Cour des Comptes: Abdelkader Benmarouf  évoque un manque d’effectifs pénalisant

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 La Cour des comptes, instituée en 1976 pour  favoriser l’utilisation régulière et efficiente des fonds publics,  promouvoir la transparence dans la gestion des finances publiques et  renforcer la lutte contre la fraude, souffre d’un manque d’effectif qui la  pénalise, selon son premier responsable.

La Cour, dotée de 170 magistrats et de 45 vérificateurs financiers  « souffre d’un manque d’effectifs notamment pour ce qui concerne sa chambre  de discipline financière et budgétaire (CDFB) qui compte sept magistrats  seulement », a déclaré le président de la Cour Abdelkader Benmarouf. A cause de ce manque d’effectifs, cette chambre est d’ailleurs devenue « le  talon d’Achile » de la Cour, a-t-il regretté     Vu le nombre réduit des magistrats, le traitement des affaires au niveau  de la chambre « se fait à une cadence ralentie », a-t-il témoigné en  expliquant que les sept magistrats assurent simultanément leur mission au  sein de la chambre de discipline et leur mission de contrôle au niveau des  chambres nationales et territoriales de la Cour. « Vue leur charge de travail, les magistrats répugnent à faire les deux  missions, laissant trainer les affaires soumises à la chambre ». La CDBF est la formation de la Cour des comptes chargée de l’instruction  et du jugement des dossiers relevant de son domaine de compétence. Elle  statue sur la responsabilité des agents en cas de commission d’infractions  aux règles de discipline budgétaire et financière, notamment les fautes ou  irrégularités constituant une violation caractérisée des dispositions  législatives et réglementaires, régissant l’utilisation et la gestion des  fonds publics et des moyens matériels ayant causé un préjudice au Trésor  public ou un organisme public.

La corruption un crime économique qui relève de  la compétence de la Justice et non pas de la Cour des Comptes

Cependant, même si la Cour joue un rôle important dans la lutte contre la  fraude, son rôle se limite à aviser la Justice sur les faits éventuellement  à caractère pénal. Les jugements effectués par la chambre de discipline de  la chambre ne portant pas sur des délits de corruption mais uniquement sur  des infractions aux règles de discipline budgétaire et financière. Et si la Cour relève des faits susceptibles de qualifications pénales,  elle transmet, selon l’article 27 de l’ordonnance de 1995 régissant la Cour  des comptes, modifiée en 2010, le dossier du gestionnaire public en  question au procureur général territorialement compétent aux fins de  poursuites judiciaires. Une dizaine de dossiers, portant notamment sur les marchés publics (les  prix, les quantités, la qualité des équipements, l’opacité dans l’octroi  des contrats…..) est transmise annuellement à la Justice par la Cour,  selon lui.    « Les gens se trempent en pensant que la Cour des Comptes lutte contre la  corruption. La corruption est un crime économique et les crimes relèvent de  la compétence de la Justice et non pas de la Cour des Comptes », a tenu à  préciser M. Benmarouf.  « Nous n’avons ni la base juridique, ni les moyens humains, ni les moyens  techniques pour lutter contre la corruption dans toutes ses formes. C’est  le juge pénal qui en a la compétence. Ce n’est pas une spécificité  algérienne mais le rôle de la Cour des Comptes est identique dans le monde  entier », a-t-il soutenu. Le rôle de la Cour en ce qui concerne la lutte contre la corruption  consiste seulement à « s’assurer du bon emploi des fonds publics ». Pour bien mener ses missions alors que les recrutements sont gelés dans ce  corps, la Cour, avance son président, fera appel, conformément à l’article  58 de l’ordonnance de 1995, à des agents qualifiés du secteur public et à  des experts susceptibles de l’éclairer ou de l’assister dans ses travaux.   Interrogé pour connaître sur quoi porte exactement le contrôle de la Cour,  M. Benmarouf a précisé que l’apurement des comptes publics et le contrôle  de la qualité de la gestion publique constituent les deux activités  principales de la Cour.  Sur quelque 10.000 comptes publics existants en Algérie, la Cour traite  en moyenne 600 comptes/an au niveau de ses huit chambres nationales et neuf  chambres territoriales. En 2018, 659 comptes publics financiers ont été apurés par la Cour.  Les comptes des ministères sont examinés annuellement dans le cadre du  projet de loi sur le règlement budgétaire de l’exercice N-3, alors que les  comptes des collectivités locales sont examinés sur une période de trois  ans. C’est à dire que la Cour examine et apure annuellement les comptes de  600 communes environ pour arriver à examiner, au bout de trois ans au  maximum, les comptes des 1.541 communes que compte le pays avant de  recommencer l’examen de nouveau. Suite à l’examen des comptes publics, la Cour élabore son  rapport annuel en plus de son rapport d’appréciation sur le règlement  budgétaire.   M. Benmarouf a regretté la non publication des rapports annuels de la Cour  qui, depuis sa création, a rendu publics deux de ses rapports seulement  (1995 et 1997). « La Cour des Comptes est la mémoire budgétaire du pays (…) Ses rapports  annuels doivent être rendus publics comme ça se fait à l’échelle  internationale », a-t-il vivement recommandé. Interrogé sur le degré d’indépendance de la Cour, alors que son président  et ses magistrats sont désignés par le président de la République lui même,  il a estimé que l’institution jouissait de l’indépendance conformément de  la Constitution algérienne. Cependant, l’indépendance de la Cour « sera certainement renforcée si son  président était élu par le parlement pour un mandat bien défini au lieu  d’être désigné par le président de la République ».

Le contrôle des finances des EPE ne relève pas de la Cour des  Comptes

 A une question pour savoir si les fonds des entreprises publiques  économiques étaient soumis au contrôle de la Cour, son président a  expliqué que tous les revenus des entreprises publiques commerciales sont  des deniers privés dont le contrôle n’est pas du ressort de la Cour. « Le denier public représente toute ressource qui sort du Trésor public au  profit des administrations publiques, en plus des subventions accordées aux  entreprises publiques économiques. Mais, les finances d’une entreprise  publique, comme la Sonatrach par exemple, sont des finances privées car il  s’agit d’une entreprise commerciale même si son capital est public ». La Cour des Comptes ne contrôle donc pas les flux financiers de ces  entreprises mais contrôle uniquement l’utilisation des subventions qui leur  sont accordées par l’Etat. Evoquant le contrôle des fonds publics au niveau des collectivités  locales, il a souligné que ces dernières gagneraient à améliorer le  contrôle à priori de leurs finances, c’est à dire le contrôle interne  effectué par les comptables de l’entreprise. « Au niveau des communes, l’outil de contrôle interne, qui constitue une  sécurité pour le bon emploi des finances publiques, n’est pas bien élaboré  et n’est pas performant », a-t-il regretté. Cette « faille » dans le système  de contrôle interne, poursuit-il, rend compliqué le contrôle à postériori  effectué par les magistrats de la Cour. A ce propos, M. Benmarouf a proposé l’adoption du modèle allemand où le  contrôle interne est directement placé sous la tutelle de la Cour des  Comptes.   Interrogé par ailleurs sur les nouveautés introduites par la nouvelle loi  organique des lois de finances, pour ce qui est des missions de la Cour, Il  a précisé que cette loi donnera notamment à cette juridiction le rôle  d’expert comptable des comptes de l’Etat. « La Cour va certifier les comptes de l’Etat. Nous nous sommes dotés de  techniques nouvelles pour réussir cette mission compliquée ».

Kassous M/ Ag