du 60e anniversaire de la fête de la Victoire, l’enseignant en histoire à l’université Akli- Mohand-Oulhadj, de Bouira, a indiqué que «si l’Algérie avait pu renaître de ses cendres après 132 ans de colonisation, cela signifie qu’elle n’était pas une création coloniale, mais une réalité à la fois historique et géopolitique».
Cette réalité, a-t-il ajouté, a permis à l’Algérie de «ressusciter et de reprendre sa place dans le concert des nations», soulignant qu’elle était aussi enracinée dans l’histoire et qu’elle a pu également reprendre sa place comme une «nation libre et un Etat indépendant». Pour le Dr Sadaoui, la seule création coloniale était l’idée de «l’Algérie française», qui, d’ailleurs, «n’a pas duré dans le temps parce qu’elle était une greffe, une transplantation artificielle», a -t-il expliqué. Il a indiqué également que ce projet colonialiste n’avait pas abouti parce qu’il était en «contradiction avec la réalité historique et la réalité géopolitique» et ce, a-t-il dit, malgré des moyens colossaux déployés, durant des décennies de la présence coloniale sur les terres algériennes. Ainsi, la date du 19 mars 1962 qui marque la fin de la guerre décidée au lendemain de la signature des accords d’Evian, signifie beaucoup de choses pour les Algériens, estime encore le Dr Sadaoui, soulignant que malgré les atrocités, les massacres et la misère qu’ils ont vécus sous le joug colonial, ces derniers n’ont pas perdu espoir. Le peuple algérien avait «cultivé l’histoire. Il était persévérant et l’échec pour lui n’était pas fatal», a soutenu l’universitaire, estimant que c’est cela qui permis aux Algériens «d’arracher leurs droits et de recouvrer leur indépendance». La commémoration du 60e anniversaire de la fête de la Victoire peut aussi «nous être d’un grand secours dans notre réalité et dans notre devenir», souligne l’universitaire, affirmant que l’on peut «surpasser les difficultés auxquelles nous faisons face, malgré les défis et les dangers qui nous guettent». Pour pouvoir relever ces défis, l’universitaire a mis l’accent sur la culture de l’histoire, suggérant qu’il faut cultiver encore et toujours la mémoire collective. «Le vrai enjeu à mon avis est de passer de la mémoire à l’histoire», a déclaré le Dr Sadaoui, estimant que c’est la France qui a un «problème de mémoire» et un «dédoublement de personnalité entre la France coloniale et la France révolutionnaire», et que le «bourreau veut jouer le rôle de la victime». Pour l’écriture de l’histoire, il a insisté sur le rôle de l’historien qui doit «interroger les archives», indiquant que ce sont ces «questions qui érigent les traces du passé en sources». L’universitaire a enfin relevé que les Algériens «n’ont pas fait seulement une guerre de libération, mais aussi une Révolution», ajoutant que si la guerre a pris fin en 1962, «la Révolution se poursuit». La guerre était «un jeu fini dans le cadre d’un jeu infini qui est la Révolution», a-t-il opiné, soulignant que contrairement au joueur fini qui est la France coloniale, l’objectif du joueur infini, que sont les Algériens, «n’était pas seulement de gagner la guerre, mais surtout de progresser».
Le négociateur algérien des accords d’Evian était issu de l’école du Mouvement national Le négociateur algérien des accords d’Evian qui a su déjouer toutes les tentatives françaises visant l’atteinte à l’intégrité territoriale et l’affaiblissement de la cause nationale, était issu de l’école du Mouvement national et conscient du phénomène du colonialisme français et ses ravages, a relevé, à Constantine, un universitaire, à la veille de la commémoration du 60e anniversaire de la fête de la Victoire (19 mars 1962). «L’école du Mouvement national a su construire, au début du XXe siècle, depuis l’émergence de l’Organisation spéciale (OS), en 1947 conduite par Mohamed Belouizdad, toute une génération d’Algériens qui saisissaient le phénomène colonial et étaient conscients que le colonialisme français a spolié la terre de nos ancêtres et a œuvré à anéantir les attributs et contours de l’identité algérienne», a précisé à l’APS, le Dr Toufik Ben Zerda, spécialiste en histoire contemporaine à l’université Larbi-Ben M’hidi d’Oum El Bouaghi. Et d’ajouter: «Krim Belkacem, Saâd Dahleb, Réda Malek, Mohamed-Seddik Benyahia, Lakhdar Bentobal, Taïeb Boulahrouf, M’hamed Yazid et les autres négociateurs des accords d’Evian, imprégnés des principes de ce Mouvement, comprenaient la signification de l’indépendance et de la souveraineté nationale, la cohésion entre le peuple algérien et l’édification d’un Etat algérien dans le cadre des principes islamiques». Pour cet universitaire, «l’intransigeance du négociateur algérien s’agissant de la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale, lors des accords d’Evian était le cheminement naturel des hommes pétris par l’amour du pays».
