Sphère informelle, évasion fiscale, trafics aux frontières: fuite des capitaux et corruption Quelques recommandations contre le crime économique organisé

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Synthèse de l’intervention lors du séminaire sur le crime économique organisé par le ministère de la Défense nationale/haut commandement de la Gendarmerie nationale le 23 février 2022 du professeur des universités, expert international,le Dr Abderrahmane Mebtoul haut magistrat (premier conseiller) et directeur général des études économiques à la Cour des comptes (1980/1983)

3.- Face à cette situation, quelle est la stratégie de l’Algérie ?

Selon un rapport sur l’état des lieux de la justice fiscale, publié, récemment, par l’Organisation non gouvernementale (ONG), Tax Justice Network, l’Algérie perd chaque année plus de 467 millions de dollars, (pour l’Afrique c’est environ 23,2 milliards de dollars/an),  représentant 0,3% du produit intérieur brut (PIB) du fait des pratiques d’évasions fiscales internationales. Environ 413,75 millions de dollars relèvent d’abus transfrontaliers d’impôts sur les sociétés par les multinationales et 53,3 millions de dollars, en évasion fiscale, par des particuliers fortunés qui transfèrent leur argent à l’étranger. Il existe d’autres pratiques occultes à travers les surfacturations via les importations  favorisées par la complicité d’opérateurs étrangers et la distorsion entre le taux de change officiel et  celui du marché parallèle, avec un écart dépassant les 50%. Ainsi les importations en devises de biens et services (pour les services les surfacturations sont plus faciles) ont approché les 1.000 milliards de dollars entre 2000/2020. Si j’applique  un taux entre 10 et 15% les surfacturations pourraient représenter environ 100 à 150 milliards de dollars soit trois fois les réserves de change estimées à 44 milliards de dollars fin mai 2021 (préface au professeur Abderrahmane Mebtoul à l’ouvrage de l’expert international en fiscalité Mustapha Bensahli La mise à niveau en fiscalité – Mythe ou réalité- Expérience algérienne  OPU Alger 2022.). Le rapport  Global Initiative Against Transnational Organized Crime  2021, pour le cas Algérie, le classement et  les scores sont les suivants. Pour celui  des marchés criminels, l’Algérie arrive à la 99e position, une position très honorable,    avec une moyenne de 4,65 décomposée comme suit :  traite de personnes  4,4 -trafic d’êtres humains 6,5 -trafic d’armes 5,0 -trafic lié à la fore 2,0 -trafic lié à la faune 4,5, criminalité liée aux produits non renouvelables, 6,5- commerce d’héroïne, 2,0  – commerce de cocaïne 3,5 ; -commerce de cannabis 6,5  et comme synthèse de toutes les drogues , la moyenne est  de 5,5.  Concernant la rubrique des acteurs  de la criminalité (moyenne), elle  arrive à la 128e position, avec une  moyenne générale de 4.38, décomposée comme suit ; -groupe de types mafieux 1,0 réseaux criminels 5.0 -acteurs  étrangers 4,5. Enfin la synthèse pour les  scores de résilience,  médiane, honorable elle est classée 104e, une position médiane honorable avec une moyenne  de 4,63, décomposée  comme suit : leadership  politique  et gouvernance  4,5  -transparence et responsabilité gouvernementale  4,0  -coopération internationale  5,0  -politique et  législation nationale 6,0 -système judiciaire et détention 4,0 -force   de l’ordre  6,0  -Intégrité territoriale 6,5  -lutte contre le blanchiment  d’argent 4,5 -capacité  de réglementation  économique 4,5  – soutien aux victimes  et aux témoins 3,0  -préventions  4,0  -acteurs non étatiques 3,5.  Concernant la corruption,  il s’agit de différencier l’acte de gestion des pratiques normales de la corruption, afin d’éviter la démobilisation des managers, l’objectif stratégique est d’établir la connexion entre ceux qui opèrent dans le commerce extérieur soit légalement ou à travers les surfacturations et les montants provenant essentiellement d’agents possédant des sommes en dinars au niveau local légalement ou illégalement, non connectés aux réseaux internationaux. Il s’agit de différencier les surfacturations en dinars (pour des projets ne nécessitant pas ou peu de devises), des surfacturations en devises, existant deux sphères d’agents, ceux reliés uniquement au marché interne (dinars) et ceux opérant dans le commerce extérieur (devises), ce processus se faisant en complicité avec les étrangers, bien que certains agents économiques opèrent sur ces deux sphères.  

