Sans un système d’information fiable en temps réel et la maîtrise la sphère informelle: Difficile d’avoir une politique des subventions ciblées

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Depuis plus de 20 ans, tous les gouvernements successifs avaient annoncé de revoir la politique des subventions généralisées, injustes et inefficaces et rien à ce jour et à nouveau l’actuel gouvernement annonce l’installation d’une commission afin de cibler les subventions supposant une large concertation sociale et un système d’information fiable en temps réel cernant la répartition du revenu national et du modèle de consommation, pour déterminer les couches défavorisées, tout en ne pénalisant pas les couches moyennes par un nivellement par le bas, (voir A. Mebtoul www.google -1992). Cette présente contribution est une brève synthèse, d’une brûlante actualité, d’un rapport sous ma direction assisté de 20 experts internationaux remis à l’ancien gouvernement le 14 septembre 2012, dont les résolutions n’ont pas été appliquées.

Par le Professeur des universités, expert international docteur d’Etat 1974- Abderrahmane Mebtoul

1.- L’État algérien a toujours depuis l’indépendance politique généralisé les subventions   sans être exhaustif, je recense les différentes formes de subventions les plus connues.

– Les subventions du prix du pain, de la semoule et du lait où  bon nombre d’Algériens vivent dans la pauvreté, se nourrissant essentiellement de pain et de lait, reflet de la fracture sociale ;

– les subventions des carburants et de l’électricité. L’Algérie est classée parmi les pays où le prix du carburant est le moins cher au monde. Mais conserver cette politique coûte de plus en plus cher. La différence du prix à la pompe avec les pays voisins fait que de grandes quantités de carburants traversent quotidiennement les frontières vers le Maroc et la Tunisie, sans compter les pays riverains du Grand Sud. Il en est de même du prix de l’électricité/gaz, avec une différence entre le prix aux ménages et les clients industriels ;

– Les  subventions de l’eau où le problème de la tarification de l’eau se pose à peu près dans les mêmes termes que les carburants. Son prix de cession demeure faible malgré des coûts croissants (investissement additionnel) plus important pour l’eau dessalée qui nécessite de lourds investissements, problème aggravé par les déperditions du réseau de distribution (45 à 50% de pertes, en moyenne nationale), le différentiel étant payé par l’Etat ;

– les subventions de la santé qui sont supportées par l’Etat où riches et pauvres se soignent gratuitement dans les hôpitaux publics et les subventions dans le transport où  il n y a pas uniformité devant distinguer le transport par rail subventionné, des autres moyens, où  Air Algérie, du fait d’une gestion défectueuse, et de sureffectifs qui sont, de loin, plus élevés par rapport aux normes internationales, les compagnies étrangères s’alignant sur ceux d’Air Algérie bénéficient d’une rente de monopole ;

– les subventions pour le soutien au logement social et à l’emploi qui s’appliquent également au logement social où le prix du mètre carré dans les grandes agglomérations peut aller entre 500.000 et 1.000.000 DA  non supportés par les bénéficiaires, ce qui occasionne un transfert de rente et les subventions pour  l’aide à l’emploi où l’entreprise qui recrute, bénéficie d’importantes facilités financières et fiscales, d’importants abattements sur la cotisation de sécurité sociale à leur charge, non supportés par l’employeur et pris en charge par le Trésor public.

– Pour les autres  subventions, nous avons la charge financière du logement, transport et de la restauration des étudiants, sans distinction ce qui se répercute sur la gestion des œuvres universitaires comme les frais de la carte d’abonnement annuel du transport universitaire où le prix de la restauration date des années 1970. Qu’en sera-t-il avec plus de 3 millions d’étudiants sans rappeler également les subventions à travers les œuvres sociales des CEM et des lycées.

Ainsi  depuis celui qui gagne le Snmg au chef d’entreprise algérien ou étranger, bénéficient des prix subventionnés. Dans plusieurs rapports la Banque mondiale fait remarquer qu’en moyenne dans le monde, 20% des plus riches bénéficient six fois plus que 20% des plus pauvres des subventions recommandant que les programmes d’aide sociale doivent être ciblés de manière à aider les ménages pauvres et vulnérables à y faire face. À cela s’ajoutent les assainissements répétés aux entreprises publiques et les réévaluations montrant la non-maîtrise de la gestion des projets où selon les données officielles du Premier ministère (source APS), l’assainissement du secteur public marchand durant les 25 dernières années a coûté au Trésor public l’équivalent de 250 milliards de dollars et le coût des réévaluations entre 2005-2020 d’environ 66 milliards de dollars dont plus de 80% sont revenus à la case de départ. Nous avons les exonérations fiscales et de TVA accordées par les différents organismes d’investissement (Andi, ex Ansej) y compris pour les entreprises étrangères, dont il conviendrait de quantifier les résultats par rapport à ces avantages (exportation et création de valeur ajoutée interne). Pour le pouvoir algérien ne voulant pas de remous sociaux, les subventions seront encore un tampon pour juguler la hausse des prix internationaux, avec ce retour à l’inflation car en dehors des subventions, le taux d’inflation réel dépasserait largement 10%. Ainsi, les différentes lois de finances depuis de longues années proposent des mesures qui ont pour finalité de pérenniser la politique de l’État en matière de subventions.

