Concernant l’exploitation du fer de Gara Djebilet, ne pas induire en erreur le président de la République: Pour une analyse objective de la rentabilité du projet

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Par Abderrahmane Mebtoul Professeur des universités expert international docteur d’Etat 1974

Suivant ce dossier complexe depuis le moment où j’étais jeune conseiller au ministère de l’Industrie et de l’Energie de 1974/1979, je constate que certaines personnes se qualifiant d’experts donnent des interviews des informations erronées, annonçant une pluie de milliards de dollars, sans se référer aux normes internationales, le coût du projet, le vecteur prix international et les délais de réalisation afin de déterminer le profit net seul indicateur de référence. L’objet de cette brève contribution est d’éclairer, objectivement, loin des utopies néfastes, l’opinion publique sur la rentabilité du projet de Gara Djebilet. Selon les statistiques internationales de 2020, en millions de tonnes les 10 plus grandes réserves de fer du monde sont classées ainsi devant distinguer les réserves du fer exploitable -1- Australie réserves 50.000, exploitable 24.000 ; -2- Brésil réserves 3.4.000, exploitable 15.000 ; -3- Russie réserves 25.000, exploitable 14.000 ; -4-Chine, réserves 20.000, exploitable 6.900 ; -5- Ukraine, réserves 6.500 exploitable, 2.300 ; -6- Canada, réserves 6.500, exploitable 2.300 ; 7 – Inde , réserves 5.500, exploitable 3.400 ; -8- Algérie, 3.000, exploitable ,1.700 ; 9- USA réserves 3.000, exploitable 1.000 ;-10-Iran, réserves 2.700, exploitable 1.500.

1 – L’exploitation du fer de Gara Djebilet et le problème du coût du transport

Selon l’APS en date du 17 août 2022 citant les responsables du ministère de l’Énergie et des Mines, la mine Gara Djebilet-ouest produira environ 20 000 à 25 000 tonnes fin septembre 2022 pour arriver à environ 100 000 tonnes/mois la fin 2022 soit un million de tonnes et à 2 à 3 millions de tonnes de minerai de fer/an (2023-2025). Durant cette phase expérimentale, la moitié des quantités de minerai de fer extraites sera transportée vers la wilaya d’Oran pour être exportée vers la Chine et la Russie, l’autre moitié étant destinée à la consommation intérieure. Mais a t-on calculé pour cette faible quantité le coût du transport maritime pour arriver en Chine qui a connu ces dernières années une augmentation de coût de 200% couvant à peine le gain ? Afin d’assurer la transformation du minerai, un appel à manifestation d’intérêt national et international sera lancé fin août 2022 pour chercher des partenaires et le cahier des charges y afférent doit être prêt fin septembre. Le minerai de fer sera acheminé par camions à Béchar par le Groupe de transport des marchandises et de logistique (LOGITRANS), où il sera transformé et valorisé par des opérateurs désirant investir dans ce domaine, en attendant la réalisation de la voie ferrée Béchar-Gara Djebilet d’une longueur de 1000 km. La distance entre Gara Djebilet et Tindouf est d’environ 150 km étant pour l’instant une piste rendant difficile la circulation, et surtout pouvant être impraticable lorsqu’il y a un vent de sable ou des intempéries pour un camion de 10 à 20 tonnes pouvant dépasser les trois heures. La distance Tindouf Béchar est de 806 km la durée de circulation pouvant durer plus de 10 heures. La distance Béchar Oran est de 674 km, la durée normale étant de plus de 8 heures. Nous aurons donc une distance totale de 1630 km pour une durée moyenne dépassant les 20 heures par camion. Pour le volume annoncé de trois millions de tonnes, il faudra 300 000 voyages pour des camions de 10 tonnes et 150 000 voyages pour des camions de 20 tonnes. Outre, selon les statistiques officielles le parc camions dépasse les 10/15 ans, combien de camions faudra t-il, quel sera le coût de transport par camion tenant compte du coût important de la maintenance. Par ailleurs, les camions affrétés feront-ils tout le trajet ou l’on tiendra compte des trois distances Gara Djebilet/ Tindouf, Tindouf Béchar et Béchar Oran, la distance étant plus longue si l’on se dirige vers l’Est du pays ? En cas d’achat d’un nouveau parc, quel est le montant de l’investissement et le coût de toute une logistique avec un suivi relevant de plusieurs départements ministériels ? Quant au transport par train, il faudra, selon les experts consultés, pour la rentabilité trois locomotives de 3000 à 4000 chevaux qui permettront d’avoir plusieurs dizaines de wagons, chaque wagon transportant entre 30/40 tonnes. Enfin pour exporter par mer il faudra avoir des bateaux supertankers. Reste le problème de la teneur du fer de 57% de fer, donc hautement rentables, alors que dans bon nombre de gisements dans le monde la teneur ne dépasse pas les 30/40% et se pose le problème du stockage des déchets représentant 43% : cela se fera t-il sur place, à Béchar ou à Oran ? Comme rappelé par le communiqué de l’APS, le fer de gara Djebilet nécessite de réduire pour sa commercialisation la haute teneur en phosphore, existant pour la déphosphoration du minerai de fer la technologie et combien coûtera-t-elle cette déphosphoration ? Pour les unités sidérurgiques en général, il faudra résoudre le problème du prix de cession du gaz qui est cédé au niveau local à environ 10% du prix international, constituant une subvention et donc une perte pour le Trésor, constituant une rente, devant être aligné sur celui du marché pour éviter les nombreux litiges concernant la dualité des prix contraires aux règles du commerce international.