De plus, selon la majorité des experts juristes, il est difficile de récupérer des capitaux placés dans des paradis fiscaux, en actions ou obligations anonymes. Ces pratiques tant de mauvaises gestion que de corruption ont  de graves conséquences en termes de ressources gaspillées, du fait que le système des investissements publics comporte plusieurs lacunes comme le montrent les données du Premier ministère plus de 250 milliards de dollars consacrés aux assainissement des entreprises publiques durant les  trente dernières années et  65 milliards de dollars de réévaluations des projets durant les dix dernières années : mauvaise gestion ou corruption ?   Pour parer à ces malversations, l’état major de l’ANP, à travers les dernières éditions  El Djeich, tire la sonnette d’alarme afin que  la majorité des  responsables des institutions stratégiques  s’adaptent en urgence aux nouvelles technologies, nécessitant un important investissement dans le savoir. La nouvelle révolution mondiale du numérique a un impact sur le comportement des citoyens, sur la gestion des institutions et des entreprises et  d’une manière générale sur  la gouvernance et sur notre nouveau mode de vie. Politiques, militaires,  entrepreneurs, citoyens, nous vivons tous aujourd’hui dans une société de la communication électronique, plurielle et immédiate qui nous contraint à prendre des décisions en temps réel.  Entre une stratégie globale et hégémonique, qui possède tous les moyens de sa mise en œuvre et de sa projection, et une stratégie à vocation globale qui se construit laborieusement et qui peine à s’autonomiser et à se projeter dans son environnement géopolitique immédiat, quelle attitude adopter et quels choix faire pour l’Algérie? D’une manière générale la sécurité de l’Algérie  est posée à ses frontières. Etant le  plus grand pays du pourtour méditerranéen et de l’Afrique, partageant  un total de 6343 kilomètres de frontières terrestres avec 7 pays voisins qui sont le Maroc (1559 km), le Sahara occidental (42 km), la Mauritanie (463 km), le Mali (1376 km), le Niger (956 km), la Libye (983 km) et la Tunisie (965 km), Dès lors,  la sécurité de l’Algérie est posée à ses frontières, où le problème est plus grave pour les frontières conjointes avec le Mali, la Libye, et le Maroc, la coopération étant renforcée avec la Tunisie. Selon les experts militaires, la  stratégie algérienne se déploie sur trois niveaux. Premièrement,  la mise en place d’un dispositif de sécurité aux frontières et la restructuration des forces armées et de sécurité. Deuxièmement, l’amorce de processus bilatéraux de coopération avec les pays voisins. Troisièmement, le développement d’un processus multilatéral à travers l’initiative des pays de Champ.  Cette stratégie est guidée par trois principes fondamentaux contenus dans la nouvelle constitution : non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats et prise en charge endogène de la sécurité régionale. L’Algérie est donc confrontée actuellement à la sécurité dans la zone sahélo-saharienne où prolifèrent différents  trafics alimentant  le terrorisme. Nous assistons  dans la région à de profondes mutations de la géopolitique saharienne après l’effondrement du régime libyen, avec des conséquences pour la région. Tenant compte de cette situation géostratégique complexe, l’Algérie milite sur la nécessité de développer une stratégie de riposte collective. Le défi est mondial, régional concernant tant l’Europe comme le montre  actuellement les tensions en Ukraine, en  Afrique dont fait partie l’Algérie, le Moyen-Orient, dont les tensions en Syrie et en Irak qui peuvent avoir des répercussions sur la région sahélienne et, par ricochet, sur toute la région méditerranéenne. Pour les grandes puissances de par sa situation géographique stratégique au Maghreb et sa longue histoire de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent sur son territoire, l’Algérie est considérée comme un acteur incontournable pour la stabilité de la région.  Mais pour une efficacité réelle, s’impose une stratégie interrégionale qui associe l’ensemble des pays de la zone en plus des partenaires européens et d’autres partenaires internationaux dont les USA la Russie, la Chine, du fait que  la  région est devenue un espace ouvert pour divers mouvements terroristes et autres groupes qui prospèrent via le trafic d’armes ou la drogue,  menaçant  la sécurité régionale. L’efficacité des actions nécessite  une coopération sans faille  et  l’amélioration des  bases de données, devant  lever les contraintes du fait que  la  corruptibilité  générale des institutions,  pèsent lourdement  sur les systèmes chargés  de l’application des lois et la justice pénale en  général qui ont des difficultés à s’adapter aux  nouveaux défis posés par la sophistication des réseaux du crime organisé. La collaboration inter-juridictionnelle est ralentie par l’hétérogénéité des systèmes juridiques notamment en Afrique et  la porosité des frontières ce qui pose un problème de coordination. À terme, la stratégie vise à attirer graduellement les utilisateurs du système informel vers le réseau formel et ainsi isoler les éléments criminels pour mieux les cibler tout en diminuant les dommages collatéraux pour les utilisateurs légitimes.