2.- Or, comme je l’ai analysé dans plusieurs contributions nationales et internationales, (voir Mebtoul- www.google 2008/2020), le montant des subventions et des transferts sociaux a eu un impact peu perceptible au niveau de la population, sur le producteur local et sur le consommateur final. La mise en place de subventions ciblées suppose à la fois une large concertation sociale loin de la pression des couches rentières et un système d’information fiable en temps réel mettant en relief la répartition du revenu national et du modèle de consommation par couches sociales. Les subventions généralisées faussent l’allocation rationnelle des ressources rares et ne permettent pas d’avoir une transparence des comptes, fausse les normes de gestion élémentaires. Les prévisions, tant au niveau micro que macroéconomique, aboutissent au niveau des agrégats globaux (PIB, revenu national) à une cacophonie additionnant des prix du marché et des prix administrés. Ils découragent la production locale avec un gaspillage croissant des ressources financières du pays. Pour la  loi de finances  2022, les subventions implicites, constituées, notamment de subventions aux produits énergétiques et des subventions de nature fiscale, représentent environ 80% du total des subventions et que les subventions explicites représentent un cinquième du total des subventions, étant dominées par le soutien aux prix des produits alimentaires et aux logements. Il est prévu 1942 milliards de dinars soit 19,7% du budget de l’État contre 24% en 2021 et 8,4% du PIB dont les aides aux ménages pour 567,7 milliards de dinars, 315,5 de soutien aux produits de base, 105,3 pour l’électricité/ gaz/eau ; 131,7 de soutien à l’éducation, 332,5 pour le soutien aux pensions, 361,1 pour la santé, 247 pour l’habitat, 196 pour l’aide au moudjahidine ; et 207,6 pour les catégories les sous-défavorisées où en plus il est prévu d’ alimenter les caisses de retraite de retenir 3% de la taxe pétrolière ce qui donne environ 63 milliards de dinars. Il est utile de préciser que le déficit des caisses de retraite (CNR) devrait atteindre 690 milliards de dinars en 2021, le nombre de retraités dépassant les 3,3 millions, la CNR enregistrant un taux de cotisation de sécurité sociale, estimé à 2,2 travailleurs pour chaque retraité et pour un équilibre, le taux de cotisation devrait atteindre cinq travailleurs pour un retraité. Comme subventions indirectes, la LF 2022 prévoit que les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères, bénéficieront d’un abattement proportionnel sur l’IRG à 40% qui ne peut être inférieur à 12.000 DA/an ou supérieur à 18.000 DA/an (soit entre 1000 et 1500 DA /mois). Il est prévu que  les revenus qui n’excèdent pas 30.000 DA bénéficient d’une exonération totale de l’IRG, tandis que les revenus supérieurs à 30.000 et inférieurs à 35.000 DA bénéficient d’un deuxième abattement supplémentaire, ainsi que des avantages pour les  travailleurs handicapés moteurs, mentaux, non-voyants ou sourds-muets. Il est aussi proposé de faire bénéficier les cessions de logements collectifs constituant l’unique propriété et l’habitation principale, d’une réduction d’impôt de 50%.