2 – Quel est la rentabilité au cours mondial du fer brut du 18 août 2022 ?

Qu’en est-il de la rentabilité devant tenir compte du coût et de l’évolution vecteur prix au niveau international ? Le 18 août 2022 le cours s’établit à 130 dollars la tonne alors que le cours de l’acier est de 1.020 dollars la tonne ayant chuté la fin juillet pour s’établir le 28 juillet 2022 à 855 dollars la tonne, l’inox 4.090 dollars la tonne, le zinc 3.550, l’aluminium 2.510 dollars la tonne et le cuivre 8.830 dollars la tonne. Les données officielles reprises par l’APS annoncent plusieurs phases d’une période allant de 2022 à 2040. Pour la phase préliminaire de trois millions de tonnes, le chiffre d’affaires serait de 390 millions de dollars, pour le profit net, devant retirer les coûts importants de 50%, selon les normes internationales et la part du partenaire étranger 49%, restant à l’Algérie environ 100 millions de dollars. Pour un million de tonnes/an, c’est un montant dérisoire de 130 millions de dollars restant à l’Algérie en tant que profit net seulement 33 millions de dollars. La seconde phase entre 2026/2030 verrait une production entre 40/50 millions de tonnes avec une augmentation progressive entre 2030/2040. Pour une exportation brute de 30 millions de tonnes, nous aurons un chiffre d’affaires de 3,90 milliards de dollars. Ce montant c’est le chiffre d’affaires et non le profit net auquel on doit soustraire les coûts très élevés représentant environ 50% du chiffre d’affaires, soit 1,95 milliard de dollars, à se partager, selon la règle des 49/51%, avec le partenaire étranger restant à l’Algérie pour le profit net environ 995 millions de dollars, et ce, pas avant 2030. Pour avoir une plus grande valeur ajoutée, produire l’acier et l’inox par exemple, il faut donc descendre à l’aval de la filière, mais nécessitant des investissements lourds et à rentabilité à moyen terme. Se pose donc le problème de la rentabilité de l’investissement devant distinguer la partie devises de la partie dinars. Le 9 mai 2022, le ministre des Mines (source APS) annonce officiellement que la réalisation du projet de Gara Djebilet nécessitera la réalisation de plusieurs installations, ayant un coût variant entre 1 et 1,5 milliard de dollars par an sur une période allant de 8 à 10 ans. Si l’on prend une moyenne de 8/10 milliards de dollars, le retour en capital pour un chiffre d’affaires annuel moyen entre 2/3 milliards de dollars sera plus de 5 ans après le fonctionnement du projet. L’exploitation du fer brut de Gara Djebilet ne procurera pas de rente, contrairement au segment hydrocarbures, mais un taux de profit moyen, sous réserve de la maîtrise des coûts. L’on devra descendre à l’aval de l’arbre généalogique, les aciers spéciaux, pour avoir une grande valeur ajoutée, mais nécessitant une formation pointue et de lourds investissements (plusieurs milliards de dollars), ces segments étant contrôlés par quatre à cinq firmes multinationales au niveau mondial, étant impossible d’exporter sans un partenariat avec des firmes de renom. D’une manière générale, les défis qui se posent pour ce projet sont principalement relatifs à l’eau, l’énergie et le transport, pour régler dans cette zone désertique, la disponibilité en eau avec des besoins de 3 millions de mètres cubes par an, celle de l’énergie en mobilisant le gaz naturel et le choix du moyen de transport. C’est que l’exploitation du fer de Gara Djebilet dont les études datent depuis 1970/1974 au moment où j’étais jeune conseiller du ministre de l’Industrie et de l’Énergie de 1973/1979, nécessitera de grands investissements dans les centrales électriques, des réseaux de transport, une utilisation rationnelle de l’eau, des réseaux de distribution qui font défaut du fait de l’éloignement des sources d’approvisionnement, tout en évitant la détérioration de l’environnement, les unités comme pour le phosphate étant très polluantes. Et là, on revient à la ressource humaine et à un bon management stratégique, pilier de tout processus de développement.

En conclusion, afin d’éviter les erreurs du passé, s’impose une analyse objective de la rentabilité de tout projet. Evitons de vendre des illusions à court terme : la rentabilité de ce projet comme celle d’ailleurs du phosphate ou du gazoduc Nigeria-Europe via l’Algérie si la réalisation est entre 2022/2023, ne sera pas atteinte avant 2027/2028.

  1. M.