En conclusion,  la lutte contre le crime organisé sera  inefficace  sans mettre fin à cette inégalité tant  planétaire qu’au sein des Etats où une minorité s’accapare une fraction croissante du revenu national enfantant la misère et donc le terrorisme. Face à un monde en perpétuel mouvement, tant en matière de politique étrangère, économique  que de défense, actions liées,  avec  les  derniers événements au Sahel, aux frontières de l’Algérie,  se posent  l’urgence des stratégies d’adaptation et d’une coordination, internationale et  régionale afin d’agir efficacement sur les événements majeurs. Ces nouveaux défis pour l’Algérie,  sous segment du continent Afrique,  dépassent en importance et en ampleur les défis que l’Algérie  a eu à relever jusqu’à présent, l’objectif stratégique étant le développement car comme le montre la Chine  en ce XXIe siècle le poids des relations internationales où dominent  les réseaux décentralisés et non  plus des relations personnalisées entre chefs d’Etat,  repose essentiellement sur une économie forte. Pour cela, s’impose un large front national ,un dialogue productif loin de tout dénigrement, tolérant toutes les sensibilités, avec  pour but essentiel la défense des intérêts supérieurs de Algérie afin d’honorer la mémoire de nos martyrs   qui avaient rêvé d’une Algérie  forte et prospère où en ce mois de  février 2022, deux institutions stratégiques assurent la sécurité du pays : Sonatrach pour l’économie assurant  avec les dérivés 97/98% de nos recettes en hydrocarbures ( en 2021 34,5 milliards de dollars)  et l’ANP et toutes les forces de sécurité, d’où l’importance d’une nouvelle gouvernance. Certes, la situation est complexe devant  créer 350 000/400 000 emplois par  an  qui s’ajoute au taux de chômage évalué  par le FMI à plus de 14% en 2021, nécessitant sur plusieurs années  8/9% de taux de croissance en termes réels. L’Algérie, loin de toute vision de sinistrose, j’en suis convaincu, a  toutes  les potentialités de sortie de crise, devant reposer son action sur la ressource humaine, richesse bien plus importante que toutes les réserves d’hydrocarbures. 

Les expériences historiques  montrent que les population fondent  leur adhésion sur un projet de société  mais qui au yeux de la population ne doit pas être un modèle importable de l’Occident,  existant des  liens dialectiques  entre la tradition et la modernité, ne devant jamais renier  notre  riche patrimoine historique  et culturel, sans lequel une Nation est un corps sans âme. L’Algérie, acteur stratégique de la stabilité  de la région méditerranéenne et africaine,  a toujours été au carrefour des échanges en Méditerranée. De Saint-Augustin à l’Émir Abdelkader, les apports de l’Algérie à la spiritualité, à la tolérance et à la culture universelle ne peuvent que la   prédisposer à être attentifs aux fractures contemporaines. En bref,  l’Algérie a besoin qu’un regard critique et juste soit posé sur sa situation, sur ce qui a déjà été accompli de 1963 à 2021, et de ce qu’il s’agit d’accomplir encore au profit exclusif d’une patrie qui a besoin de se retrouver et de réunir tous ses enfants autour d’un même projet, d’une même ambition et d’une même espérance, le développement économique et social de l’Algérie.

A. M.

(ademmebtoul@gmail.com)

Suite et Fin