3.- Or, se pose  les conditions de l’efficacité de la politique de subventions ciblées et comment reconnaître une personne qui travaille dans la sphère informelle n’étant pas répertoriée dans les statistiques officielles et ayant un revenu et cela s’applique également à l’actuelle allocation chômage du fait  que beaucoup ne sont pas recensés ? Depuis quelque temps, avec une inflation rarement égalée entre 50/100% pour les produits non subventionnés,  on assiste pour certaines catégories qui connaissent une détérioration de leur pouvoir d’achat, dont des enseignants et d’autres travaillant dans la sphère réelle, pour subvenir à leurs besoins, font du travail au noir après leurs heures de travail. Paradoxe, on a pu assister à des enfants de parents riches bénéficier des allocations décidées par l’État, comme la carte Chiffa  pour le remboursement de médicaments. L’action louable au profit des zones d’ombre serait un épiphénomène face à la détérioration du pouvoir d’achat de la majorité de la société. Or, le système algérien de protection sociale, les modalités des transferts sont tellement complexes que plus personne ne sait qui paye et qui reçoit. On ne connaît pas le circuit des redistributions, notamment les redistributions entre classes d’âge, les redistributions entre générations et encore moins bien les redistributions entre niveaux de revenus ou de patrimoine. Or, le principe de justice exige que l’on réponde correctement à ces questions. Cela demande d’avoir un système d’information crédible en temps réel et de repenser les mécanismes de transferts et de redistribution afin de les faire reposer sur des critères objectifs, parfaitement transparents au niveau de la branche ou au niveau national, et ce qui relève de l’Etat et des autres collectivités publiques et posant l’urgence de de comprendre l’essence de la sphère informelle qui permet des consolidations de revenus. La sphère informelle intimement liée à la logique rentière, servant à court terme de tampon social, contrôle des pans entiers de l’économie, utilise des billets de banques au lieu de la monnaie scripturale (chèques) ou électronique entre 6000 et 10000 milliards de dinars selon le président de la République. La politique de subventions ciblées est difficilement réalisable sans un système d‘information fiable en temps réel, mettant en relief la répartition du revenu national par couches sociales et par répartition régionale: combien sont-ils à percevoir moins de 20.000 DA par mois net ? Combien sont-ils à toucher entre 20.000 et 50.000 DA ? Combien sont-ils à être payés entre 10.000 et 200.000  DA   et plus ? Il faut avoir des réponses précises à ce genre de questions. La dominance de la sphère informelle, dont l’essence renvoie au mode de gouvernance, entretient des liens dialectiques avec les malversations, expliquant que des mesures bureaucratiques ont peu d’effets pour son intégration.  Que nos responsables visitent les sites où fleurit l’informel de l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud et ils verront que l’on peut lever des milliards de centimes à des taux d’usure, mais avec des hypothèques, car il existe une intermédiation financière informelle.

Les mesures autoritaires bureaucratiques produisent l’effet inverse et lorsqu’un gouvernement agit administrativement et loin des mécanismes transparents et de la concertation sociale, la société enfante ses propres règles pour fonctionner, qui ont valeur de droit puisque reposant sur un contrat entre les citoyens, s’éloignant ainsi des règles que le pouvoir veut imposer. Face à la concentration excessive du revenu national au profit d‘une minorité rentière, renforçant le sentiment d’une profonde injustice sociale, l’austérité n’étant pas partagée, la majorité des Algériens veut tout et immédiatement sa part de rente, donc être subventionnée, reflet du divorce État / citoyens, quitte à conduire l’Algérie au suicide collectif. Du fait de la forte consommation intérieure, il sera difficile d’assurer le niveau des exportations actuelles des hydrocarbures traditionnelles à l’ horizon 2030 au moment où la population algérienne sera d’environ 50 millions d’habitants, ne pouvant donc plus assurer l’actuelle protection sociale en cas de non dynamisation des sections hors hydrocarbures.

En résumé, Il ne faut pas se tromper de cibles pour paraphraser les stratèges militaires, la politique des subventions ciblées étant liée à la gouvernance par une lutte contre la corruption, les surcoûts et surtout le retour de la confiance de la population en ses institutions (voir Les enjeux géostratégiques de la sphère informelle et comment l’intégrer étude réalisée sous la direction du Pr A. Mebtoul Institut français des Relations internationales IFRI Paris 2013, reproduit en 2019 la  revue Stratégie -ministère de la Défense nationale – DN-IMPED)et l’audit réalisée sous ma direction assisté de 15 experts tous algériens pour le Premier ministère (10 volumes 890 pages), en janvier 2014 avec 19 propositions entrant dans le cadre de la nouvelle stratégie du développement socio-économique, où chaque proposition a fait l’objet d’une étude particulière par les experts, résolutions mis dans un placard qui n’ont pas été appliquées que certains redécouvrent actuellement en 2021).  Aussi, il y a urgence de mettre fin au cancer de l’économie de la rente qui se diffuse dans la société par des subventions généralisées et des versements de traitements sans contreparties productives. Face à la concentration excessive du revenu national et une austérité non partagée, la majorité des Algériens veulent tous et immédiatement leur part de rente, quitte à conduire l’Algérie au suicide collectif. Tout cela renvoie à l’urgence d’une nouvelle gouvernance liée à une nouvelle politique salariale qui privilégie les producteurs de richesses et non les rentes.  Toute protection sociale durable, à l’avenir, existant des droits, mais également des devoirs, le patriotisme de tout algérien, se mesurera par sa contribution à la valeur ajoutée nationale. Dans ce cadre, les plus hautes autorités du pays reconnaissent que le système d’information est à revoir, ne permettant pas des actions et prévisions fiables, le dossier des subventions étant un sujet très sensible, a des incidences économiques, sociales, politiques et sécuritaires. Face aux tensions budgétaires, sociales internes et géostratégiques au niveau de la région, les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques, attention aux promesses utopiques de versement de salaires sans contreparties productives et des mesures hâtives populistes qui risquent de mettre en péril la sécurité nationale.

ademmebtoul@gmail.com