La solidité de l’ALN sur le terrain, l’autre facteur du discernement du négociateur Le Dr Ben Zerda relève également que la solidité de l’Armée de libération nationale (ALN) était un «facteur déterminant» dans l’aboutissement des négociations entre la délégation du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) et le gouvernement français. «Depuis le déclenchement de la Guerre de libération le 1er Novembre 1954, la France coloniale a tenté de présenter la Révolution algérienne comme une question interne, une affaire de revendications sociales mais la solidité de l’ALN et les échecs qu’elle a fait essuyer aux forces coloniales sur le terrain ont conforté le travail des négociateurs algériens», a-t-il soutenu. Et de poursuivre: «La France coloniale qui a lutté de toute sa puissance pour garder l’Algérie ne s’était résignée à s’asseoir autour de la table des négociations qu’après épuisement de toutes les manœuvres pour déstabiliser la partie algérienne». Le Dr Ben Zerda affirme que «la signature des accords d’Evian, fruit d’âpres négociations et qui a mis fin à 132 ans de colonialisme français, a consacré l’unité du peuple et du sol et l’indépendance totale de l’Algérie, se conformant ainsi aux principes de la Déclaration du 1er Novembre 1954.
Les accords d’Evian, une victoire diplomatique pour le négociateur algérien La déclaration du cessez-le-feu, le 19 mars 1962, a constitué une nouvelle victoire pour la glorieuse guerre de libération, qui a renforcé sa lutte armée par l’action politique extérieure et la pression politique continue sur le colonialisme français pour le recouvrement de la souveraineté nationale, ont souligné des universitaires. Des professeurs universitaires ont estimé dans des déclarations à l’APS, que les accords d’Evian ont constitué «une victoire de la diplomatie algérienne, qui s’est manifestée lors des négociations entre le GPRA et le gouvernement français par l’habilité du négociateur diplomatique algérien attaché aux constantes nationales immuables».
Le Pr d’histoire moderne et contemporaine de l’université Ibn Khaldoun, de Tiaret, Mohamed Bellil, a souligné que «le génie du négociateur algérien a permis de réaliser les objectifs de la Proclamation du 1er Novembre, notamment à travers la préservation de l’unité et de la souveraineté nationales entières». Après avoir abordé les différentes étapes des négociations entre la délégation algérienne la France à cette époque, le même enseignant a indiqué que les accords d’Evian «ont mis fin à toutes les machinations fomentées par les négociateurs français et balayé toutes les thèses qui touchaient à l’unité territoriale et de la nation algérienne. Des principes qui déterminent les relations futures entre les deux parties basées sur le respect mutuel et la coopération ont été définis et clarifiés à cette occasion».
Nécessité d’approfondir les études sur les négociations d’Evian De son côté, le Pr d’histoire moderne et contemporaine de l’université Tahri-Mohamed, de Béchar, le Dr Abdelkader Salamani, a souligné la nécessité d’approfondir les études historiques et documentaires sur les premières et deuxièmes négociations d’Evian et les transmettre aux nouvelles générations dans le contexte de la préservation de la mémoire nationale. Le même interlocuteur a ajouté que la stabilité de la position algérienne à travers les «Trois Non» imposés tout au long des négociations concernant l’unité et la souveraineté nationales, «doivent faire l’objet d’un intérêt particulier sur les plans académique et de la recherche». Dans ce cadre, le Dr Salamani a indiqué que le négociateur algérien, soutenu par le front intérieur et la pression diplomatique, «a réussi à neutraliser les prétentions françaises sur les régions sud du pays que le colonialiste français a essayé de garder sous son emprise après les découvertes des hydrocarbures en 1956 et sa création de l’organisation commune des régions sahariennes en 1957». «Ce projet, qui visait l’exploitation et l’expansion économique dans le Sud, a été une défaite lors de ces négociations, grâce à la constance et la stabilité de la position de la délégation du GPRA, qui a refusé de céder la moindre parcelle du sol algérien», ajoute l’universitaire. Pour sa part, le Pr de sciences politiques et des relations internationales de l’université Abdelhamid-Ibn Badis, de Mostaganem, le Dr Mohamed Hassan Daouadji a souligné l’importance du volet politique concernant cet événement historique. Il a relevé que les accords d’Evian sont une étape importante dans l’histoire diplomatique algérienne, une référence essentielle de la politique extérieure, des principes et des valeurs que l’Algérie défend. Le Dr Daouadji a plaidé pour la création d’un centre de recherches au niveau des universités et des instituts des sciences politiques pour «réaliser des études allant au-delà de la dimension historique et politique, vers des dimensions psychologiques et sociales, de cet événement, notamment en ce qui concerne la gestion des négociations et la défense des positions stables, ainsi que la mobilisation au service des causes nationales». Les membres de la délégation de négociateurs algériens ayant participé aux accords d’Evian ont fait montre d’un sens aigu de la diplomatie et d’une détermination à toute épreuve découlant de leur foi inébranlable en la légitimité de la cause algérienne et du droit du peuple à l’indépendance et à une vie décente, ont indiqué des spécialistes des affaires politiques et diplomatiques.
Ahsene Saaid /Ag.